Balsamo tressaillit à cette voix pleine d’une douceur inaccoutumée.
– M’asseoir? dit-il. Tu sais bien, ma Lorenza, que je n’ai qu’un désir, c’est de passer ma vie à tes genoux.
– Monsieur, reprit Lorenza du même ton, je vous prie de vous asseoir, bien que je n’aie pas un long discours à vous faire; mais, enfin, je vous parlerai mieux, il me semble, si vous êtes assis.
– Aujourd’hui, comme toujours, ma Lorenza bien-aimée, dit Balsamo, je ferai selon tes souhaits.
Et il s’assit dans un fauteuil auprès de Lorenza, assise elle-même sur un sofa.
– Monsieur, dit-elle en attachant sur Balsamo des yeux d’une expression angélique, je vous ai appelé pour vous demander une grâce.
– Oh! ma Lorenza, s’écria Balsamo de plus en plus charmé, tout ce que tu voudras, dis, tout!
– Une seule chose; mais, je vous en préviens, cette chose je la désire ardemment.
– Parlez, Lorenza, parlez, dût-il m’en coûter toute ma fortune, dût-il m’en coûter la moitié de la vie.
– Il ne vous en coûtera rien, monsieur, qu’une minute de votre temps, répondit la jeune femme.
Balsamo, enchanté de la tournure calme que prenait la conversation, se faisait déjà à lui-même, grâce à son active imagination, un programme des désirs que pouvait avoir formés Lorenza et surtout de ceux qu’il pourrait satisfaire.
– Elle va, se disait-il, me demander quelque servante ou quelque compagne. Eh bien, ce sacrifice immense, puisqu’il compromet mon secret et mes amis, ce sacrifice, je le ferai, car la pauvre enfant est bien malheureuse dans cet isolement.
– Parlez vite, ma Lorenza, dit-il tout haut avec un sourire plein d’amour.
– Monsieur, dit-elle, vous savez que je meurs de tristesse et d’ennui.
Balsamo inclina la tête avec un soupir en signe d’assentiment.
– Ma jeunesse, continua Lorenza, se consume; mes jours sont un long sanglot, mes nuits une perpétuelle terreur. Je vieillis dans la solitude et dans l’angoisse.
– Cette vie est celle que vous vous faites, Lorenza, dit Balsamo, et il n’a pas dépendu de moi que cette vie, que vous avez attristée ainsi, ne fît envie à une reine.
– Soit. Aussi vous voyez que c’est moi qui reviens à vous.
– Merci, Lorenza.
– Vous êtes bon chrétien, m’avez-vous dit quelquefois, quoique…
– Quoique vous me croyiez une âme perdue, voulez-vous dire? J’achève votre pensée Lorenza.
– Ne vous arrêtez qu’à ce que je dirai, monsieur, et ne supposez rien, je vous prie.
– Continuez donc.
– Eh bien, au lieu de me laisser m’abîmer dans ces colères et dans ces désespoirs, accordez-moi, puisque je ne vous suis utile à rien…
Elle s’arrêta pour regarder Balsamo; mais déjà il avait repris son empire sur lui-même, et elle ne rencontra qu’un regard froid et un sourcil froncé.
Elle s’anima sous cet œil presque menaçant.
– Accordez-moi, continua-t-elle, non pas la liberté, je sais qu’un décret de Dieu ou plutôt votre volonté, qui me paraît toute-puissante, me condamne à la captivité durant ma vie; accordez-moi de voir des visages humains, d’entendre le son d’une autre voix que votre voix; accordez-moi enfin de sortir, de marcher, de faire acte d’existence.
– J’avais prévu ce désir, Lorenza, dit Balsamo en lui prenant la main, et depuis longtemps, vous le savez, ce désir est le mien.
– Alors!… s’écria Lorenza.
– Mais, reprit Balsamo, vous m’avez prévenu vous-même; comme un insensé que j’étais, et tout homme qui aime est un insensé, je vous ai laissée pénétrer une partie de mes secrets en science et en politique. Vous savez qu’Althotas a trouvé la pierre philosophale et cherche l’élixir de vie: voilà pour la science. Vous savez que moi et mes amis conspirons contre les monarchies de ce monde: voilà pour la politique. L’un des deux secrets peut me faire brûler comme sorcier, l’autre peut me faire rouer comme coupable de haute trahison. Or, vous m’avez menacé, Lorenza; vous m’avez dit que vous tenteriez tout au monde pour recouvrer votre liberté, et que, cette liberté une fois reconquise, le premier usage que vous en feriez serait de me dénoncer à M. de Sartine. Avez-vous dit cela?
– Que voulez-vous! parfois je m’exaspère, et alors… eh bien, alors, je deviens folle.
– Êtes-vous calme? Êtes-vous sage à cette heure, Lorenza, et pouvons nous causer?
– Je l’espère.
– Si je vous rends cette liberté que vous demandez, trouverai-je en vous une femme dévouée et soumise, une âme constante et douce? Vous savez que voilà mon plus ardent désir, Lorenza.
La jeune femme se tut.
– M’aimerez-vous enfin? acheva Balsamo avec un soupir.
– Je ne veux promettre que ce que je puis tenir, dit Lorenza; ni l’amour ni la haine ne dépendent de nous. J’espère que Dieu, en échange de ces bons procédés de votre part, permettra que la haine s’efface et que l’amour vienne.
– Ce n’est malheureusement pas assez d’une pareille promesse, Lorenza, pour que je me fie à vous. Il me faut un serment absolu, sacré, dont la rupture soit un sacrilège, un serment qui vous lie en ce monde et dans l’autre, qui entraîne votre mort dans celui-ci et votre damnation dans celui là.
Lorenza se tut.
– Ce serment, voulez-vous le faire?
Lorenza laissa tomber sa tête dans ses deux mains, et son sein se gonfla sous la pression de sentiments opposés.
– Faites-moi ce serment, Lorenza, tel que je le dicterai, avec la solennité dont je l’entourerai, et vous êtes libre.
– Que faut-il que je jure, monsieur?
– Jurez que jamais, sous aucun prétexte, rien de ce que vous avez surpris relativement à la science d’Althotas ne sortira de votre bouche.
– Oui, je jurerai cela.
– Jurez que rien de ce que vous avez surpris relativement à nos réunions politiques ne sera jamais divulgué par vous.
– Je jurerai encore cela.
– Avec le serment et dans la forme que j’indiquerai?
– Oui; est-ce tout?
– Non, jurez – et c’est là le principal, Lorenza, car aux autres serments ma vie seulement est attachée; à celui que je vais vous dire est attaché mon bonheur -, jurez que jamais vous ne vous séparerez de moi, Lorenza. Jurez, et vous êtes libre.
La jeune femme tressaillit, comme si un fer glacé eût pénétré jusqu’à son cœur.
– Et sous quelle forme ce serment doit-il être fait?