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– Mon amie!… m’entendez-vous?… Si vous m’entendez, tirez le cordon de la sonnette et sonnez deux fois.

Balsamo attendit l’effet de ces paroles en regardant le duc et la comtesse, qui ouvraient d’autant plus les oreilles et les yeux qu’ils ne pouvaient comprendre ce que disait le comte.

La sonnette vibra nettement à deux reprises.

La comtesse bondit sur son sofa, le duc s’essuya le front avec son mouchoir.

– Puisque vous m’entendez, poursuivit Balsamo dans le même idiome, poussez le bouton de marbre qui figure l’œil droit du lion sur la sculpture de la cheminée, la plaque s’ouvrira; passez par cette plaque, traversez ma chambre, descendez l’escalier, et venez jusque dans la chambre attenante à celle où je suis.

Un moment après, un bruit léger comme un souffle insaisissable, comme un vol de fantôme, avertit Balsamo que ses ordres avaient été compris et exécutés.

– Quelle est cette langue? dit Richelieu jouant l’assurance; la langue cabalistique?

– Oui, monsieur le duc, le dialecte usité pour l’évocation.

– Vous avez dit que nous comprendrions?

– Ce que dirait la voix, oui; mais non pas ce que je dirais, moi.

– Et le diable est venu?

– Qui vous a parlé du diable, monsieur le duc?

– Mais il me semble qu’on n’évoque que le diable.

– Tout ce qui est esprit supérieur, être surnaturel, peut être évoqué.

– Et l’esprit supérieur, l’être surnaturel…?

Balsamo étendit la main vers la tapisserie qui fermait la porte de la chambre voisine.

– Est en communication directe avec moi, monseigneur.

– J’ai peur, dit la comtesse; et vous, duc?

– Ma foi, comtesse, je vous avoue que j’aimerais presque autant être à Mahon ou à Philippsburg.

– Madame la comtesse, et vous, monsieur le duc, veuillez écouter, puisque vous voulez entendre, dit sévèrement Balsamo.

Et il se tourna vers la porte.

Chapitre LXXXV La voix

Il y eut un moment de silence solennel, puis Balsamo demanda en français:

– Êtes-vous là?

– J’y suis, répondit une voix pure et argentine qui, perçant les tentures et les portières, retentit aux oreilles des assistants plutôt comme un timbre métallique que comme les accents d’une voix humaine.

– Peste! voilà qui devient intéressant, dit le duc; et tout cela sans flambeaux, sans magie, sans flammes du Bengale.

– C’est effrayant! murmura la comtesse.

– Faites bien attention à mes interrogations, continua Balsamo.

– J’écoute de tout mon être.

– Dites-moi d’abord combien de personnes sont avec moi en ce moment?

– Deux.

– De quel sexe?

– Un homme et une femme.

– Lisez dans ma pensée le nom de l’homme.

– M. le duc de Richelieu.

– Et celui de la femme?

– Madame la comtesse du Barry.

– Ah! ah! murmura le duc, c’est assez fort ceci!

– C’est-à-dire, murmura la comtesse tremblante, c’est-à-dire que je n’ai rien vu de pareil.

– Bien, fit Balsamo; maintenant, lisez la première phrase de la lettre que je tiens.

La voix obéit.

La comtesse et le duc se regardaient avec un étonnement qui commençait à toucher à l’admiration.

– Cette lettre, que j’ai écrite sous votre dictée, qu’est-elle devenue?

– Elle court.

– De quel côté?

– Du côté de l’occident.

– Est-elle loin?

– Oh! oui, bien loin, bien loin.

– Qui la porte?

– Un homme vêtu d’une veste verte, coiffé d’un bonnet de peau, chaussé de grandes bottes.

– Est-il à pied ou à cheval?

– Il est à cheval.

– Quel cheval monte-t-il?

– Un cheval pie.

– Où le voyez-vous?

Il y eut un moment de silence.

– Regardez, dit impérieusement Balsamo.

– Sur une grande route plantée d’arbres.

– Mais sur quelle route?

– Je ne sais, toutes les routes se ressemblent.

– Quoi! rien ne vous indique quelle est cette route, pas un poteau, pas une inscription, rien?

– Attendez, attendez: une voiture passe près de cet homme à cheval; elle le croise, venant vers moi.

– Quelle espèce de voiture?

– Une lourde voiture pleine d’abbés et de militaires.

– Une patache, murmura Richelieu.

– Cette voiture ne porte aucune inscription? demanda Balsamo.

– Si fait, répondit la voix.

– Lisez.

– Sur la voiture, je lis Versailles en lettres jaunes presque effacées.

– Quittez cette voiture, et suivez le courrier.

– Je ne le vois plus.

– Pourquoi ne le voyez-vous plus?

– Parce que la route tourne.

– Tournez la route et rejoignez-le.

– Oh! il court de toute la force de son chevaclass="underline" il regarde à sa montre.

– Que voyez-vous en avant du cheval?

– Une longue avenue, des bâtiments superbes, une grande ville.

– Suivez toujours.

– Je le suis.

– Eh bien?

– Le courrier frappe toujours son cheval à coups redoublés; l’animal est trempé de sueur; ses fers font sur le pavé un bruit qui fait retourner tous les passants. Ah! le courrier entre dans une longue rue qui va en descendant. Il tourne à droite. Il ralentit le pas de son cheval. Il s’arrête à la porte d’un vaste hôtel.

– C’est ici qu’il faut le suivre avec attention, entendez-vous?

La voix poussa un soupir.

– Vous êtes fatiguée. Je comprends cela.

– Oh! brisée.

– Que cette fatigue disparaisse, je le veux.

– Ah!

– Eh bien?

– Merci.

– Êtes-vous fatiguée encore?

– Non.

– Voyez-vous toujours le courrier?

– Attendez… Oui, oui, il monte un grand escalier de pierre. Il est précédé par un valet en livrée bleu et or. Il traverse de grands salons pleins de dorures. Il arrive à un cabinet éclairé. Le laquais ouvre la porte et se retire.