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– Moi, monsieur le maréchal? s’écria Nicole toute rougissante et en faisant un pas en arrière.

– Hein! fit celui-ci, n’es-tu point Nicole Legay, par hasard?

– Si fait, monsieur le maréchal.

– Eh bien, Nicole Legay a un amant.

– Oh! par exemple!

– Oui, ma foi, un certain drôle assez bien tourné, qu’elle recevait rue Coq-Héron, et qui l’a suivie aux environs de Versailles.

– Monsieur le duc, je vous jure…

– Une sorte d’exempt qu’on appelle… Veux-tu que je te dise, petite, comment on appelle l’amant de mademoiselle Nicole Legay?

Le dernier espoir de Nicole était que le maréchal ignorât le nom de ce bienheureux mortel.

– Ma foi, dites, monsieur le maréchal, fit-elle, puisque vous êtes en train.

– Qui s’appelle M. de Beausire, répéta le maréchal, et qui, en vérité, ne dément pas trop son nom.

Nicole joignit les mains avec une affectation de pruderie qui n’imposa pas le moins du monde au vieux maréchal.

– Il paraît, dit-il, que nous lui donnons des rendez-vous à Trianon. Peste! dans un château royal, c’est grave; on est chassée pour ces sortes de fredaines, ma belle enfant, et M. de Sartine envoie toutes les filles chassées des châteaux royaux à la Salpêtrière.

Nicole commença de s’inquiéter.

– Monseigneur, dit-elle, je vous jure que, si M. de Beausire se vante d’être mon amant, c’est un fat et un vilain; car, en vérité, je suis bien innocente.

– Je ne dis pas non, dit Richelieu; mais as-tu donné, oui ou non, des rendez-vous?

– Monsieur le duc, un rendez-vous n’est pas une preuve.

– As-tu donné, oui ou non, des rendez-vous? Réponds.

– Monseigneur…

– Tu en as donné, c’est très bien; je ne te blâme pas, ma chère enfant; d’ailleurs, j’aime les jolies filles qui font circuler leur beauté et j’ai toujours de mon mieux aidé à la circulation; seulement, comme ton ami, comme ton protecteur, je t’avertis charitablement.

– Mais on m’a donc vue? demanda Nicole.

– Apparemment, puisque je le sais.

– Monseigneur, dit Nicole d’un ton résolu, on ne m’a pas vue, c’est impossible.

– Je n’en sais rien, mais le bruit en court, et cela donne un assez vilain relief à ta maîtresse; et tu comprends que, comme je suis encore plus l’ami de la famille Taverney que de la famille Legay, il est de mon devoir de dire deux mots de ce qui se passe au baron.

– Ah! monseigneur, s’écria Nicole, effrayée de la tournure que prenait la conversation, vous me perdez; même innocente, je serai chassée rien que sur le soupçon.

– Eh bien, pauvre enfant, tu seras chassée alors; car, à l’heure qu’il est, je ne sais plus quel mauvais esprit, ayant trouvé quelque chose à redire à ces rendez-vous, tout innocents qu’ils sont, en a dû prévenir madame de Noailles.

– Madame de Noailles! grand Dieu!

– Oui, tu vois que la chose devient pressante.

Nicole frappa ses deux mains l’une contre l’autre avec désespoir.

– C’est malheureux, je le sais bien, dit Richelieu; mais que diable veux-tu y faire?

– Et vous qui vous disiez tout à l’heure mon protecteur, vous qui m’avez prouvé que vous l’étiez, vous ne pouvez plus me protéger? demanda Nicole avec la ruse câline qu’y eût mise une femme de trente ans.

– Si, pardieu! je le puis.

– Eh bien, monseigneur?…

– Oui, mais je ne le veux pas.

– Oh! monsieur le duc!

– Oui, tu es gentille, je sais cela; et tes beaux yeux me disent toutes sortes de choses; mais je deviens tant soit peu aveugle, ma pauvre Nicole, et je ne comprends plus le langage des beaux yeux. Jadis, je t’eusse proposé de te donner asile au pavillon de Hanovre; mais, aujourd’hui, à quoi bon? on n’en jaserait même plus.

– Vous m’y avez cependant déjà emmenée, au pavillon de Hanovre, dit Nicole avec dépit.

– Ah! que tu as mauvaise grâce, Nicole, de me reprocher de t’avoir emmenée à mon hôtel, quand j’ai fait cela pour te rendre service; car, enfin, avoue que, sans l’eau de M. Rafté, qui a fait de toi une charmante brune, tu n’entrais pas à Trianon; ce qui, au reste, valait mieux, peut-être, que d’en être chassée; mais aussi pourquoi diable donner comme cela des rendez-vous à M. de Beausire, et à la grille des écuries encore!

– Ainsi, vous savez même cela? dit Nicole, qui vit bien qu’il fallait changer de tactique et se mettre à la discrétion entière du maréchal.

– Parbleu! tu vois bien que je le sais, et madame de Noailles aussi. Tiens, ce soir encore, tu avais rendez-vous…

– C’est vrai, monsieur le duc; mais, foi de Nicole, je n’irai pas.

– Sans doute, tu es prévenue; mais M. de Beausire ira, lui qui n’est pas prévenu, et on le prendra. Alors, comme tout naturellement il ne voudra pas passer pour un voleur qu’on pend, ou un espion qu’on bâtonne, il aimera mieux dire, d’autant plus que la chose n’est pas désagréable à avouer: «Laissez-moi, je suis l’amant de la petite Nicole.»

– Monsieur le duc, je vais le faire prévenir.

– Impossible, pauvre enfant; et par qui, je te le demande; par celui qui t’a dénoncée, peut-être?

– Hélas! c’est vrai, dit Nicole jouant le désespoir.

– Comme c’est beau, le remords! s’écria Richelieu.

Nicole se cacha le visage dans ses deux mains, en observant bien de laisser passer assez de jour entre ses doigts pour ne pas perdre un geste, un regard de Richelieu.

– Tu es adorable, en vérité, dit le duc, à qui aucune de ces petites roueries féminines n’échappait; que n’ai-je cinquante ans de moins! Mais n’importe, palsambleu! Nicole, je veux te tirer de là.

– Oh! monsieur le duc, si vous faites ce que vous dites, ma reconnaissance…

– Je n’en veux pas, Nicole. Je te rendrai service sans intérêts, au contraire.

– Ah! c’est bien beau à vous, monseigneur, et du fond de mon cœur je vous en remercie.

– Ne me remercie pas encore. Tu ne sais rien. Que diable! attends que tu saches.

– Tout me sera bon, monsieur le duc, pourvu que mademoiselle Andrée ne me chasse pas.

– Ah! mais tu tiens donc énormément à rester à Trianon?

– Par-dessus tout, monsieur le duc.

– Eh bien, Nicole, ma jolie fille, raye ce premier point de dessus tes tablettes.