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Richelieu se mordit une seconde fois les lèvres, mais plus fort cette fois que la première.

– Eh bien, si j’ai pensé à cela, drôlesse, j’ai aussi pensé à prévenir l’événement.

– Et comment empêcherez-vous que mademoiselle m’appelle?

– En l’empêchant de s’éveiller.

– Bah! elle s’éveille dix fois par nuit; impossible.

– Elle a donc la même maladie que moi? dit Richelieu avec calme.

– Que vous? répéta Nicole en riant.

– Sans doute, puisque je me réveille dix fois aussi, moi. Seulement, je remédie à ces insomnies. Elle fera comme moi; et, si elle ne le fait pas, tu le feras pour elle, toi.

– Voyons, dit Nicole, comment cela, je vous prie, monseigneur?

– Que prend ta maîtresse, chaque soir, avant de se coucher?

– Ce qu’elle prend?

– Oui; c’est la mode aujourd’hui de prévenir ainsi la soif: les uns prennent de l’orangeade ou de l’eau de limon, les autres de l’eau de mélisse, les autres…

– Mademoiselle ne boit, le soir, avant de se coucher, qu’un verre d’eau pure, quelquefois sucrée et parfumée avec de la fleur d’oranger, si ses nerfs sont malades.

– Oh! merveille, dit Richelieu, c’est comme moi; eh bien, mon remède va lui convenir parfaitement.

– Comment cela?

– Sans doute, je verse une certaine goutte de certaine liqueur dans ma boisson et je dors toute la nuit.

Nicole cherchait, rêvait à quoi pouvait aboutir cette diplomatie du maréchal.

– Tu ne réponds pas? dit-il.

– Je pense que mademoiselle n’a pas de votre eau.

– Je t’en donnerai.

– Ah! ah! pensa Nicole, qui voyait enfin une lumière dans cette nuit.

– Tu en verseras deux gouttes dans le verre de ta maîtresse, deux gouttes, entends-tu? pas plus, pas moins, et elle dormira; de sorte qu’elle ne t’appellera pas et que, par conséquent, tu auras le temps de fuir.

– Oh! s’il n’y a que cela à faire, ce n’est point difficile.

– Tu verseras donc ces deux gouttes?

– Certainement.

– Tu me le promets?

– Mais, dit Nicole, il me semble que c’est mon intérêt de les verser; et puis, d’ailleurs, j’enfermerai si bien mademoiselle…

– Non pas, dit vivement Richelieu. Voilà justement ce qu’il ne faut pas que tu fasses. Tu laisseras, au contraire, la porte de sa chambre ouverte.

– Ah! fit Nicole avec une explosion tout intérieure.

Elle avait compris. Richelieu le sentit bien.

– C’est tout? demanda-t-elle.

– Absolument tout. Maintenant, tu peux aller dire à ton exempt de faire ses malles.

– Malheureusement, monseigneur, je n’aurai pas besoin de lui dire de prendre sa bourse.

– Tu sais bien que c’est moi que cela regarde.

– Oui, je me rappelle que monseigneur a eu la bonté…

– Combien te faut-il, voyons, Nicole?

– Pourquoi faire?

– Pour verser ces deux gouttes d’eau.

– Pour verser ces deux gouttes d’eau, monseigneur, puisque vous m’assurez que je les verse dans mon intérêt, il ne serait pas juste que vous me payassiez mon intérêt. Mais pour laisser la porte de mademoiselle ouverte, monseigneur, oh! je vous en préviens, il me faut une somme ronde.

– Achève, dis ton chiffre.

– Il me faut vingt mille francs, monseigneur.

Richelieu tressaillit.

– Nicole, tu iras loin, soupira-t-il.

– Il le faudra bien, monseigneur, car je commence à croire, comme vous, que l’on courra après moi. Mais, avec vos vingt mille francs, je ferai du chemin.

– Va prévenir M. de Beausire, Nicole; ensuite, je te compterai ton argent.

– Monseigneur, M. de Beausire est fort incrédule, et il ne voudra pas croire à ce que je lui dirai, si je ne lui donne pas de preuves.

Richelieu tira de sa poche une poignée de billets de caisse.

– Voici un acompte, dit-il, et dans cette bourse il y a cent doubles louis.

– Monseigneur fera son compte et me remettra ce qu’il me redoit quand j’aurai parlé à M. de Beausire, alors?

– Non, pardieu! je veux le faire tout de suite. Tu es une fille économe, Nicole, cela te portera bonheur.

Et Richelieu parfit la somme promise, tant en billets de caisse qu’en louis et en demi-louis.

– Là, dit-il, est-ce bien cela?

– Je le crois, dit Nicole. Maintenant, monseigneur, il me manque la chose principale.

– La liqueur?

– Oui; monseigneur a sans doute un flacon?

– J’ai le mien que je porte toujours sur moi.

Nicole sourit.

– Et puis, dit-elle, on ferme Trianon chaque soir et je n’ai pas de clef.

– Mais, moi, j’en ai une, en ma qualité de premier gentilhomme.

– Ah! vraiment?

– La voici.

– Comme tout cela est heureux, dit Nicole; on dirait une enfilade de miracles. Maintenant, adieu, monsieur le duc.

– Comment, adieu?

– Certainement, je ne reverrai pas monseigneur, puisque je partirai pendant le premier sommeil de mademoiselle.

– C’est juste. Adieu, Nicole.

Et Nicole, en riant sous cape, disparut dans l’obscurité qui commençait à s’épaissir.

– Je réussis encore, dit Richelieu; mais, en vérité, on dirait que la fortune commence à me trouver trop vieux et me sert à contre-cœur. J’ai été battu par cette petite; mais qu’importe, si je rends les coups!

Chapitre CXIX La fuite

Nicole était une fille consciencieuse: elle avait reçu l’argent de M. de Richelieu, elle l’avait reçu d’avance, il fallait répondre à cette confiance en le gagnant.

Elle avait donc couru droit à la grille, où elle était arrivée à sept heures quarante minutes au lieu de sept heures et demie.

Or, M. de Beausire, façonné à la discipline militaire, était un homme exact: il attendait depuis dix minutes.

Depuis dix minutes aussi à peu près, M. de Taverney avait quitté sa fille et, M. de Taverney une fois parti, Andrée était restée seule. Or, une fois seule, la jeune fille avait fermé ses rideaux.

Gilbert regardait, ou plutôt, selon son habitude, dévorait Andrée de sa mansarde. Seulement, il eût été difficile de dire si les regards qu’il fixait sur la jeune fille étincelaient d’amour ou de haine.