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– Brune? blonde?

– Brune.

– Grande? petite?

– Petite.

– C’est sa sœur. Écoute ce qu’elle va dire.

– Elle veut qu’on mette les chevaux à la voiture.

– Pour aller où?

– Pour venir ici.

– Tu en es sûre?

– Elle en donne l’ordre. Tiens, on obéit; je vois les chevaux, le carrosse; dans deux heures, elle sera ici.

Balsamo tomba à genoux.

– Oh! s’écria-t-il, si dans deux heures elle est effectivement ici, je n’aurai plus rien à vous demander, mon Dieu, que d’avoir pitié de mon bonheur.

– Pauvre ami, dit-elle, tu craignais donc?

– Oui, oui.

– Et que pouvais-tu craindre? L’amour, qui complète l’existence physique, agrandit aussi l’existence morale. L’amour, comme toute passion généreuse, rapproche de Dieu, et de Dieu vient toute lumière.

– Lorenza, Lorenza, tu me rendras fou de joie.

Et Balsamo laissa tomber sa tête sur les genoux de la jeune femme.

Balsamo attendait une nouvelle preuve pour être complètement heureux.

Cette preuve, c’était l’arrivée de madame du Barry.

Ces deux heures d’attente furent courtes; la mesure du temps avait complètement disparu pour Balsamo.

Tout à coup la jeune femme tressaillit; elle tenait la main de Balsamo.

– Tu doutes, encore, dit-elle, et tu voudrais savoir où elle est à ce moment?

– Oui, dit Balsamo, c’est vrai.

– Eh bien, elle suit le boulevard à grande course de chevaux, elle approche, elle entre dans la rue Saint-Claude, elle s’arrête devant la porte, elle frappe.

La chambre où tous deux étaient enfermés était si retirée, si sourde, que le bruit du marteau de cuivre n’arriva point jusqu’à la porte.

Mais Balsamo, dressé sur un genou, ne demeura pas moins écoutant.

Deux coups frappés par Fritz le firent bondir; deux coups, on se le rappelle, étaient le signal d’une visite importante.

– Oh! dit-il, c’est donc vrai!

– Va t’en assurer, Balsamo; mais reviens vite.

Balsamo s’élança vers la cheminée.

– Laisse-moi te reconduire, dit Lorenza, jusqu’à la porte de l’escalier.

– Viens.

Tous deux repassèrent dans la chambre aux fourrures.

– Tu ne quitteras pas cette chambre? demanda Balsamo.

– Non, puisque je t’attends. Oh! sois tranquille, cette Lorenza qui t’aime n’est pas, tu le sais bien, la Lorenza que tu crains. D’ailleurs…

Elle s’arrêta en souriant.

– Quoi? demanda Balsamo.

– Ne vois-tu donc pas dans mon âme comme je vois dans la tienne?

– Hélas! non.

– D’ailleurs, ordonne-moi de dormir jusqu’à ton retour; ordonne-moi de rester immobile sur ce sofa, et je dormirai, et je resterai immobile.

– Eh bien, soit, ma Lorenza chérie, dors et attends-moi.

Lorenza, luttant déjà contre le sommeil, colla dans un dernier baiser ses lèvres contre les lèvres de Balsamo, et s’en alla chancelante tomber à demi renversée sur le sofa, en murmurant:

– À bientôt, mon Balsamo, à bientôt, n’est-ce pas?

Balsamo la salua de la main; Lorenza dormait déjà.

Mais si belle, si pure avec ses longs cheveux dénoués, sa bouche entrouverte, la rougeur fébrile de ses joues et ses yeux noyés – mais si loin de ressembler à une femme, que Balsamo revint près d’elle, lui prit la main, baisa ses bras et son cou, mais n’osa baiser ses lèvres.

Deux autres coups retentirent; la dame s’impatientait, ou Fritz craignait que son maître n’eût pas entendu.

Balsamo s’élança vers la porte.

Comme il la refermait derrière lui, il crut entendre un second craquement pareil à celui qu’il avait déjà entendu; il rouvrit la porte, regarda autour de lui et ne vit rien.

Rien que Lorenza couchée et haletante sous le poids de son amour.

Balsamo ferma la porte et courut vers le salon sans inquiétude, sans crainte, sans pressentiment, emportant le paradis dans son cœur.

Balsamo se trompait: ce n’était pas seulement l’amour qui oppressait la poitrine de Lorenza et faisait son souffle haletant.

C’était une espèce de rêve, qui semblait tenir à cette léthargie dans laquelle elle était plongée, léthargie si voisine de la mort.

Lorenza rêvait, et, dans le hideux miroir des sinistres songes, il lui semblait voir au milieu de l’obscurité qui commençait à tout assombrir, il lui semblait voir le plafond de chêne s’ouvrir circulairement, et quelque chose comme une grande rosace s’en détacher et descendre avec un mouvement égal, lent, mesuré, accompagné d’un sifflement lugubre; il lui semblait que l’air lui manquait peu à peu, comme si elle eût été près d’être étouffée sous la pression de ce cercle mouvant.

Il lui semblait enfin, sur cette espèce de trappe mobile, voir s’agiter quelque chose d’informe comme le Caliban de LaTempête, un monstre à visage humain – un vieillard – dont les yeux et les bras seuls étaient vivants, et qui la regardait avec ses yeux effrayants, et qui tendait vers elle ses bras décharnés.

Et elle, la pauvre enfant, elle se tordait en vain sans pouvoir fuir, sans rien deviner du danger qui la menaçait, sans rien sentir, sinon l’étreinte de deux crampons vivants dont l’extrémité saisissait sa robe blanche, l’enlevait à son sofa et la transportait sur la trappe, qui remontait lentement, lentement vers le plafond, avec ce grincement lugubre du fer glissant contre le fer, et un rire hideux, strident, qui s’échappait de la bouche hideuse de ce monstre à face humaine qui l’emportait vers le ciel, sans secousse et sans douleur.

Chapitre CXXX Le philtre

Comme l’avait prédit Lorenza, c’était madame du Barry qui venait de frapper à la porte.

La belle courtisane avait été introduite dans le salon. Elle attendait Balsamo en feuilletant ce livre curieux de la mort, gravé à Mayence, et dont les planches, dessinées avec un art merveilleux, montrent la mort présidant à toutes les actions de la vie de l’homme, l’attendant à la porte du bal où il vient de serrer la main de la femme qu’il aime, l’attirant au fond de l’eau dans laquelle il se baigne, ou se cachant dans le canon du fusil qu’il emporte à la chasse.

Madame du Barry en était à la planche qui représente une belle femme se fardant et se mirant, lorsque Balsamo poussa la porte et vint la saluer avec le sourire du bonheur épanoui sur tout son visage.