– C’est un ami à vous, à ce qu’il paraît, qui me fait l’honneur de me visiter?
– Comme vous dites, un ami à moi.
– Et je lui rendrai ce coffret?
– Oui, cher monsieur de Sartine, vous le lui rendrez.
Le lieutenant de police n’avait pas achevé un geste de suprême dédain, lorsqu’un valet empressé ouvrit la porte et annonça que madame la comtesse du Barry demandait une audience à monseigneur.
M. de Sartine tressaillit et regarda, stupéfait, Balsamo, qui usait de toute sa puissance sur lui-même pour ne pas rire au nez de l’honorable magistrat.
En ce moment, derrière le valet, une femme qui ne croyait pas avoir besoin de permission entra, rapide et toute parfumée; c’était la belle comtesse, dont les jupes ondoyantes frôlèrent avec un doux bruit la porte du cabinet.
– Vous, madame, vous! murmura M. de Sartine, qui, par un reste de terreur, avait saisi dans ses mains et serrait sur sa poitrine le coffret encore ouvert.
– Bonjour, Sartine, dit la comtesse avec son gai sourire.
Puis, se tournant vers Balsamo:
– Bonjour, cher comte, ajouta-t-elle.
Et elle tendit sa main à ce dernier, qui s’inclina familièrement sur cette main blanche et posa ses lèvres où s’étaient tant de fois posées les lèvres royales.
Dans ce mouvement, Balsamo avait eu le temps de proférer tout bas trois ou quatre paroles que n’avait pu entendre M. de Sartine.
– Ah! justement, s’écria la comtesse, voilà mon coffret.
– Votre coffret! balbutia M. de Sartine.
– Sans doute, mon coffret. Tiens, vous l’avez ouvert, vous ne vous gênez pas!
– Mais, madame…
– Oh! c’est charmant, j’en avais eu l’idée… On m’avait volé ce coffret; alors je me suis dis: «Il faut que j’aille chez Sartine, il me le retrouvera.» Vous l’avez retrouvé auparavant, merci.
– Et, comme vous le voyez, dit Balsamo, monsieur l’a même ouvert.
– Oui, vraiment!… A-t-on imaginé cela? Mais c’est odieux, Sartine.
– Madame, sauf tout le respect que j’ai pour vous, dit le lieutenant de police, j’ai peur que vous ne vous en laissiez imposer.
– Imposer, monsieur! dit Balsamo; est-ce pour moi, par hasard, que vous dites ce mot?
– Je sais ce que je sais, répliqua M. de Sartine.
– Et moi, je ne sais rien, dit tout bas madame du Barry à Balsamo. Voyons, qu’y a-t-il, cher comte? Vous avez réclamé la promesse que je vous ai faite de vous accorder la première demande que vous me feriez. J’ai de la parole comme un homme; me voici. Voyons, que voulez-vous de moi?
– Madame, répondit tout haut Balsamo, vous m’avez, il y a peu de jours, confié cette cassette et tout ce qu’elle renferme.
– Mais sans doute, dit madame du Barry, répondant par un regard au regard du comte.
– Sans doute! s’écria M. de Sartine; vous dites sans doute, madame?
– Mais oui, et madame a prononcé ces paroles assez haut pour que vous les ayez entendues.
– Une cassette qui renferme dix conspirations peut-être!
– Ah! monsieur de Sartine, vous savez bien que vous n’avez pas de bonheur avec ce mot; ne le répétez donc pas. Madame vous redemande sa cassette, rendez-la-lui, voilà tout.
– Vous me la redemandez, madame? dit en tremblant de colère M. de Sartine.
– Oui, cher magistrat.
– Mais, au moins, sachez…
Balsamo regarda la comtesse.
– Je n’ai rien à savoir que je ne sache, dit madame du Barry; rendez-moi le coffret; je ne me suis pas dérangée pour rien, comprenez-vous?
– Au nom du Dieu vivant, au nom de l’intérêt de Sa Majesté, madame…
Balsamo fit un geste d’impatience.
– Ce coffret, monsieur! dit brièvement la comtesse, ce coffret, oui ou non! Réfléchissez avant de dire non.
– Comme il vous plaira, madame, dit humblement M. de Sartine.
Et il tendit à la comtesse le coffret, dans lequel Balsamo avait déjà fait rentrer tous les papiers épars sur le bureau.
Madame du Barry se tourna vers ce dernier avec un charmant sourire.
– Comte, dit-elle, voulez-vous me porter ce coffret jusqu’à mon carrosse et m’offrir la main pour que je ne traverse pas seule toutes ces antichambres meublées de si vilains visages? – Merci, Sartine.
Et Balsamo se dirigeait déjà vers la porte avec sa protectrice, quand il vit M. de Sartine se diriger, lui, vers la sonnette.
– Madame la comtesse, dit Balsamo en arrêtant son ennemi du regard, soyez assez bonne pour dire à M. de Sartine, qui m’en veut énormément de ce que je lui ai réclamé votre cassette, soyez assez bonne pour lui dire combien vous seriez désespérée s’il m’arrivait quelque malheur par le fait de M. le lieutenant de police, et combien vous lui en sauriez mauvais gré.
La comtesse sourit à Balsamo.
– Vous entendez ce que dit M. le comte, mon cher Sartine? Eh bien, c’est la pure vérité; M. le comte est un excellent ami à moi, et je vous en voudrais mortellement si vous lui déplaisiez en quelque chose que ce fût. Adieu, Sartine.
Et, cette fois, la main dans celle de Balsamo, qui emportait le coffret, madame du Barry quitta le cabinet du lieutenant de police.
M. de Sartine les vit partir tous deux sans montrer cette fureur que Balsamo s’attendait à voir éclater.
– Va! murmura le magistrat vaincu; va, tu tiens la cassette; mais, moi, je tiens la femme!
Et, pour se dédommager, il sonna de façon à briser toutes les sonnettes.
Chapitre CXXVI Où M. de Sartine commence à croire que Balsamo est sorcier
Au tintement précipité de la sonnette de M. de Sartine, un huissier accourut.
– Eh bien, demanda le magistrat, cette femme?
– Quelle femme, monseigneur?
– Cette femme qui s’est évanouie ici, et que je vous ai confiée?
– Monseigneur, elle se porte à merveille, répliqua l’huissier.
– Très bien; amenez-la-moi.
– Où faut-il l’aller chercher, monseigneur?
– Comment! mais dans cette chambre.
– Elle n’y est plus, monseigneur.
– Elle n’y est plus! Où est-elle donc, alors?
– Je n’en sais rien.
– Elle est partie?
– Oui.
– Toute seule?
– Oui.
– Mais elle ne pouvait se soutenir.
– Monseigneur, c’est vrai, elle demeura quelques instants évanouie; mais, cinq minutes après que M. de Fœnix eut été introduit dans le cabinet de monseigneur, elle se réveilla de cet étrange évanouissement auquel ni essences ni sels n’avaient apporté de remède. Alors elle ouvrit les yeux, se leva au milieu de nous tous, et respira d’un air de satisfaction.