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– Après?

– Après, elle se dirigea vers la porte; et, comme monseigneur n’avait en rien ordonné qu’on la retînt, elle est partie.

– Partie? s’écria M. de Sartine. Ah! malheureux que vous êtes! je vous ferai tous périr à Bicêtre! Vite, vite, qu’on m’envoie mon premier agent!

L’huissier sortit vivement pour obéir à l’ordre qu’il venait de recevoir.

– Le misérable est sorcier, murmura l’infortuné magistrat. Je suis lieutenant de police du roi, moi; il est lieutenant de police du diable, lui.

Le lecteur a déjà compris, sans doute, ce que M. de Sartine ne pouvait s’expliquer. Aussitôt après la scène du pistolet, et tandis que le lieutenant de police essayait de se remettre, Balsamo, profitant de ce moment de répit, s’était orienté, et, se tournant successivement vers les quatre points cardinaux, bien sûr de rencontrer Lorenza vers l’un d’eux, il avait ordonné à la jeune femme de se lever, de sortir, et de retourner par le même chemin qu’elle avait déjà pris, c’est-à-dire rue Saint-Claude.

Aussitôt cette volonté formulée dans l’esprit de Balsamo, un courant magnétique s’était établi entre lui et la jeune femme, laquelle, obéissant à l’ordre qu’elle recevait par intuition, s’était levée et retirée sans que personne s’opposât à son départ.

M. de Sartine, le soir même, se mit au lit et se fit saigner; la révolution avait été trop forte pour qu’il put la supporter impunément, et un quart d’heure de plus, assura le médecin, il eût succombé à une attaque d’apoplexie.

Pendant ce temps, Balsamo avait reconduit la comtesse à son carrosse, et avait essayé de prendre congé d’elle; mais elle n’était pas femme à le quitter ainsi sans savoir, ou tout au moins sans chercher à savoir le mot de l’étrange événement qui venait de s’accomplir sous ses yeux.

Elle pria donc le comte de monter près d’elle; le comte obéit, et un piqueur emmena Djérid en main.

– Vous voyez, comte, si je suis loyale, dit-elle, et si, quand j’ai appelé quelqu’un mon ami, j’ai dit la parole avec la bouche ou avec le cœur. J’allais retourner à Luciennes, où le roi m’a dit qu’il devait venir me voir demain matin; mais votre lettre est venue et j’ai tout quitté pour vous. Beaucoup se fussent épouvantés de ces mots de conspirations et de conspirateurs que M. de Sartine nous jetait au visage; mais je vous ai regardé avant que d’agir et j’ai fait selon vos vœux.

– Madame, répondit Balsamo, vous avez payé amplement le faible service que j’ai pu vous rendre; mais avec moi rien n’est perdu; je sais être reconnaissant, vous vous en apercevrez. Ne croyez pas cependant que je sois un coupable, un conspirateur, comme dit M. de Sartine. Ce cher magistrat avait reçu des mains de quelqu’un qui me trahit ce coffret plein de mes petits secrets chimiques, secrets, madame la comtesse, que je veux vous faire partager, pour que vous conserviez cette immortelle, cette splendide beauté, cette éblouissante jeunesse. Or, voyant les chiffres de mes formules, le cher M. de Sartine a appelé à son aide la chancellerie, laquelle, pour ne pas se laisser prendre en défaut, a interprété mes chiffres à sa manière. Je crois vous l’avoir dit une fois, madame, le métier n’est pas encore affranchi de tous les périls qui l’entouraient au Moyen Âge; il n’y a que les esprits intelligents et jeunes comme le vôtre qui lui soient favorables. Bref, madame, vous m’avez sauvé d’un embarras; je vous en témoigne et vous en prouverai ma reconnaissance.

– Mais que vous eût-il donc fait si je ne fusse pas venue à votre secours?

– Il m’eût, pour faire pièce au roi Frédéric, que Sa Majesté déteste, renfermé à Vincennes ou à la Bastille. J ’en serais sorti, je le sais bien, grâce à mon procédé pour fondre la pierre sous le souffle; mais j’eusse perdu à cela mon coffret, qui renferme, j’ai eu l’honneur de vous le dire, beaucoup de curieuses et d’impayables formules, arrachées par un heureux hasard de la science aux éternelles ténèbres.

– Ah! comte, vous me rassurez et me charmez tout à la fois. Vous me promettez donc un philtre pour rajeunir?

– Oui.

– Et quand me le donnerez-vous?

– Oh! nous ne sommes pas pressés. Vous me le demanderez dans vingt ans, belle comtesse. Maintenant, je pense que vous n’avez pas envie de redevenir enfant.

– Vous êtes un homme charmant, en vérité; mais une dernière question et je vous laisse, car vous me semblez fort pressé.

– Parlez, comtesse.

– Vous m’avez dit que quelqu’un vous avait trahi: est-ce un homme ou une femme?

– C’est une femme.

– Ah! ah! comte: de l’amour!

– Hélas! oui, doublé d’une jalousie qui va jusqu’à la rage, et qui produit les beaux effets que vous avez vus; voilà une femme qui, n’osant me donner un coup de couteau, parce qu’elle sait qu’on ne me tue pas, a voulu me faire enterrer dans une prison ou me ruiner.

– Comment, vous ruiner?

– Elle le croyait du moins.

– Comte, je fais arrêter, dit la comtesse en riant. Est-ce donc au vif-argent qui court dans vos veines que vous devez cette immortalité qui fait qu’on vous dénonce au lieu de vous tuer? Faut-il que je vous descende ici ou que je vous reconduise chez vous?

– Non, madame; ce serait trop de bonté à vous que de vous déranger pour moi de votre chemin. J’ai là mon cheval Djérid.

– Ah! ce merveilleux animal qui dépasse, dit-on, le vent à la course?

– Je vois qu’il vous plaît, madame.

– C’est un magnifique coursier, en effet.

– Permettez-moi de vous l’offrir, à cette condition que vous le monterez seule.

– Oh! non, merci; je ne monte pas à cheval, ou du moins j’y monte fort timidement. Votre intention a donc pour moi tout le mérite du présent. Adieu, cher comte, n’oubliez pas, dans dix ans, mon philtre régénérateur.

– J’ai dit vingt ans.

– Comte, vous connaissez le proverbe: «J’aime mieux tenir…» Et même, si vous pouvez me le donner dans cinq ans… On ne sait pas ce qui peut arriver.

– Quand il vous plaira, comtesse. Ne savez-vous pas que je suis tout à vous?

– Un dernier mot, comte.

– J’écoute, madame.

– Il faut que je vous aie en bien grande confiance pour vous l’adresser.

Balsamo, qui avait déjà mis pied à terre, surmonta son impatience et se rapprocha de la comtesse.