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– On dit partout, continua madame du Barry, que le roi a du goût pour cette petite Taverney.

– Ah! madame, dit Balsamo, est-ce possible?

– Un goût fort vif, à ce qu’on prétend. Il faut que vous me le disiez: si cela est vrai, comte, ne me ménagez pas; comte, traitez-moi en amie, je vous en conjure; comte, dites-moi la vérité.

– Madame, répliqua Balsamo, je ferai plus; je vous garantis, moi, que jamais mademoiselle Andrée ne sera la maîtresse du roi.

– Et pourquoi cela, comte? s’écria madame du Barry.

– Parce que je ne le veux pas, dit Balsamo.

– Oh! fit madame du Barry, incrédule.

– Vous doutez?

– N’est-ce point permis?

– Ne doutez jamais de la science, madame. Vous m’avez cru quand j’ai dit oui; quand je dis non, croyez-moi.

– Mais enfin vous avez donc des moyens…?

Elle s’arrêta en souriant.

– Achevez.

– Des moyens capables d’annihiler la volonté du roi ou de combattre ses caprices?

Balsamo sourit.

– Je crée des sympathies, dit-il.

– Oui, je sais cela.

– Vous y croyez même.

– J’y crois.

– Eh bien, je créerai de même des répugnances, et, au besoin, des impossibilités. Ainsi tranquillisez-vous, comtesse, je veille.

Balsamo répandait tous ces lambeaux de phrases avec un égarement que madame du Barry n’eût pas pris, comme elle le prit, pour de la divination, si elle eut connu toute la soif fiévreuse qu’avait Balsamo de retrouver Lorenza au plus vite.

– Allons, dit-elle, décidément, comte, vous êtes non seulement mon prophète de bonheur, mais encore mon ange gardien. Comte, faites-y bien attention, je vous défendrai, défendez-moi. Alliance! alliance!

– C’est fait, madame, répliqua Balsamo.

Et il baisa encore une fois la main de la comtesse.

Puis, refermant la portière du carrosse, que la comtesse avait fait arrêter aux Champs-Élysées, il monta sur son cheval, qui hennit de joie, et disparut bientôt dans l’ombre de la nuit.

– À Luciennes! cria madame du Barry consolée.

Balsamo, cette fois, fit entendre un léger sifflement, pressa légèrement les genoux et enleva Djérid, qui partit au galop.

Cinq minutes après, il était dans le vestibule de la rue Saint-Claude, regardant Fritz.

– Eh bien? demanda-t-il avec anxiété.

– Oui, maître, répondit le domestique, qui avait l’habitude de lire dans son regard.

– Elle est rentrée?

– Elle est là-haut.

– Dans quelle chambre?

– Dans la chambre aux fourrures.

– Dans quel état?

– Oh! bien fatiguée; elle courait si rapidement que, moi qui la vis venir de loin, parce que je la guettais, je n’eus pas même le temps de courir au devant d’elle.

– En vérité!

– Oh! j’en ai été effrayé; elle est entrée ici comme une tempête; elle a monté l’escalier sans prendre haleine, et tout à coup, en entrant dans la chambre, elle est tombée sur la peau du grand lion noir. Vous la trouverez là.

Balsamo monta précipitamment et trouva, en effet, Lorenza qui se débattait sans force contre les premières convulsions d’une crise nerveuse. Il y avait trop longtemps que le fluide pesait sur elle et la forçait à des actes violents. Elle souffrait, elle gémissait; on eût dit qu’une montagne pesait sur sa poitrine, et que, des deux mains, elle tentait de l’écarter.

Balsamo la regarda un instant d’un œil étincelant de colère, et, l’enlevant entre ses bras, l’emporta dans sa chambre, dont la porte mystérieuse se referma sur lui.

Chapitre CXXVII L’élixir de vie

On sait dans quelles dispositions Balsamo venait de rentrer dans la chambre de Lorenza.

Il s’apprêtait donc à la réveiller pour lui faire les reproches qui couvaient en sa sourde colère, et il était bien décidé à la punir selon les conseils de cette colère, lorsqu’une triple secousse du plafond l’avertit qu’Althotas avait guetté sa rentrée et voulait lui parler.

Cependant Balsamo attendit encore; il espérait ou s’être trompé, ou que le signal n’était qu’accidentel, lorsque l’impatient vieillard réitéra son appel coup sur coup; de sorte que Balsamo, craignant sans doute, soit qu’il ne descendît comme cela lui était arrivé quelquefois, soit que Lorenza, réveillée par une influence contraire à la sienne, ne prît connaissance de quelque nouvelle particularité non moins dangereuse pour lui que ses secrets politiques; de sorte que Balsamo, disons-nous, après avoir, si l’on peut s’exprimer ainsi, chargé Lorenza d’une nouvelle couche de fluide, sortit pour se rendre près d’Althotas.

Il était temps qu’il arrivât; la trappe était déjà à moitié chemin du plafond. Althotas avait quitté son fauteuil roulant et se montrait accroupi sur cette partie mobile du plancher qui s’élevait et descendait.

Il vit sortir Balsamo de la chambre de Lorenza.

Ainsi accroupi, le vieillard était à la fois terrible et hideux à voir.

Sa blanche figure – dans quelques parties de cette figure qui semblaient vivantes encore – s’était empourprée du feu de la colère; ses mains, effilées et noueuses comme celles d’un squelette de main humaine, tremblotaient en cliquetant; ses yeux caves semblaient vaciller dans leur orbite profonde et, dans une langue inconnue même de son élève, il proférait contre lui les invectives les plus violentes.

Sorti de son fauteuil pour faire jouer le ressort, il semblait ne vivre et ne se mouvoir qu’à l’aide de ses deux longs bras, grêles et arrondis comme ceux de l’araignée; et, sortant, comme nous l’avons dit, de sa chambré inaccessible à tous, excepté à Balsamo, il était en train de se transporter dans la chambre inférieure.

Pour que ce faible vieillard, si paresseux, eût quitté son fauteuil, intelligente machine qui lui épargnait toute fatigue; pour qu’il eût consenti à accomplir un de ces actes de la vie vulgaire; pour qu’il se fût donné le souci et la fatigue d’opérer un pareil changement dans ses habitudes, il fallait qu’une extraordinaire surexcitation l’eût fait sortir de sa vie contemplative et forcé de rentrer dans la vie réelle.

Balsamo, surpris en quelque sorte en flagrant délit, s’en montra d’abord étonné, puis inquiet.

– Ah! s’écria Althotas, te voilà, fainéant! te voilà, lâche, qui abandonnes ton maître!

Balsamo, selon son habitude lorsqu’il parlait au vieillard, appela toute sa patience à son aide: