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Tout à coup parut à Versailles l’austère et sinistre figure de Madame Louise de France; elle quittait sa cellule de Saint-Denis pour venir donner aussi à son père des consolations et des soins.

Elle entra pâle et sombre comme la statue de la Fatalité; ce n’était plus une fille pour son père, une sœur pour ses sœurs; elle ressemblait aux prophétesses antiques qui, dans les jours lugubres de l’adversité, venaient crier aux rois éblouis: «Malheur! malheur! malheur!» Elle tomba dans Versailles à une heure du jour où Louis baisait les mains de madame du Barry et les appliquait comme de douces caresses sur son front malade, sur ses joues enflammées.

À son aspect, tout s’enfuit: les sœurs se réfugièrent tremblantes dans la chambre voisine; madame du Barry fléchit le genou et courut à son appartement; les courtisans privilégiés reculèrent jusqu’aux antichambres; les deux médecins seuls demeurèrent au coin de la cheminée.

– Ma fille! murmura le roi en ouvrant ses yeux fermés par la douleur et la fièvre.

– Votre fille, oui, sire, dit la princesse.

– Qui vient…

– De la part de Dieu!

Le roi se souleva, ébauchant un sourire.

– Car vous oubliez Dieu, reprit Madame Louise.

– Moi?…

– Je veux vous le rappeler.

– Ma fille! je ne suis pas assez près de la mort, j’espère, pour qu’une exhortation soit urgente. Ma maladie est légère: une courbature, un peu d’inflammation.

– Votre maladie, sire, interrompit la princesse, est celle qui, d’après l’étiquette, doit réunir au chevet de Sa Majesté les grands prélats du royaume. Quand un membre de la famille royale est atteint de la petite vérole, il doit être administré sur-le-champ.

– Madame!… s’écria le roi fort agité, fort pâle, que dites-vous?

– Madame!… firent les médecins avec terreur.

– Je dis, continua la princesse, que Votre Majesté est atteinte de la petite vérole.

Le roi poussa un cri.

– Les médecins ne l’ont pas dit, répliqua-t-il.

– Ils n’osent; moi, je vois pour Votre Majesté un autre royaume que le royaume de France. Approchez-vous de Dieu, sire, et passez en revue toutes vos années.

– La petite vérole! murmurait Louis XV; maladie mortelle!… Bordeu!… La Martinière!… est-ce donc vrai?

Les deux praticiens baissèrent la tête.

– Mais je suis perdu alors? répéta le roi, plus épouvanté que jamais.

– On guérit de toutes les maladies, sire, dit Bordeu prenant l’initiative, surtout lorsqu’on conserve sa tranquillité d’esprit.

– Dieu donne la tranquillité de l’esprit et le salut du corps, répondit la princesse.

– Madame, dit hardiment Bordeu, quoique à voix basse, vous tuez le roi!

La princesse ne daigna pas répondre. Elle se rapprocha du malade et, lui prenant la main qu’elle couvrit de baisers:

– Rompez avec le passé, sire, dit-elle, et donnez l’exemple à vos peuples. Nul ne vous avertissait; vous couriez risque d’être perdu pour l’éternité. Promettez de vivre en chrétien, si vous vivez; mourez en chrétien, si Dieu vous appelle à lui.

Elle acheva ces mots par un nouveau baiser sur la main royale et reprit à pas lents le chemin des antichambres. Là, elle rabattit son long voile noir sur son visage, descendit les degrés et monta dans son carrosse, laissant derrière elle une stupéfaction, une épouvante dont rien ne saurait donner une idée.

Le roi n’avait pu reprendre ses esprits qu’à force de questionner les médecins; mais il était frappé.

– Je ne veux pas, dit-il, que les scènes de Metz avec la duchesse de Châteauroux se renouvellent; qu’on fasse venir madame d’Aiguillon et qu’on la prie d’emmener à Rueil madame du Barry.

Cet ordre fut l’explosion. Bordeu voulut dire quelques mots; le roi lui imposa silence. Bordeu voyait, d’ailleurs, son collègue prêt à tout rapporter au dauphin; Bordeu savait l’issue de la maladie du roi, il ne lutta pas et, quittant la chambre royale, avertit madame du Barry du coup qui la frappait.

La comtesse, épouvantée de l’aspect sinistre et insultant qu’avaient déjà tous les visages, se hâta de disparaître. En une heure, elle fut hors de Versailles et la duchesse d’Aiguillon, fidèle et reconnaissante amie, emmena la disgraciée au château de Rueil, qui lui venait par héritage du grand Richelieu. Bordeu, de son côté, ferma la porte du roi à toute la famille royale, sous prétexte de contagion. Cette chambre de Louis XV était désormais murée; il n’y devait plus entrer que la religion et la mort. Le roi fut administré le jour même, et cette nouvelle se répandit dans Paris où, déjà, la disgrâce de la favorite était un événement rebattu.

Toute la cour vint se faire annoncer chez le dauphin qui ferma sa porte et ne reçut pas une personne.

Mais, le lendemain, le roi se portait mieux et avait envoyé le duc d’Aiguillon porter ses compliments à madame du Barry.

Ce lendemain, c’était le 9 mai 1774.

La cour déserta le pavillon du dauphin et se porta en telle affluence à Rueil, où la favorite habitait, que, depuis l’exil de M. de Choiseul à Chanteloup, on n’avait vu pareille file de carrosses.

Les choses en étaient donc là. Le roi vivra-t-il et madame du Barry est-elle toujours la reine?

Le roi mourra-t-il et madame du Barry n’est-elle qu’une courtisane exécrable et honteuse?

Voilà pourquoi Versailles, à huit heures du soir, le 9 mai de l’année 1774, présentait un si curieux, un si intéressant spectacle.

Sur la place d’Armes, devant le palais, quelques groupes s’étaient formés devant les grilles, groupes bienveillants et empressés de savoir des nouvelles.

C’étaient des bourgeois de Versailles ou de Paris, qui, avec toute la politesse imaginable, demandaient des nouvelles du roi aux gardes du corps qui arpentaient silencieusement la cour d’honneur, les mains derrière le dos.

Peu à peu ces groupes se dispersèrent: les gens de Paris prirent place dans les pataches pour rentrer paisiblement chez eux; les gens de Versailles, sûrs d’avoir les nouvelles de première main, rentrèrent également dans leurs maisons.

On ne vit plus dans la ville que les patrouilles du guet qui faisaient leur devoir un peu plus mollement que de coutume et ce monde gigantesque qu’on appelle le palais de Versailles s’ensevelit peu à peu dans la nuit et le silence, comme le monde un peu plus grand qui le contient.

À l’angle de la rue bordée d’arbres qui fait face au palais, sur un banc de pierre et sous le feuillage déjà touffu des marronniers, un homme d’un âge avancé était assis ce soir-là, le visage tourné vers le château, sa canne servant d’appui à ses deux mains, qui à leur tour servaient d’appui à sa tête pensive et poétique. C’était pourtant un vieillard courbé, maladif, mais dont l’œil lançait encore une flamme et dont la pensée flamboyait plus ardente encore que les yeux.