Выбрать главу

Ce nest pas un temps chrtien, dit le brave homme. Eh! monsieur, voyez donc voici la voiture qui marche toute seule maintenant; dans cinq minutes elle ira plus vite que nous ne voudrons. Jsus Dieu! voil que nous roulons malgr nous!

En effet le lourd carrosse, pesant sur la croupe des chevaux, qui ne pouvaient plus le soutenir, faute de tenir pied, prit un mouvement de course progressive que la multiplication des pesanteurs changea bientt en une imptueuse rotation.

Les chevaux semportrent de douleur, et lquipage vola comme une flche sur la pente obscure, se rapprochant visiblement du prcipice.

Ce ne fut plus seulement la voix, ce fut aussi la tte du voyageur qui sortit alors de la voiture.

Maladroit! cria-t-il, tu vas nous tuer tous! gauche les guides! gauche, donc!

Eh! monsieur, je voudrais bien vous y voir! rpondit le postillon effar en essayant inutilement de runir ses rnes et de reprendre sur ses chevaux la supriorit quil avait perdue.

Joseph! cria son tour une voix de femme qui se faisait entendre pour la premire fois; Joseph! au secours! au secours! Ah! sainte madone!

Effectivement le danger tait urgent, terrible, suprme, et pouvait motiver cette invocation la Mre de Dieu. La voiture, toujours entrane par son poids et cessant dtre dirige par une main sre, continuait de savancer vers le prcipice, sur lequel un des deux chevaux semblait dj suspendu; trois tours de roues encore, et chevaux, voiture, postillons, tout tait prcipit, broy, ananti, lorsque le voyageur, slanant du cabriolet sur le timon, saisit le postillon par le collet de son habit et la ceinture de sa culotte, lenleva comme il et fait dun enfant, le lana dix pas, sauta en selle sa place, runit les guides, et, dune voix terrible:

gauche! cria-t-il au second postillon; gauche, drle! ou je te brle la cervelle!

Lordre eut un effet magique; le postillon qui conduisait les deux chevaux de devant, poursuivi par le cri de son malheureux compagnon, fit un effort surhumain, et donnant limpulsion la voiture, la ramena, puissamment aid par le voyageur, sur le milieu du pav, o elle commena de rouler avec la rapidit et le bruit du tonnerre contre lequel elle semblait lutter.

Au galop! cria le voyageur, au galop! Si tu faiblis, je te passe sur le corps, toi et tes chevaux.

Le postillon comprenait que ce ntait pas l une menace frivole, aussi redoubla-t-il dnergie, et la voiture continua de descendre avec une vlocit effrayante; on et dit, en la voyant passer dans la nuit avec son grondement terrible, sa chemine flamboyante, ses cris touffs, voir quelque char infernal tran par des chevaux fantastiques et poursuivi par un ouragan.

Mais les voyageurs navaient vit un danger que pour tomber dans un autre. Le nuage lectrique qui planait sur la valle avait des ailes et se prcipitait aussi rapide que les chevaux. De temps en temps le voyageur levait la tte; ctait surtout lorsquun clair dchirait la nue, et la lueur de cet clair, on pouvait distinguer sur son visage un sentiment dinquitude quil ne cherchait pas dissimuler; car personne, except Dieu, ntait l pour le surprendre. Tout coup, au moment o la voiture atteignait le bas de la pente, et continuait, emporte par son lan, de rouler sur un terrain gal, le brusque dplacement de lair combina les deux lectricits, la nue se dchira avec un fracas terrible pour laisser passer ensemble clair et tonnerre. Un feu, violet dabord, puis verdtre, puis blanc, enveloppa les chevaux; ceux de derrire se cabrrent en battant lair charg de soufre; ceux de devant sabattirent comme si la terre et manqu sous leurs pieds; mais presque aussitt celui que montait le postillon se releva, et, sentant ses traits briss par la secousse, il emporta son matre, qui disparut dans les tnbres, tandis que la voiture, aprs avoir roul dix pas encore, sarrtait en heurtant le cadavre du cheval foudroy.

Tout cet pisode avait t accompagn de cris dchirants pousss par la femme de la voiture.

Il y eut un moment de confusion singulire pendant laquelle aucun ne sut sil tait mort ou vivant. Le voyageur lui-mme se tta pour constater son identit.

Il tait sain et sauf, mais sa femme tait vanouie.

Quoique le voyageur se doutt de ce qui venait darriver, car le silence le plus profond avait succd tout coup aux cris qui schappaient du cabriolet, ce ne fut point la femme plore quil porta ses premiers soins.

peine eut-il touch le sol, au contraire, quil courut larrire-train de la voiture.

Cest l que le beau cheval arabe dont nous avons parl se tenait pouvant, raidi, hriss, dressant chacun de ses crins, comme sil et t vivant, et secouant la porte, la poigne de laquelle il tait attach, en tendant violemment sa longe. Enfin, lil fixe, la bouche cumante, le fier animal, aprs dinutiles efforts pour briser ses liens, tait rest fascin par lhorreur de la tempte, et lorsque son matre, tout en le sifflant selon son habitude, lui passa pour le caresser sa main sur la croupe, il fit un bond et poussa un hennissement comme sil ne lavait pas reconnu.

Allons, encore ce cheval endiabl, murmura une voix casse dans lintrieur de la voiture; maudit soit lanimal qui branle mon mur!

Puis cette voix, doublant de volume, cria en arabe avec laccent de limpatience et de la menace:

Nhe goullac hogoud shaked, haffrit! [2]

Ne vous fchez point contre Djrid, matre, dit le voyageur en dtachant le cheval, quil alla attacher la roue de derrire de la voiture; il a eu peur, voil tout, et, en vrit, on aurait peur moins.

Et, en disant ces mots, le voyageur ouvrit la portire, abaissa le marchepied et entra dans la voiture dont il referma la porte derrire lui.

Chapitre 2. Althotas

Le voyageur se trouva alors en face dun vieillard aux yeux gris, au nez crochu, aux mains tremblantes mais actives, qui, enseveli dans un grand fauteuil, compulsait de la main droite un gros manuscrit de parchemin, intitul la Chivre del Gabinetto, et tenait de la main gauche une cumoire dargent.

Cette attitude, cette occupation, ce visage aux rides immobiles, et dont les yeux et la bouche seuls semblaient vivre, ce tout, enfin, qui paratra sans doute trange au lecteur, tait certainement bien familier ltranger, car il ne jeta pas mme un regard autour de lui, quoique lameublement de cette partie du coche en valt bien la peine.

Trois murailles, le vieillard, on se le rappelle, nommait ainsi les parois de la voiture, trois murailles, charges de casiers qui eux-mmes taient pleins de livres, enfermaient le fauteuil, sige ordinaire et sans rival de ce personnage bizarre, en faveur duquel on avait mnag, au-dessus des livres, des tablettes o lon pouvait placer bon nombre de fioles, de bocaux et de botes enchsses dans des tuis de bois, comme on fait de la vaisselle et des verreries dans un navire; chacun de ces casiers ou de ces tuis, le vieillard, qui paraissait avoir lhabitude de se servir tout seul, pouvait atteindre en roulant son fauteuil, que arriv destination, il haussait ou abaissait laide dun cric attach aux flancs du sige, et quil faisait jouer lui-mme.

La chambre, appelons ainsi ce compartiment, avait huit pieds de long, six de large, six de haut; en face de la portire, outre les fioles et les alambics, slevait, plus rapproch du quatrime panneau rest libre pour lentre et la sortie, slevait, disons-nous, un petit fourneau avec son auvent, son soufflet de forge et ses grilles; ctait ce fourneau, employ en ce moment chauffer blanc un creuset et faire bouillir une mixture qui laissait chapper dans ce tuyau, que nous avons vu sortir par limpriale, cette mystrieuse fume sujet incessant dtonnement et de curiosit pour les passants de tout pays, de tout ge et de tout sexe.

En outre, parmi les fioles, les botes, les livres et les cartons sems terre avec un pittoresque dsordre, on voyait des pinces de cuivre, des charbons trempant dans diffrentes prparations, un grand vase moiti plein deau, et, pendant au plafond des fils, des paquets dherbes qui semblaient, les unes rcoltes de la veille, les autres cueillies depuis cent ans.

вернуться

[2] Je te dis de rester tranquille, dmon! (N.d.A.)