Cet intrieur exhalait une odeur pntrante que dans un laboratoire moins grotesque on et appele un parfum.
Au moment o entrait le voyageur, le vieillard, roulant son fauteuil avec une adresse et une agilit merveilleuses, se rapprocha du fourneau et se mit cumer sa mixture avec une attention qui tenait du respect; puis, distrait par lapparition qui soffrait lui, il renfona de la main droite le bonnet de velours, jadis noir, qui empaquetait sa tte jusquau-dessous des oreilles, et duquel schappaient quelques mches rares de cheveux brillants comme des fils dargent, retirant de dessous la roulette de son fauteuil, avec une dextrit remarquable, le pan de sa longue robe de soie ouate, que dix ans dusage avaient transforme en une guenille sans couleur, sans forme, et surtout sans continuit.
Le vieillard paraissait tre de fort mauvaise humeur, et grommelait tout en cumant sa mixture et en relevant sa robe:
Il a peur, le maudit animal; et de quoi, je vous le demande? Il a secou ma porte, branl mon fourneau, et renvers un quart de mon lixir dans le feu. Acharat! au nom de Dieu, abandonnez moi cette bte-l dans le premier dsert que nous traverserons.
Le voyageur sourit.
Dabord, matre, dit-il, nous ne traversons plus de dserts, puisque nous sommes en France, et ensuite je ne puis me dcider abandonner ainsi un cheval de mille louis, ou plutt qui na pas de prix, tant de la race dAl Borach.
Mille louis, mille louis! je vous les donnerai quand vous voudrez, les mille louis, ou leur quivalent. Voil plus dun million quil me cote, moi, votre cheval, sans compter les jours dexistence quil menlve.
Qua-t-il donc fait encore, ce pauvre Djrid? Voyons!
Ce quil a fait? Il a fait que quelques minutes encore et llixir bouillait sans quune seule goutte sen ft chappe, ce que nindiquent, il est vrai, ni Zoroastre, ni Paracelse, mais ce que recommande positivement Borri.
Eh bien! cher matre, encore quelques secondes, et llixir bouillira.
Ah! oui, bouillir! voyez, Acharat, cest comme une maldiction, mon feu steint, je ne sais ce qui tombe par la chemine.
Je le sais, moi, ce qui tombe par la chemine, reprit le disciple en riant, cest de leau.
Comment! de leau? De leau! eh bien! alors voil mon lixir perdu! cest encore une opration recommencer. Comme si javais du temps perdre! Mon Dieu! mon Dieu! scria le vieux savant en levant les mains au ciel avec dsespoir, de leau! et quelle eau, je vous le demande, Acharat?
De leau pure du ciel, matre; il pleut verse, ne vous en tes-vous pas aperu?
Est-ce que je maperois de quelque chose quand je suis luvre! De leau! cest donc cela! Voyez-vous, Acharat, cest impatientant, sur ma pauvre me! Comment! depuis six mois je vous demande une mitre pour ma chemine Depuis six mois! que dis-je? depuis un an. Eh bien! vous ny pensez jamais vous qui navez que cela faire, cependant, puisque vous tes jeune. Quarrive-t-il, grce votre ngligence? cest que la pluie aujourdhui, cest que le vent demain, confondent tous mes calculs et ruinent toutes mes oprations; et pourtant il faut que je me presse, par Jupiter! vous le savez bien, mon jour arrive, et si je ne suis pas en mesure pour ce jour-l, si je nai pas retrouv llixir vital, adieu le sage, adieu le savant Althotas! Ma centime anne commence le 13 juillet, onze heures prcises du soir, et dici l il faut que mon lixir ait atteint toute sa perfection.
Mais cela se prpare merveille, il me semble, cher matre, dit Acharat.
Sans doute, jai dj fait des essais par absorption; mon bras gauche, peu prs paralys, a repris toute son lasticit; puis je gagne le temps que je mettais mes repas, puisque je nai plus besoin de manger que tous les deux ou trois jours, et que, dans lintervalle, une cuillere de mon lixir, tout imparfait quil est encore, me soutient. Oh! quand je pense quil ne me faut probablement quune plante, quune feuille de cette plante pour que mon lixir soit complet! que nous avons peut-tre dj pass cent fois, cinq cents fois, mille fois prs de cette plante, que nous lavons peut-tre foule aux pieds de nos chevaux, sous les roue de notre voiture, Acharat, cette plante dont parle Pline, et que les savants nont pas retrouve ou nont pas reconnue, car rien ne se perd! Tenez, il faudra que vous demandiez son nom Lorenza pendant une de ses extases, nest-ce pas?
Oui, matre, soyez tranquille, je le lui demanderai.
En attendant, dit le savant avec un profond soupir, voil encore pour cette fois mon lixir manqu, et il me faut trois fois quinze jours pour arriver o jen tais aujourdhui, vous le savez bien. Prenez-y garde, Acharat, vous perdrez au moins autant que moi le jour o je perdrai la vie. Mais quel est donc ce bruit? La voiture roule-t-elle?
Non, matre, cest le tonnerre.
Le tonnerre?
Oui, qui a mme failli nous tuer tout lheure, tous tant que nous sommes, et moi particulirement; il est vrai que jtais habill de soie, ce qui ma garanti.
Eh bien, voil, dit le vieillard en frappant sur son genou qui rsonna comme un os vide, voil quoi mexposent vos enfantillages, Acharat: mourir par le tonnerre, tre tu btement par une flamme lectrique que je forcerais, si javais le temps, descendre dans mon fourneau pour faire bouillir ma marmite; ce nest donc pas assez dtre expos tous les accidents provenant de la maladresse ou de la mchancet des hommes, il faut que vous mexposiez encore ceux qui viennent du ciel, ceux qui sont les plus faciles prvenir?
Pardon, matre, mais vous ne mavez pas encore expliqu
Comment! je ne vous ai pas dvelopp mon systme des pointes, mon cerf-volant conducteur? Quand jaurai trouv mon lixir, je vous le redirai encore; mais dans ce moment-ci, vous comprenez, je nai pas le temps.
Ainsi, vous croyez quon peut matriser la foudre?
Non seulement on peut la matriser, mais la conduire o lon veut. Un jour, un jour, quand ma seconde cinquantaine sera passe, quand je naurai plus qu attendre tranquillement la troisime, je mettrai au tonnerre une bride dacier, et je le conduirai aussi facilement que vous conduisez Djrid. En attendant, faites mettre une mitre ma chemine, Acharat, je vous en supplie.
Je le ferai, soyez tranquille.
Je le ferai! je le ferai! toujours lavenir, comme si lavenir tait nous deux. Oh! je ne serai jamais compris! scria le savant sagitant sur son fauteuil et se tordant les bras de dsespoir. Soyez tranquille! Il me dit dtre tranquille, et dans trois mois, si je nai point parachev mon lixir, tout sera fini pour moi. Mais aussi que je passe ma seconde cinquantaine, que je retrouve ma jeunesse, llasticit de mes membres, la facult de me mouvoir, et alors je naurai plus besoin de personne, on ne me dira plus: Je ferai; cest moi qui dirai: Jai fait!
Pouvez-vous enfin dire cela propos de notre grande uvre? y avez vous pens?
Oh! mon Dieu, oui, et si jtais aussi sr de trouver mon lixir que je suis sr de faire le diamant
Vous en tes donc bien rellement sr, matre?
Sans doute, puisque jen ai fait dj.
Vous en avez fait?
Tenez, voyez plutt.
O?
L, votre droite, dans ce petit rcipient de verre, justement, vous y tes.
Le voyageur saisit avec avidit le rcipient indiqu; ctait une petite coupe en cristal extrmement fin, dont tout le fond tait couvert dune poudre presque impalpable et adhrente aux parois du verre.
De la poussire de diamant! scria le jeune homme.
Sans doute, de la poussire de diamant; et au milieu, cherchez bien.
Oui, oui, un brillant de la grosseur dun grain de mil.
La grosseur ne signifie rien; nous arriverons runir toute cette poussire, faire du grain de mil un grain de chnevis, du grain de chnevis un pois; mais, pour Dieu! mon cher Acharat, en change de cet engagement que je prends avec vous, faites mettre une mitre ma chemine et un conducteur votre voiture, afin que leau ne tombe pas dans ma chemine, et que le tonnerre aille se promener ailleurs.