Encore une raison. Dcidment vous tenez coucher ici.
Jy tiens aujourdhui pour vous revoir demain. Je veux vous tmoigner ma reconnaissance.
Vous avez un moyen tout simple pour cela.
Lequel?
Puisque vous tes si bien avec le diable, priez-le donc de me faire trouver la pierre philosophale.
Monsieur le baron, si vous y teniez beaucoup
la pierre philosophale! parbleu! si jy tiendrais!
Il faudrait alors vous adresser une personne qui nest pas le diable.
Quelle est cette personne?
Moi, comme dit Corneille dans je ne sais plus quelle comdie quil me rcitait, tenez, il y a juste cent ans, en passant sur le Pont-Neuf, Paris.
La Brie! vieux coquin! scria le baron, qui commenait trouver la conversation dangereuse une pareille heure et avec un pareil homme, tchez de trouver une bougie et dclairer monsieur.
La Brie se hta dobir, et tout en faisant cette recherche, presque aussi chanceuse que la pierre philosophale, il appela Nicole pour quelle montt la premire et donnt de lair la chambre rouge.
Nicole laissa Andre seule, ou plutt Andre fut enchante de trouver cette occasion de congdier sa chambrire: elle avait besoin de demeurer avec sa pense.
Le baron souhaita le bonsoir Balsamo et alla se coucher.
Balsamo tira sa montre, car il se rappelait la promesse quil avait faite Althotas. Il y avait deux heures et demie dj, au lieu de deux heures, que le savant dormait. Ctaient trente minutes perdues. Il demanda donc La Brie si le carrosse tait toujours au mme endroit.
La Brie rpondit qu moins quil net march tout seul, il devait y tre.
Balsamo sinforma alors de ce qutait devenu Gilbert.
La Brie assura que Gilbert tait un fainant qui devait tre couch depuis une heure au moins.
Balsamo sortit pour aller rveiller Althotas, aprs avoir tudi la topographie du chemin qui conduisait la chambre rouge.
M. de Taverney navait point menti relativement la mdiocrit de cette chambre: lameublement rpondait celui des autres pices du chteau.
Un lit de chne, dont la couverture tait de vieux damas vert jauni, comme les tentures festons; une table de chne pieds tordus; une grande chemine de pierre qui datait du temps de Louis XIII, et qui le feu pouvait donner une certaine somptuosit lhiver, mais qui labsence du feu donnait un aspect des plus tristes lt, vide de chenets, vide dustensiles feu, vide de bois, mais pleine en change de vieilles gazettes, tel tait le mobilier dont Balsamo allait, pour une nuit, se trouver lheureux propritaire.
Nous y joindrons deux chaises et une armoire de bois, mais peinte en gris avec des panneaux creuss.
Pendant que La Brie essayait de mettre un peu dordre dans cette chambre are par Nicole, qui stait retire chez elle cette opration faite, Balsamo, aprs avoir rveill Althotas, rentrait dans la maison.
Arriv en face de la porte dAndre, il sarrta pour couter. Au moment o Andre avait quitt la salle du souper, elle stait aperue quelle chappait cette mystrieuse influence que le voyageur exerait sur elle. Et pour combattre jusqu ces penses, elle stait mise son clavecin.
Les sons arrivaient jusqu Balsamo travers la porte ferme.
Balsamo, comme nous lavons dit, stait arrt devant cette porte.
Au bout dun instant, il fit plusieurs gestes arrondis quon et pu prendre pour une espce de conjuration, et qui en taient une sans doute, puisque, frappe dune nouvelle sensation pareille celle quelle avait dj prouve, Andre cessa lentement de jouer son air, laissa ses mains retomber immobiles ses cts, et se retourna vers la porte dun mouvement lent et raide, pareil celui dune personne qui obit une influence trangre et accomplit des choses qui ne lui sont pas commandes par son libre arbitre.
Balsamo sourit dans lombre, comme sil et pu voir travers cette porte ferme.
Ctait sans doute tout ce que dsirait Balsamo, et il avait devin que ce dsir tait accompli; car, ayant tendu la main gauche et trouv sous cette main la rampe, il monta lescalier raide et massif qui conduisait la chambre rouge.
mesure quil sloignait, Andre, du mme mouvement lent et raide, se dtournait de la porte et revenait son clavecin. En atteignant la dernire marche de lescalier, Balsamo put entendre les premires notes de la reprise de lair interrompu.
Balsamo entra dans la chambre rouge et congdia La Brie.
La Brie tait visiblement un bon serviteur, habitu obir sur un signe. Cependant, aprs avoir fait un mouvement vers la porte, il sarrta.
Eh bien? demanda Balsamo.
La Brie glissa sa main dans la poche de sa veste, parut palper quelque chose au plus profond de cette poche muette, mais ne rpondit pas.
Avez-vous quelque chose me dire, mon ami? demanda Balsamo en sapprochant de lui.
La Brie parut faire un violent effort sur lui-mme, et tirant sa main de sa poche:
Je veux dire, monsieur, que vous vous tes sans doute tromp ce soir, rpondit-il.
Moi? fit Balsamo; et en quoi donc, mon ami.
En ce que vous avez cru me donner une pice de vingt-quatre sous et que vous mavez donn une pice de vingt-quatre livres.
Et il ouvrit sa main qui laissa voir un louis neuf et tincelant.
Balsamo regarda le vieux serviteur avec un sentiment dadmiration qui semblait indiquer quil navait pas dordinaire pour les hommes une grande considration lendroit de la probit.
And honest! dit-il comme Hamlet.
Et fouillant son tour dans sa poche, il mit un second louis ct du premier.
La joie de La Brie la vue de cette splendide gnrosit ne saurait se concevoir. Il y avait vingt ans au moins quil navait vu dor.
Il fallut, pour quil se crt lheureux propritaire dun pareil trsor, que Balsamo le lui prt dans la main et le lui glisst lui-mme dans la poche.
Il salua jusqu terre, et se retirait reculons, lorsque Balsamo larrta.
Quelles sont le matin les habitudes du chteau? demanda-t-il.
M. de Taverney reste tard au lit, monsieur; mais mademoiselle Andre se lve toujours de bonne heure.
quelle heure?
Mais vers six heures.
Qui couche au-dessus de cette chambre?
Moi, monsieur.
Et au-dessous?
Personne. Cest le vestibule qui donne sous cette chambre.
Bien, merci, mon ami; laissez-moi maintenant.
Bonsoir, monsieur.
Bonsoir. propos, veillez ce que ma voiture soit en sret.
Oh! monsieur peut tre tranquille.
Si vous y entendiez quelque bruit, ou si vous y aperceviez de la lumire, ne vous effrayez pas. Elle est habite par un vieux serviteur impotent que je mne avec moi, et qui habite le fond du carrosse. Recommandez M. Gilbert de ne pas le troubler; dites-lui aussi, je vous prie, quil ne sloigne pas demain matin avant que je lui aie parl. Retiendrez-vous bien tout cela, mon ami?
Oh! oui certes: mais monsieur nous quitterait-il si tt?
Cest selon, dit Balsamo avec un sourire. Cependant, pour bien faire, il faudrait que je fusse Bar-le-Duc demain au soir.
La Brie poussa un soupir de rsignation, jeta un dernier coup dil au lit, et approcha la bougie du foyer pour donner un peu de chaleur cette grande chambre humide, en brlant tous les papiers a dfaut de bois.
Mais Balsamo larrta.
Non, dit-il, laissez tous ces vieux journaux o ils sont; si je ne dors pas, je mamuserai les lire.
La Brie sinclina et sortit.
Balsamo sapprocha de la porte, couta les pas du vieux serviteur, qui faisaient leur tour craquer lescalier. Bientt les pas retentirent au-dessus de sa tte. La Brie tait rentr chez lui.
Alors le baron alla la fentre.
En face de sa fentre, lautre aile du pavillon, une petite mansarde, aux rideaux mal ferms, tait claire. Ctait celle de Legay. La jeune fille dtachait lentement sa robe et son fichu. Souvent elle ouvrait sa fentre et se penchait en dehors pour voir dans la cour.