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Balsamo la regardait avec une attention quil navait sans doute pas voulu lui accorder au souper.

trange ressemblance! murmura-t-il.

En ce moment la lumire de la mansarde steignit, quoique celle qui lhabitait ne ft point couche.

Balsamo demeura appuy la muraille.

Le clavecin retentissait toujours.

Le baron parut couter si aucun autre bruit ne se mlait celui de linstrument Puis, lorsquil se fut bien assur que lharmonie veillait seule au milieu du silence gnral, il rouvrit sa porte, ferme par La Brie, descendit lescalier avec prcaution, et poussa doucement la porte du salon, qui tourna sans bruit sur ses gonds uss.

Andre nentendit rien.

Elle promenait ses belles mains, dun blanc mat, sur livoire jauni de linstrument; en face delle tait une glace incruste dans un parquet sculpt dont la dorure caille avait disparu sous une couche de couleur grise.

Lair que jouait la jeune fille tait mlancolique. Au reste, ctaient plutt de simples accords quun air. Elle improvisait sans doute, et repassait sur le clavecin les souvenirs de sa pense ou les rves de son imagination. Peut-tre son esprit, si attrist par le sjour de Taverney, quittait-il momentanment le chteau pour aller se perdre dans les immenses et nombreux jardins de lAnnonciade de Nancy, tout peupls de joyeuses pensionnaires. Quoi quil en ft, pour le moment, son regard vague et demi voil se perdait dans le sombre miroir place devant elle, et qui refltait les tnbres que ne pouvait aller combattre au fond de cette grande pice la lumire de la seule bougie qui, place sur le clavecin, clairait la musicienne.

Parfois elle sarrtait tout coup. Cest qualors elle se rappelait ltrange vision de la soire et les impressions inconnues qui en avaient t la suite. Or, avant que sa pense et rien prcis cet gard, le cur avait dj battu, et le frisson avait parcouru ses membres. Elle tressaillait comme si, tout isole quelle tait alors, le contact dun tre anim ft venu leffleurer et la troubler en leffleurant.

Tout coup, comme elle cherchait se rendre compte de ces impressions bizarres, elle les prouva de nouveau. Toute sa personne frissonna comme secoue dune commotion lectrique. Ses regards prirent de la nettet, sa pense se solidifia pour ainsi dire, et elle aperut comme un mouvement dans la glace.

Ctait la porte du salon qui souvrait sans bruit.

Derrire cette porte apparut une ombre.

Andre frmit, ses doigts sgarrent sur les touches.

Rien ntait plus naturel cependant que cette apparition.

Cette ombre, quil tait impossible de reconnatre, encore plonge dans les tnbres quelle tait, ne pouvait-elle tre celle de M. de Taverney ou celle de Nicole? La Brie, avant de se coucher, navait-il pas rder par les appartements et entrer au salon pour quelque besogne? La chose lui arrivait frquemment, et, dans ces sortes de tournes, le discret et fidle serviteur ne faisait jamais de bruit.

Mais la jeune fille voyait avec les yeux de lme que ce ntait ni lune ni lautre de ces trois personnes.

Lombre sapprocha dun pas muet, se faisant de plus en plus distincte au milieu des tnbres. Lorsque lapparition fut entre dans le cercle quembrassait la lumire, Andre reconnut ltranger, si effrayant, avec son visage ple et sa redingote de velours noir.

Il avait, sans doute pour quelque mystrieux motif, quitt lhabit de soie quil portait.

Elle voulut se retourner, crier.

Mais Balsamo tendit ses bras en avant, et elle ne bougea plus.

Elle fit un effort.

Monsieur, dit-elle, monsieur! au nom du ciel, que voulez-vous?

Balsamo sourit, la glace rpta cette expression de sa physionomie, et Andre labsorba avidement.

Mais il ne rpondit pas.

Andre tenta encore une fois de se lever, mais elle ne put y parvenir: une force invincible, un engourdissement qui ntait point sans charme la clourent sur son fauteuil, tandis que son regard restait riv sur le miroir magique.

Cette sensation nouvelle lpouvanta, car elle se sentait entirement la discrtion de cet homme, et cet homme tait un inconnu.

Elle fit pour appeler au secours un effort surhumain: sa bouche souvrit, mais Balsamo tendit ses deux mains au-dessus de la tte de la jeune fille, et aucun son ne sortit de sa bouche.

Andre resta muette; sa poitrine semplit dune sorte de chaleur stupfiante qui monta lentement jusqu son cerveau, se droulant comme une vapeur aux tourbillons envahissants.

La jeune fille navait plus ni force ni volont; elle laissa retomber sa tte sur son paule.

En ce moment, il sembla Balsamo entendre un lger bruit du ct de la fentre: il se retourna vivement et crut voir extrieurement sloigner de la vitre le visage dun homme.

Il frona le sourcil; et, chose trange, la mme impression sembla se reflter sur le visage de la jeune fille.

Alors, se retournant du ct dAndre, il abaissa les deux mains quil avait constamment tenues leves au-dessus de sa tte, les releva dun geste onctueux, les abaissa encore, et persvrant pendant quelques secondes entasser sur la jeune fille des colonnes crasantes dlectricit:

Dormez! dit-il.

Puis, comme elle se dbattait encore sous le charme:

Dormez! rpta-t-il avec laccent de la domination. Dormez! je le veux!

Ds lors tout cda cette puissante volont. Andre appuya le coude sur le clavecin, posa la tte sur sa main et sendormit.

Puis Balsamo sortit reculons, tira la porte aprs lui, et lon put lentendre remonter lescalier de bois et regagner sa chambre.

Aussitt que la porte du salon se fut referme derrire lui, la figure quavait cru entrevoir Balsamo reparut aux vitres.

Ctait celle de Gilbert.

Chapitre 8. Attraction

Gilbert, exclu du salon par linfriorit de sa position au chteau de Taverney, avait surveill toute la soire les personnages qui leur rang permettait dy figurer.

Durant tout le souper, il avait vu Balsamo sourire et gesticuler. Il avait remarqu lattention dont lhonorait Andre; laffabilit inoue du baron son gard; lempressement respectueux de La Brie.

Plus tard, lorsquon stait lev de table, il stait cach dans un massif de lilas et de boules-de-neige, dans la crainte que Nicole, en fermant les volets ou en regagnant sa chambre, ne lapert et ne le dranget dans son investigation, ou plutt dans son espionnage.

Nicole avait en effet opr sa ronde, mais elle avait d laisser ouvert un des volets du salon, dont les charnires moiti descelles ne permettaient pas aux contrevents de rouler sur leurs gonds.

Gilbert connaissait bien cette circonstance. Aussi navait-il pas, comme nous lavons vu, quitt son poste, sr quil tait de continuer ses observations quand Legay serait partie.

Ses observations, avons-nous dit? ce mot, peut-tre, semblera bien vague au lecteur. Quelles observations Gilbert pouvait-il faire? ne connaissait-il pas le chteau de Taverney dans tous ses dtails, puisquil y avait t lev, les personnages qui lhabitaient sous toutes leurs faces, puisque depuis dix sept ou dix-huit ans il les voyait tous les jours?

Cest que ce soir-l Gilbert avait dautres desseins que dobserver; il ne guettait pas seulement, il attendait.

Quand Nicole eut quitt le salon en y laissant Andre, quand, aprs avoir lentement et ngligemment ferm les portes et les volets, elle se fut promene dans le parterre, comme si elle y et attendu quelquun; quand elle eut plong de tous cts de furtifs regards, quand elle eut fait enfin ce que venait de faire et allait faire encore Gilbert, elle se dcida la retraite et regagna sa chambre.

Gilbert, comme on le comprend bien, immobile contre le tronc dun arbre, moiti courb, respirant peine, navait pas perdu un des mouvements, pas perdu un des gestes de Nicole; puis, lorsquelle eut disparu, lorsquil eut vu silluminer la fentre des mansardes, il traversa lespace vide sur la pointe du pied, parvint jusqu la fentre, sy accroupit dans lombre et attendit, sans savoir peut-tre ce quil attendait, dvorant des yeux Andre, nonchalamment assise son clavecin.