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Ce fut dans ce moment que Joseph Balsamo entra dans le salon.

Gilbert tressaillit cette vue, et son regard ardent se concentra sur les deux personnages de la scne que nous venons de raconter.

Il crut voir que Balsamo complimentait Andre sur son talent, que celle-ci lui rpondait avec sa froideur accoutume; quil insistait avec un sourire, quelle suspendait son tude pour rpondre et congdier son hte.

Il admira la grce avec laquelle celui-ci se retirait. De toute la scne quil avait cru comprendre, il navait absolument rien compris, car la ralit de cette scne tait le silence.

Gilbert navait rien pu entendre, il avait seulement vu remuer des lvres et sagiter des bras. Comment, si bon observateur quil ft, et-il reconnu un mystre l o tout se passait naturellement en apparence?

Balsamo parti, Gilbert demeura non plus en observation, mais en contemplation devant Andre, si belle dans sa pose nonchalante, puis bientt il saperut avec tonnement quelle dormait. Il demeura encore quelques minutes dans la mme attitude, pour sassurer bien positivement que cette immobilit tait bien du sommeil. Puis, lorsquil en fut bien convaincu, il se leva tenant sa tte deux mains, comme un homme qui craint que son cerveau nclate sous le flot des penses qui y affluent; puis, dans un moment de volont qui ressemblait un lan de fureur:

Oh! sa main, dit-il; approcher seulement mes lvres de sa main. Allons! Gilbert, allons! je le veux

Et cela dit, sobissant lui-mme, il slana dans lantichambre et atteignit la porte du salon, qui souvrit sans bruit pour lui comme elle avait fait pour Balsamo.

Mais peine cette porte fut-elle ouverte, peine se trouva-t-il en face de la jeune fille sans que rien len spart plus, quil comprit limportance de laction quil allait commettre; lui, Gilbert, lui, le fils dun mtayer et dune paysanne, lui, le jeune homme timide, sinon respectueux, qui peine, du fond de son obscurit, avait os lever les yeux sur la fire et ddaigneuse jeune fille, il allait toucher de ses lvres le bas de la robe ou le bout des doigts de cette majest endormie, qui pouvait en se rveillant le foudroyer de son regard. cette pense, tous ces nuages denivrement qui avaient gar son esprit et boulevers son cerveau se dissiprent. Il sarrta, se retenant au chambranle de la porte, car les jambes lui tremblaient si fort, quil lui semblait quil allait tomber.

Mais la mditation ou le sommeil dAndre tait si profond, car Gilbert ne savait encore bien prcisment si la jeune fille dormait ou mditait, quelle ne fit pas un seul mouvement, quoiquelle et pu entendre les palpitations du cur de Gilbert, que celui-ci essayait vainement de comprimer dans sa poitrine; il resta un moment debout, haletant; la jeune fille ne bougea point.

Elle tait si belle ainsi, doucement appuye sur sa main, avec ses longs cheveux sans poudre, pars sur son cou et sur ses paules, que cette flamme assoupie, mais non pas teinte par la terreur, se rveilla. Un nouveau vertige le prit; ctait comme une enivrante folie; ctait comme un dvorant besoin de toucher quelque chose qui la toucht elle-mme; il fit de nouveau un pas vers elle.

Le plancher craqua sous son pied mal affermi; ce bruit, une sueur froide perla au front du jeune homme, mais Andre ne parut pas lavoir entendu.

Elle dort, murmura Gilbert. Oh! bonheur, elle dort!

Mais Gilbert, au bout de trois pas, sarrta de nouveau; une chose semblait lpouvanter; ctait lclat inaccoutum de la lampe qui, prs de steindre, lanait ses dernires lueurs, ces fulgurantes lueurs qui prcdent les tnbres.

Du reste, pas un bruit, pas un souffle dans toute la maison; le vieux La Brie tait couch et sans doute endormi; la lumire de Nicole tait teinte.

Allons, dit-il.

Et il savana de nouveau.

Chose trange, le parquet cria de nouveau, et Andre ne remua point encore.

Gilbert stonna de cet trange sommeil, il sen effraya presque.

Elle dort, rpta-t-il avec cette mobilit de la pense qui fait chanceler vingt fois en une minute la rsolution dun amant ou dun lche. Est lche quiconque nest plus matre de son cur. Elle dort, mon Dieu! mon Dieu!

Mais, au milieu de toutes ces fivreuses alternatives de crainte et desprance, Gilbert, avanant toujours, se trouva deux pas dAndre. Ds lors, ce fut comme une magie; il et voulu fuir que la fuite lui et t impossible; une fois entr dans le cercle dattraction dont la jeune fille tait le centre, il se sentait li, garrott, vaincu; il se laissa tomber sur ses deux genoux.

Andre demeura immobile, muette: on et dit une statue. Gilbert prit le bas de sa robe et la baisa.

Puis il releva la tte lentement, sans souffle, dun mouvement gaclass="underline" ses yeux cherchrent les yeux dAndre.

Ils taient tout grands ouverts, et cependant Andre ne voyait pas.

Gilbert ne savait plus que penser, il tait ananti sous le poids de la surprise. Un moment il eut leffroyable ide quelle tait morte. Pour sen assurer, il osa prendre sa main; elle tait tide et lartre y battait doucement. Mais la main dAndre resta immobile dans la main de Gilbert. Alors Gilbert se figura, enivr sans doute par cette voluptueuse pression, quAndre voyait, quelle sentait, quelle avait devin son amour insens; il crut, pauvre cur aveugl, quelle attendait sa visite, que son silence tait un consentement, son immobilit une faveur.

Alors il souleva la main dAndre jusqu ses lvres, et y imprima un long et fivreux baiser.

Tout coup Andre frissonna, et Gilbert sentit quelle le repoussait.

Oh! je suis perdu! murmura-t-il en abandonnant la main de la jeune fille et en frappant le parquet de son front.

Andre se leva comme si un ressort let dresse sur ses pieds; ses yeux ne sabaissrent pas mme sur le plancher o gisait Gilbert demi cras par la honte et la terreur, Gilbert qui navait pas seulement la force dimplorer un pardon sur lequel il ne comptait pas.

Mais Andre, la tte haute, le cou tendu, comme si elle et t entrane par une force secrte vers un but invisible, effleura en passant lpaule de Gilbert, passa outre, et commena de savancer vers la porte avec une dmarche contrainte et pnible.

Gilbert, la sentant sloigner, se souleva sur une main, se retourna lentement et la suivit dun regard tonn.

Andre continua son chemin vers la porte, louvrit, franchit lantichambre et arriva au pied de lescalier.

Gilbert, ple et tremblant, la suivait en se tranant sur ses genoux.

Oh! pensa-t-il, elle est si indigne quelle na pas daign sen prendre moi; elle va trouver le baron, elle va lui raconter ma honteuse folie, et lon va me chasser comme un laquais!

La tte du jeune homme sgara cette pense quil quitterait Taverney, quil cesserait de voir celle qui tait sa lumire, sa vie, son me; le dsespoir lui donna du courage; il se redressa sur ses pieds et slana vers Andre.

Oh! pardon, mademoiselle, au nom du ciel! pardon! murmura-t-il.

Andre parut navoir point entendu; mais elle passa outre et nentra point chez son pre.

Gilbert respira.

Andre posa le pied sur la premire marche de lescalier, puis sur la seconde.

Oh! mon Dieu! mon Dieu! murmura Gilbert; o peut-elle donc aller ainsi? Cet escalier ne conduit qu la chambre rouge quhabite cet tranger, et la mansarde de La Brie. Si ctait pour La Brie, elle appellerait, elle sonnerait Elle irait donc? Oh! cest impossible! impossible!

Et Gilbert crispait ses poings de rage la seule ide quAndre pouvait aller chez Balsamo.

Devant la porte de ltranger, elle sarrta.

Une sueur froide coulait au front de Gilbert; il se cramponna aux barreaux de lescalier pour ne pas tomber lui-mme; car il avait continu de suivre Andre. Tout ce quil voyait, tout ce quil croyait deviner lui semblait monstrueux.

La porte de Balsamo tait entrebille; Andre la poussa sans y frapper. La lumire qui sen chappa claira ses traits si nobles et si purs, et tourbillonna en reflets dor dans ses yeux tout grands ouverts.