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Je ne voudrais pas tre injuste et tyrannique envers vous, je ne voudrais pas comprimer les mouvements de votre cur La sainte libert consiste surtout respecter le libre arbitre Changez damour, Nicole, je ne saurais vous contraindre une fidlit qui, selon moi, nest pas dans la nature.

Ah! scria Nicole, vous voyez bien que vous ne maimez pas!

La discussion tait le fort de Gilbert, non pas que son esprit ft prcisment logique, mais il tait paradoxal. Puis, si peu quil st, il en savait toujours plus que Nicole Nicole navait lu que ce qui lui paraissait amusant; Gilbert avait lu non seulement ce qui lui paraissait amusant, mais encore ce qui lui avait paru utile.

Gilbert commenait donc, en discutant, regagner le sang-froid que perdait Nicole.

Avez-vous de la mmoire, monsieur le philosophe? demanda Nicole avec un sourire ironique.

Quelquefois, rpondit Gilbert.

Vous rappelez-vous ce que vous mavez dit lorsque jarrivai des Annonciades avec mademoiselle, il y a cinq mois?

Non; mais rappelez-le-moi.

Vous mavez dit: Je suis pauvre. Ctait le jour o nous lisions ensemble Tanza sous une des votes du vieux chteau croul.

Bien, continuez.

Vous trembliez trs fort, ce jour-l.

Cest possible; je suis dun naturel timide, mais je fais ce que je puis pour me corriger de ce dfaut-l comme des autres.

De sorte que, lorsque vous serez corrig de tous vos dfauts, dit en riant Nicole, vous serez parfait.

Je serai fort, du moins, car cest la sagesse qui fait la force.

O avez-vous lu cela, sil vous plat?

Que vous importe? Revenez ce que je vous disais sous la vote.

Nicole sentait quelle perdait de plus en plus son terrain.

Eh bien! vous me disiez: Je suis pauvre, Nicole, personne ne maime, on ne sait pas que jai quelque chose l, et vous frappiez votre cur.

Vous vous trompez, Nicole; si je frappais quelque chose en vous disant cela, ce ne devait pas tre mon cur, mais ma tte. Le cur nest quune pompe foulante destine pousser le sang aux extrmits. Lisez le Dictionnaire philosophique, article Cur.

Et Gilbert se redressa avec suffisance. Humili devant Balsamo, il se faisait superbe devant Nicole.

Vous avez raison, Gilbert, et ce devait tre effectivement votre tte que vous frappiez. Vous disiez donc, en frappant votre tte: On me traite ici comme un chien de basse-cour, et encore Mahon est plus heureux que moi. Je vous rpondis alors quon avait tort de ne pas vous aimer, et que, si vous aviez t mon frre, je vous eusse aim, moi. Il me semble que cest avec mon cur et non avec ma tte que je vous ai rpondu cela. Mais peut tre me tromp-je: je nai pas lu le Dictionnaire philosophique.

Vous avez eu tort, Nicole.

Vous me prtes alors dans vos bras. Vous tes orpheline Nicole, me dtes-vous; moi aussi, je suis orphelin; notre misre et notre abjection nous font plus que frres: aimons-nous donc, Nicole, comme si nous ltions rellement. Dailleurs, si nous ltions rellement, la socit nous dfendrait de nous aimer comme je veux que tu maimes. Alors vous mavez embrasse.

Cest possible.

Vous pensiez donc ce que vous disiez?

Sans doute. On pense presque toujours ce que lon dit dans le moment o on le dit.

De sorte quaujourdhui?

Aujourdhui, jai cinq mois de plus; jai appris des choses que jignorais; jen devine que je ne connais pas encore. Aujourdhui, je pense autrement.

Vous tes donc faux, menteur, hypocrite? scria Nicole en semportant.

Pas plus que ne lest un voyageur qui on demande au fond dune valle ce quil pense du paysage, et qui lon fait la mme question lorsquil est parvenu au haut de la montagne qui lui fermait son horizon. Jembrasse un plus grand paysage, voil tout.

De sorte que vous ne mpouserez pas?

Je ne vous ai jamais dit que je vous pouserais, rpondit Gilbert avec mpris.

Eh bien! eh bien! scria la jeune fille exaspre, il me semble que Nicole Legay vaut bien Sbastien Gilbert.

Tous les hommes se valent, dit Gilbert; seulement, la nature ou lducation ont mis en eux des valeurs diverses et des facults diffrentes. Selon que ces valeurs ou ces facults se dveloppent plus ou moins, ils sloignent les uns des autres.

De sorte quayant des facults et des valeurs plus dveloppes que les miennes, vous vous loignez de moi.

Naturellement. Vous ne raisonnez pas encore, Nicole, mais vous comprenez dj.

Oui, oui! scria Nicole exaspre, oui, je comprends.

Que comprenez-vous?

Je comprends que vous tes un malhonnte homme.

Cest possible. Beaucoup naissent avec des instincts mauvais, mais la volont est l pour les corriger. M. Rousseau, lui aussi, tait n avec des instincts mauvais; il sest corrig cependant. Je ferai comme M. Rousseau.

Oh! mon Dieu, mon Dieu! dit Nicole, comment ai-je pu aimer un pareil homme?

Aussi vous ne mavez pas aim, Nicole, reprit froidement Gilbert; je vous ai plu, voil tout. Vous sortiez de Nancy, o vous naviez vu que des sminaristes qui vous faisaient rire, ou des militaires qui vous faisaient peur. Nous tions jeunes tous les deux, innocents tous les deux, dsireux tous les deux de cesser de ltre. La nature parlait en nous avec sa voix irrsistible. Il y a quelque chose qui sallume dans nos veines alors que nous dsirons, une inquitude dont on cherche la gurison dans des livres qui vous rendent plus inquiets encore. Cest en lisant ensemble un de ces livres, vous vous le rappelez, Nicole, non pas que vous avez cd, car je ne vous demandais rien, car vous ne me refusiez rien, mais que nous avons trouv le mot dun secret inconnu. Pendant un mois ou deux, ce mot a t: Bonheur! Pendant un mois ou deux, nous avons vcu au lieu de vgter. Cela veut-il dire, parce que nous avons t deux mois heureux lun par lautre, que nous devions tre lun par lautre ternellement malheureux? Allons donc, Nicole, si lon prenait un pareil engagement en donnant et recevant le bonheur, on renoncerait son libre arbitre, et ce serait absurde.

Est-ce de la philosophie que vous me faites l? dit Nicole.

Je le crois, rpondit Gilbert.

Alors il ny a donc rien de sacr pour les philosophes?

Si fait, il y a la raison.

De sorte que, moi qui voulais rester honnte fille

Pardon, mais il est dj trop tard pour cela.

Nicole plit et rougit comme si une roue faisait faire chaque goutte de son sang le tour de son corps.

Honnte quant vous, dit-elle. On est toujours honnte femme, avez-vous dit pour me consoler, quand on est fidle celui que le cur a choisi. Vous vous rappelez cette thorie sur les mariages?

Jai dit les unions, Nicole, attendu que je ne me marierai jamais.

Vous ne vous marierez jamais?

Non. Je veux tre un savant et un philosophe. Or, la science ordonne lisolement de lesprit, et la philosophie celle du corps.

Monsieur Gilbert, dit Nicole, vous tes un misrable, et je crois que je vaux encore mieux que vous.

Rsumons, dit Gilbert en se levant, car nous perdons notre temps, vous me dire des injures, moi les couter. Vous mavez aim parce que cela vous a plu, nest-ce pas?

Sans doute.

Eh bien! ce nest pas une raison pour me rendre malheureux, moi, parce que vous avez fait, vous, une chose qui vous a plu.

Le sot, dit Nicole, qui me croit pervertie, et qui fait semblant de ne pas me craindre!

Vous craindre, vous, Nicole? Allons donc! Que pouvez-vous contre moi? La jalousie vous gare.

La jalousie! moi jalouse? dit avec un rire fivreux la jeune fille. Ah! vous vous trompez fort si vous me croyez jalouse. Et de quoi serais-je jalouse, je vous prie? Est-il dans tout le canton une plus jolie fille que moi? Si javais les mains blanches de mademoiselle, et je les aurai le jour o je ne travaillerai plus, ne vaudrais-je pas mademoiselle? Mes cheveux, regardez mes cheveux (et la jeune fille dnoua le ruban qui les retenait), mes cheveux peuvent menvelopper des pieds la tte comme un manteau. Je suis grande, je suis bien faite. (Et Nicole emprisonna sa taille entre ses deux mains.) Jai des dents qui ressemblent des perles. (Et elle regarda ses dents dans un petit miroir accroch son chevet.) Quand je veux sourire quelquun et le regarder dune certaine faon, je vois ce quelquun rougir, frissonner, se tordre sous mon regard. Vous tes mon premier amant, cest vrai; mais vous ntes pas le premier homme avec lequel jaie t coquette. Tiens, Gilbert, continua la jeune fille plus menaante avec son sourire saccad quelle ne ltait avec ses menaces vhmentes, tu ris. Crois-moi, ne me force pas te faire la guerre; ne me fais pas sortir tout fait de ltroit sentier o me retient encore je ne sais quel vague souvenir des conseils de ma mre, je ne sais quelle monotone prescription de mes prires denfant. Si une fois je me jette hors de la pudeur, prends garde toi, Gilbert, car tu auras non seulement te reprocher les malheurs qui en rsulteront pour toi, mais encore ceux qui en rsulteront pour les autres!