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Jy vois linvitation, que je vais vous transmettre, de vous tenir sur le qui vive.

Vraiment! dois-je tre attaqu?

Non; mais vous devez ce matin mme recevoir une visite.

Alors cest que vous avez donn rendez-vous quelquun chez moi. Cest mal, monsieur, cest trs mal. Il ny aura peut-tre pas de perdreaux ce matin, prenez-y garde.

Ce que jai lhonneur de vous dire est srieux, mon cher hte, reprit Balsamo, et de la plus haute importance. Quelquun sachemine en ce moment vers Taverney.

Par quel hasard, mon Dieu! et quelle espce de visite? Instruisez-moi, mon cher hte, je vous en supplie, car je vous avouerai que pour moi, vous avez d vous en apercevoir laccueil un peu vinaigre que je vous ai fait, tout visiteur est importun. Prcisez, cher sorcier, prcisez, si cela vous est possible.

Non seulement cela mest possible, mais je dirai plus, pour que vous ne mayez pas une trop grande obligation, cela mest mme facile.

Et Balsamo ramena son il scrutateur sur la couche dopale qui ondulait dans le verre.

Eh bien! voyez-vous? demanda le baron.

Parfaitement.

Alors parlez, ma sur Anne.

Je vois venir une personne de haute condition.

Bah! vraiment! et cette personne vient comme cela, sans tre invite par personne?

Elle sest invite elle-mme. Elle est conduite par monsieur votre fils.

Par Philippe?

Par lui-mme.

Ici le baron fut saisi dun accs dhilarit fort dsobligeant pour le sorcier.

Ah! ah! dit-il, conduite par mon fils Vous dites que cette personne est conduite par mon fils?

Oui, baron.

Vous le connaissez donc, mon fils?

Pas le moins du monde.

Et mon fils est en ce moment?

une demi-lieue, un quart de lieue peut-tre!

Dici?

Oui.

Mon cher monsieur, mon fils est Strasbourg, o il tient garnison, et moins de sexposer tre dclar dserteur, ce quil ne fera pas, je vous jure, il ne peut mamener personne.

Il vous amne cependant quelquun, dit Balsamo en continuant dinterroger son verre deau.

Et ce quelquun, demanda le baron, est-ce un homme, est-ce une femme?

Cest une dame, baron, et mme une trs grande dame. Ah! tenez, quelque chose de particulier, dtrange.

Et dimportant? reprit le baron.

Ma foi, oui.

Achevez, en ce cas.

Cest que vous ferez bien dloigner votre petite servante, cette petite drlesse, comme vous dites, qui a de la corne au bout des doigts.

Et pourquoi cela lloignerais-je?

Parce que Nicole Legay a dans le visage quelques traits de la personne qui vient ici.

Et vous dites que cest une grande dame, une grande dame qui ressemble Nicole? Vous voyez bien que vous tombez dans la contradiction.

Pourquoi pas? Jai achet autrefois une esclave qui ressemblait tellement la reine Cloptre, quil tait question de la conduire Rome pour la faire figurer dans le triomphe dOctave.

Bon! voil que cela vous reprend, dit le baron.

Ensuite, faites-en ce que vous voudrez, de ce que je vous dis, mon cher hte; vous comprenez, la chose ne me regarde aucunement et est toute dans vos intrts.

Mais en quoi cette ressemblance de Nicole peut-elle blesser la personne?

Supposez que vous soyez roi de France, ce que je ne vous souhaite pas, ou dauphin, ce que je vous souhaite moins encore, seriez-vous charm, en entrant dans une maison, de trouver au nombre des domestiques de cette maison une contrefaon de votre auguste visage?

Ah! diable! dit le baron, voici un dilemme des plus forts; il rsulterait donc de ce que vous dites?

Que la trs haute et trs puissante dame qui va venir serait peut-tre mal contente de voir son image vivante en jupe courte et en fichu de toile.

Eh bien! dit le baron, toujours riant, nous y aviserons quand il le faudra. Mais voyez-vous, cher baron, dans tout cela cest mon fils qui me rjouit le plus. Ce cher Philippe, quun heureux hasard va nous amener comme cela, sans crier gare!

Et le baron se mit rire plus fort.

Ainsi, dit gravement Balsamo, ma prdiction vous fait plaisir? Tant mieux, ma foi; mais votre place, baron

ma place?

Je donnerais quelques ordres, je ferais quelques dispositions

Vraiment?

Oui.

Jy songerai, cher hte, jy songerai.

Il serait temps.

Cest donc srieusement que vous me dites cela?

On ne peut plus srieusement, baron; car, si vous voulez recevoir dignement la personne qui vous fait la faveur de vous visiter, vous navez pas une minute perdre.

Le baron secoua la tte.

Vous doutez, je crois? dit Balsamo.

Ma foi, cher hte, javoue que vous avez affaire lincrdule le plus endurci

Ce fut en ce moment que le baron se dirigea du ct du pavillon de sa fille, pour lui faire part de la prdiction de son hte, et quil appela:

Andre! Andre!

Nous savons comment la jeune fille rpondit linvitation de son pre, et comment le regard fascinateur de Balsamo lattira prs de la fentre.

Nicole tait l, regardant avec tonnement La Brie, qui lui faisait des signes et cherchait comprendre.

Cest diablement difficile croire, rptait le baron, et moins que de voir

Alors, puisquil faut absolument que vous voyiez, retournez-vous, dit Balsamo en tendant la main vers lavenue, au bout de laquelle galopait toute bride un cavalier dont le cheval faisait rsonner la terre sous ses pas.

Oh! oh! scria le baron, voil en effet

M. Philippe! scria Nicole en se haussant sur la pointe des pieds.

Notre jeune matre, fit La Brie avec un grognement de joie.

Mon frre! mon frre! exclama Andre en lui tendant les deux bras par sa fentre.

Serait-ce par hasard monsieur votre fils, cher baron? demanda ngligemment Balsamo.

Oui, pardieu! oui, cest lui-mme, rpondit le baron stupfait.

Cest un commencement, dit Balsamo.

Dcidment vous tes donc sorcier? demanda le baron.

Un sourire de triomphe se dessina sur les lvres de ltranger.

Le cheval grandissait vue dil; on le vit bientt, ruisselant de sueur, entour dune vapeur humide, franchir les dernires ranges darbres, et il courait encore, quun jeune officier de taille moyenne, couvert de boue et la figure anime par la rapidit de sa course, sautait bas du coursier et venait embrasser son pre.

Ah! diable! disait le baron branl dans ses principes dincrdulit. Ah! diable!

Oui, mon pre, disait Philippe, qui voyait un reste de doute flotter sur le visage du vieillard, cest moi! cest bien moi!

Sans doute, cest toi, rpondit le baron; je le vois mordieu bien! Mais par quel hasard est-ce toi?

Mon pre, dit Philippe, un grand honneur est rserv notre maison.

Le vieillard releva la tte.

Une visite illustre se dirige vers Taverney; dans une heure, Marie-Antoinette-Josphe, archiduchesse dAutriche et dauphine de France, sera ici.

Le baron laissa tomber ses bras avec autant dhumilit quil avait montr de sarcasme et dironie, et, se tournant vers Balsamo:

Pardonnez, dit-il.

Monsieur, dit Balsamo en saluant Taverney, je vous laisse avec monsieur votre fils; il y a longtemps que vous ne vous tes vus et vous devez avoir mille choses vous dire.

Et Balsamo, aprs avoir salu Andre, qui, toute joyeuse de larrive de son frre, se prcipitait sa rencontre, se retira, faisant un signe Nicole et La Brie, qui, sans doute, comprirent ce signe, car ils suivirent Balsamo et disparurent avec lui sous les arbres de lavenue.

Chapitre 13. Philippe de Taverney

Philippe de Taverney, chevalier de Maison-Rouge, ne ressemblait point sa sur, quoiquil ft aussi beau comme homme quelle tait belle comme femme. En effet, des yeux dune expression douce et fire, une coupe irrprochable de visage, dadmirables mains, un pied de femme et la taille la mieux prise du monde en faisaient un charmant cavalier.