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Allez, monsieur, allez, continua Balsamo, vous navez que le temps de quitter cette robe de chambre et de vous habiller dune faon convenable. Quand jai connu au sige de Philippsburg le baron de Taverney, il tait grand-croix de Saint-Louis. Je ne sache pas dhabit qui ne redevienne riche et lgant sous une pareille dcoration.

Mais, monsieur, reprit Taverney, avec tout cela la dauphine va voir ce que je ne voulais pas mme vous montrer vous: cest que je suis malheureux.

Soyez tranquille, baron; on loccupera tellement, quelle ne remarquera pas si votre maison est neuve ou vieille, pauvre ou riche. Soyez hospitalier, monsieur, cest votre devoir comme gentilhomme. Que feront les ennemis de Son Altesse royale, et elle en a bon nombre, si ses amis brlent leurs chteaux pour ne pas la recevoir sous leur toit? Nanticipons pas sur les colres venir, monsieur; chaque chose aura son tour.

M. de Taverney obit avec cette rsignation dont une fois dj il avait donn la preuve, et alla rejoindre ses enfants, qui, inquiets de son absence, le cherchaient de tous cts.

Quant Balsamo, il se retira silencieusement comme pour achever une uvre commence.

Chapitre 14. Marie-Antoinette-Josphe, archiduchesse dAutriche

Il ny avait pas de temps perdre en effet, comme lavait dit Balsamo; un grand bruit de voitures, de chevaux et de voix retentissait dans le chemin, si paisible dordinaire, qui conduisait de la route la maison du baron de Taverney.

On vit alors trois carrosses, dont lun, charg de dorures et de bas-reliefs mythologiques, ntait pas, malgr sa magnificence, moins poudreux ou moins clabouss que les autres, sarrter prs de la porte que tenait ouverte Gilbert, dont les yeux dilats et le tremblement fbrile indiquaient la vive motion laspect de tant de grandeurs.

Vingt cavaliers, tous jeunes et brillants, vinrent se ranger prs de la principale voiture, lorsquen descendit, soutenue par un homme vtu de noir, portant en sautoir sous lhabit le grand cordon de lordre, une jeune fille de quinze seize ans, coiffe sans poudre, mais avec une simplicit qui nempchait pas sa chevelure de slever un pied au-dessus de son front.

Marie-Antoinette, car ctait elle, arrivait en France avec une rputation de beaut que ny apportaient pas toujours les princesses destines partager le trne de nos rois. Il tait difficile davoir une opinion sur ses yeux, qui, sans tre prcisment beaux, prenaient sa volont toutes les expressions, et surtout celles si opposes de la douceur et du ddain; son nez tait bien fait, sa lvre suprieure tait belle; mais sa lvre infrieure, aristocratique hritage de dix-sept csars, trop paisse, trop avance, et quelquefois mme tombante, ne semblait aller convenablement ce joli visage que lorsque ce joli visage voulait exprimer la colre ou lindignation. Son teint tait admirable; on voyait le sang courir sous le tissu dlicat de sa peau; sa poitrine, son cou, ses paules, taient dune suprme beaut; ses mains taient royales. Elle avait deux dmarches bien distinctes: lune quelle prenait, et celle-l tait ferme, noble et un peu presse; lautre, laquelle elle se laissait aller, et celle-l tait molle, balance, et pour ainsi dire caressante. Jamais femme na fait la rvrence avec plus de grce; jamais reine na salu avec plus de science. Pliant la tte une seule fois pour dix personnes, et dans cette seule et unique inclinaison, donnant chacun ce qui lui revenait.

Ce jour-l, Marie-Antoinette avait son regard de femme, son sourire de femme, et mme de femme heureuse; elle tait dcide, si la chose tait possible, ne pas redevenir dauphine de la journe. Le calme le plus doux rgnait sur son visage, la bienveillance la plus charmante animait ses yeux. Elle tait vtue dune robe de soie blanche, et ses beaux bras nus supportaient un mantelet dpaisses dentelles.

peine eut-elle mis pied terre quelle se retourna pour aider descendre de voiture une de ses dames dhonneur que lge appesantissait un peu; puis, refusant le bras que lui offrait lhomme lhabit noir et au cordon bleu, elle savana, libre, aspirant lair et jetant les yeux autour delle, comme si elle voulait profiter jusquen ses moindres dtails de la rare libert quelle se donnait.

Oh! le beau site, les beaux arbres, la gentille maisonnette! dit-elle. Quon doit tre heureux dans ce bon air et sous ces arbres qui vous cachent si bien!

En ce moment Philippe de Taverney arriva suivi dAndre, qui, avec ses longs cheveux tordus en nattes, et vtue dune robe de soie gris de lin, donnait le bras au baron, vtu dun bel habit de velours bleu de roi, dbris de son ancienne splendeur. Il va sans dire que, suivant la recommandation de Balsamo, le baron navait pas oubli son grand cordon de Saint-Louis.

La dauphine sarrta sitt quelle vit les deux personnes qui venaient elle.

Autour de la jeune princesse se groupa sa cour: officiers tenant leurs chevaux par la bride, courtisans le chapeau la main, sappuyant aux bras les uns des autres et chuchotant tout bas.

Philippe de Taverney sapprocha de la dauphine, ple dmotion et avec une noblesse mlancolique.

Madame, dit-il, si Votre Altesse royale le permet, jaurai lhonneur de lui prsenter M. le baron de Taverney-Maison-Rouge, mon pre, et mademoiselle Claire-Andre de Taverney, ma sur.

Le baron sinclina profondment et en homme qui sait saluer les reines; Andre dploya toute la grce de la timidit lgante, toute la politesse si flatteuse dun respect sincre.

Marie-Antoinette regardait les deux jeunes gens et, comme ce que lui avait dit Philippe de la pauvret de leur pre lui revenait lesprit, elle devinait leur souffrance.

Madame, dit le baron dune voix pleine de dignit, Votre Altesse royale fait trop dhonneur au chteau de Taverney; une si humble demeure nest pas digne de recevoir tant de noblesse et de beaut.

Je sais que je suis chez un vieux soldat de France, rpondit la dauphine, et ma mre, limpratrice Marie-Thrse, qui a beaucoup fait la guerre, ma dit que dans votre pays les plus riches de gloire sont presque toujours les plus pauvres dargent.

Et, avec une grce ineffable, elle tendit sa belle main Andre, qui la baisa en sagenouillant.

Cependant le baron, tout son ide dominante, spouvantait de ce grand nombre de gens qui allaient emplir sa petite maison et manquer de siges.

La dauphine le tira tout coup dembarras.

Messieurs, dit-elle en se tournant vers les personnes qui composaient son escorte, vous ne devez ni porter la fatigue de mes fantaisies, ni jouir du privilge dune dauphine. Vous mattendrez donc ici, je vous prie: dans une demi-heure je reviens. Accompagnez-moi, ma bonne Langershausen, dit-elle en allemand celle de ses femmes quelle avait aide descendre de voiture. Suivez-nous, monsieur, dit-elle au seigneur vtu de noir.

Celui-ci qui sous son simple habit offrait une lgance remarquable, tait un homme de trente ans peine, beau de visage, et de gracieuses manires. Il se rangea pour laisser passer la princesse.

Marie-Antoinette prit son ct Andre et fit signe Philippe de venir auprs de sa sur.

Quant au baron, il se trouva prs du personnage, minent sans doute, qui la dauphine accordait lhonneur de laccompagner.

Vous tes donc un Taverney-Maison-Rouge? dit celui-ci au baron en chiquenaudant avec une impertinence tout aristocratique son magnifique jabot de dentelle dAngleterre.

Faut-il que je rponde monsieur ou monseigneur? demanda le baron avec une impertinence qui ne le cdait en rien celle du gentilhomme vtu de noir.

Dites tout simplement mon prince, rpondit celui-ci, ou Votre minence, si vous laimez mieux.

Eh bien! oui, Votre minence, je suis un Taverney-Maison-Rouge, un vrai, dit le baron sans quitter tout fait le ton railleur quil perdait si rarement.

Lminence, qui avait le tact des grands seigneurs, saperut facilement quelle avait affaire quelque chose de mieux quun hobereau.