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Cette maison est votre sjour dt? continua-t-elle.

Dt et dhiver, rpliqua le baron, qui dsirait en finir avec des interrogations dplaisantes, mais en accompagnant chacune de ses rponses dun grand salut.

Philippe, de son ct, se retournait de temps en temps du ct de son pre avec inquitude. La maison semblait, en effet, sapprocher menaante et ironique pour montrer impitoyablement sa pauvret.

Dj le baron tendait avec rsignation la main vers le seuil dsert de visiteurs, quand la dauphine se tournant vers lui:

Excusez-moi, monsieur, de ne point entrer dans la maison: ces ombrages me plaisent tant, que jy passerais ma vie. Je suis un peu lasse des chambres. Cest dans les chambres que lon me reoit depuis quinze jours, moi qui naime que lair, lombrage et le parfum des fleurs.

Puis sadressant Andre:

Mademoiselle, vous me ferez bien apporter sous ces beaux arbres une tasse de lait, nest-ce pas?

Votre Altesse, dit le baron plissant, comment oser vous offrir une si triste collation?

Cest ce que je prfre, avec des ufs frais, monsieur. Des ufs frais et du laitage, ctaient mes festins de Schoenbrunn.

Tout coup La Brie, radieux et bouffi dorgueil sous une livre magnifique, tenant une serviette au poing, apparut en avant dune tonnelle de jasmin dont depuis quelques instants la dauphine semblait envier lombrage.

Son Altesse royale est servie, dit-il avec un mlange impossible rendre de srnit et de respect.

Oh! mais je suis chez un enchanteur! scria la princesse en riant.

Et elle courut plutt quelle ne marcha vers le berceau odorant.

Le baron, trs inquiet, oublia ltiquette, et quitta les cts du gentilhomme vtu de noir pour courir sur les pas de la dauphine.

Philippe et Andre se regardaient avec un mlange dtonnement et danxit, dans lequel lanxit dominait visiblement.

La dauphine, en arrivant sous les arceaux de verdure, poussa un cri de surprise.

Le baron, qui arrivait derrire elle, poussa un soupir de satisfaction.

Andre laissa tomber ses mains dun air qui signifiait: Quest-ce que cela veut dire, mon Dieu?

La jeune dauphine vit du coin de lil toute cette pantomime; elle avait un esprit capable de comprendre ces mystres, si son cur ne les lui et dj fait deviner.

Sous les lianes de clmatites, de jasmins et de chvrefeuilles fleuris, dont les noueuses tiges lanaient mille pais rameaux, une table ovale tait dresse, blouissante, et par lclat du linge de damas qui la couvrait, et par le service de vermeil cisel qui couvrait le linge.

Dix couverts attendaient dix convives.

Une collation recherche, mais dune composition trange, avait tout dabord attir les regards de la dauphine.

Ctaient des fruits exotiques confits dans du sucre, des confitures de tous les pays, des biscuits dAlep, des oranges de Malte, des limons et des cdrats dune grosseur inoue, le tout reposant dans de vastes coupes. Enfin les vins les plus riches de tous et les plus nobles dorigine tincelaient de toutes les nuances du rubis et de la topaze dans quatre admirables carafes tailles et graves en Perse.

Le lait quavait demand la dauphine emplissait une aiguire de vermeil.

La dauphine regarda autour delle et ne vit parmi ses htes que des visages ples et effars.

Les gens de lescorte admiraient et se rjouissaient sans rien comprendre, mais aussi sans chercher comprendre.

Vous mattendiez donc, monsieur? demanda la dauphine au baron de Taverney.

Moi, madame? balbutia celui-ci.

Sans doute. Ce nest pas en dix minutes que lon fait de pareils prparatifs, et je suis chez vous depuis dix minutes peine.

Et elle acheva sa phrase en regardant La Brie dun air qui voulait dire: Surtout quand on na quun seul valet.

Madame, rpondit le baron, jattendais effectivement Votre Altesse royale, ou plutt jtais prvenu de son arrive.

La dauphine se tourna vers Philippe.

Monsieur vous avait donc crit? demanda-t-elle.

Non, madame.

Personne ne savait que je dusse marrter chez vous, monsieur, pas mme moi, dirais-je presque, car je cachais mon dsir moi-mme, pour ne pas causer ici lembarras que je cause, et je nen ai parl que cette nuit monsieur votre fils, lequel tait encore prs de moi il y a une heure, et na d me prcder que de quelques minutes.

En effet, madame, dun quart dheure peine.

Alors cest quelque fe qui vous aura rvl cela; la marraine de mademoiselle peut-tre, ajouta la dauphine en souriant et en regardant Andre.

Madame, dit le baron en offrant un sige la princesse, ce nest point une fe qui ma averti de cette bonne fortune, cest

Cest? rpta la princesse voyant que le baron hsitait.

Ma foi, cest un enchanteur!

Un enchanteur! Comment cela?

Je nen sais rien, car je ne me mle point de magie; mais enfin cest lui, madame, que je dois de recevoir peu prs dcemment Votre Altesse royale, dit le baron.

Alors nous ne pouvons toucher rien, dit la dauphine, puisque cette collation que nous avons devant nous est luvre de la sorcellerie, et Son minence sest trop presse, ajouta-t-elle en se tournant vers le seigneur vtu de noir, douvrir ce pt de Strasbourg, dont nous ne mangerons certainement pas. Et vous, ma chre amie, dit-elle sa gouvernante, dfiez vous de ce vin de Chypre et faites comme moi.

Ce disant, la dauphine se versa, dune carafe ronde comme un globe et petit col, un grand verre deau dans un gobelet dor.

Mais, en effet, dit Andre avec une sorte deffroi, Son Altesse a peut-tre raison.

Philippe tremblait de surprise, et, ignorant tout ce qui stait pass la veille, regardait alternativement son pre et sa sur, essayant de deviner dans leurs regards ce quils devinaient par eux-mmes.

Cest contraire aux dogmes, dit la dauphine, et M. le cardinal va pcher.

Madame, dit le prlat, nous sommes trop mondains, nous autres princes de lglise, pour croire aux colres clestes propos de victuailles, et trop humains surtout pour brler de braves sorciers qui nous nourrissent de si bonnes choses.

Ne plaisantez pas, monseigneur, dit le baron. Je jure Votre minence que lauteur de tout ceci est un sorcier, trs sorcier, qui ma prdit, voil une heure peu prs, larrive de Son Altesse et celle de mon fils.

Voil une heure? demanda la dauphine.

Oui, tout au plus.

Et depuis une heure, vous avez eu le temps de faire dresser cette table, de mettre contribution les quatre parties du monde pour runir ces fruits, de faire venir les vins de Tokay, de Constance, de Chypre et de Malaga? Dans ce cas, monsieur, vous tes plus sorcier que votre sorcier.

Non, madame; cest lui, et toujours lui.

Comment! toujours lui?

Oui, qui a fait sortir de terre cette table toute servie, telle quelle est enfin.

Votre parole, monsieur? demanda la princesse.

Foi de gentilhomme! rpondit le baron.

Ah! bah! scria le cardinal du ton le plus srieux et en abandonnant son assiette, jai cru que vous plaisantiez.

Non, Votre minence.

Vous avez chez vous un sorcier, un vrai sorcier?

Un vrai sorcier! Et je ne serais pas mme tonn que lor dont est compos ce service ne ft de sa faon.

Il connatrait la pierre philosophale! scria le cardinal les yeux brillants de convoitise.

Oh! comme cela va M. le cardinal, dit la princesse, lui qui la cherche toute sa vie sans la pouvoir trouver.

Javoue Votre Altesse, rpondit la mondaine minence, que je ne trouve rien de plus intressant que les choses surnaturelles, rien de plus curieux que les choses impossibles.

Ah! jai touch lendroit vulnrable, ce quil parat, dit la dauphine; tout grand homme a ses mystres, surtout quand il est diplomate. Moi aussi, je vous en prviens, monsieur le cardinal, je suis trs forte en sorcellerie, et je devine parfois des choses, sinon impossibles, sinon surnaturelles, du moins incroyables.