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Aprs, monsieur?

Votre Altesse sapprocha du bureau. Votre Altesse doit sen souvenir, il y a juste cinq ans de cela.

Continuez.

Votre Altesse sapprocha du bureau; sur le bureau tait une lettre tout ouverte que limpratrice avait crite la veille.

Eh bien?

Eh bien! Votre Altesse lut cette lettre.

La dauphine rougit lgrement.

Et aprs lavoir lue, sans doute Votre Altesse fut mcontente de quelques expressions, car elle prit la plume, et de sa propre main

La dauphine semblait attendre avec anxit. Balsamo continua:

Elle raya trois mots.

Et ces trois mots, quels taient-ils? scria vivement la dauphine.

Ctaient les premiers de la lettre.

Je vous demande non pas la place o ils se trouvaient, mais quelle tait leur signification.

Un trop grand tmoignage daffection, sans doute, pour la personne qui la lettre tait adresse; de l cette faiblesse dont je disais quen une circonstance, au moins, votre auguste mre avait pu tre accuse.

Ainsi vous vous souvenez de ces trois mots?

Je men souviens.

Vous pourriez me les redire?

Parfaitement.

Redites-les.

Tout haut?

Oui.

Ma chre amie.

Marie-Antoinette se mordit les lvres en plissant.

Maintenant, dit Balsamo, Votre Altesse royale veut-elle que je lui dise qui cette lettre tait adresse?

Non, mais je veux que vous me lcriviez.

Balsamo tira de sa poche une espce dagenda fermoir dor, crivit sur une de ses feuilles quelques mots avec un crayon de mme mtal, dchira la feuille de papier et la prsenta en sinclinant la princesse.

Marie-Antoinette prit la feuille de papier et lut.

La lettre tait adresse la matresse du roi Louis XV, madame la marquise de Pompadour

La dauphine releva son regard tonn sur cet homme aux paroles si nettes, la voix si pure et si peu mue, qui, tout en saluant trs bas, paraissait la dominer.

Tout cela est vrai, monsieur, dit-elle, et, quoique jignore par quel moyen vous avez surpris ces dtails, comme je ne sais pas mentir, je le rpte tout haut, cela est vrai.

Alors, dit Balsamo, que Votre Altesse me permette de me retirer et se contente de cette preuve innocente de ma science.

Non pas, monsieur, reprit la dauphine pique, plus vous tes savant, plus je tiens ma prdiction. Vous ne mavez parl que du pass, et ce que je rclame de vous, cest lavenir.

La princesse pronona ces quelques mots avec une agitation fbrile quelle essayait vainement de cacher ses auditeurs.

Je suis prt, dit Balsamo, et cependant, je supplierai encore une fois Votre Altesse royale de ne point me presser.

Je nai jamais rpt deux fois Je veux et vous vous rappelez, monsieur, que je lai dj dit une fois.

Laissez-moi tout au moins consulter loracle, madame, dit Balsamo dun ton suppliant. Je saurai ensuite si je puis rvler la prdiction Votre Altesse royale.

Bonne ou mauvaise, je la veux, entendez-vous bien, monsieur? reprit Marie-Antoinette avec une irritation croissante. Bonne, je ny croirai pas, la prenant pour une flatterie; mauvaise, je la considrerai comme un avertissement, et, quelle quelle soit, je vous promets de vous en savoir gr. Commencez donc.

La princesse pronona ces derniers mots dun ton qui nadmettait ni observation ni retard.

Balsamo prit la carafe ronde au col court et troit dont nous avons dj parl, et la posa sur une coupe dor.

Ainsi claire, leau rayonna de reflets fauves qui, mls la nacre des parois et au diamant du centre, parurent offrir quelque signification aux regards attentifs du devin.

Chacun fit silence.

Balsamo leva dans ses mains la carafe de cristal, et, aprs lavoir considre un instant avec attention, il la reposa sur la table en secouant la tte.

Eh bien? demanda la dauphine.

Je ne puis parler, dit Balsamo.

Le visage de la princesse prit une expression qui signifiait visiblement: Sois tranquille; je sais comment on fait parler ceux qui veulent se taire.

Parce que vous navez rien me dire? reprit-elle tout haut.

Il y a des choses quon ne doit jamais dire aux princes, madame, rpliqua Balsamo dun ton indiquant quil tait dcid rsister, mme aux ordres de la dauphine.

Surtout, reprit celle-ci, quand ces choses-l, je le rpte, se traduisent par le mot rien.

Ce nest point l ce qui marrte, madame; au contraire.

La dauphine sourit ddaigneusement.

Balsamo paraissait embarrass; le cardinal commena de lui rire au nez, et le baron sapprocha en grommelant.

Allons, allons, dit-il, voil mon sorcier us: il na pas dur longtemps. Maintenant, il ne nous reste plus qu voir toutes ces tasses dor se changer en feuilles de vigne, comme dans le conte oriental.

Jeusse aim mieux, reprit Marie-Antoinette, de simples feuilles de vigne que tout cet talage fait par monsieur pour en arriver mtre prsent.

Madame, rpondit Balsamo fort ple, daignez vous rappeler que je nai pas sollicit cet honneur.

Eh! monsieur, il ntait pas difficile de deviner que je demanderais vous voir.

Pardonnez-lui, madame, dit Andre voix basse, il a cru bien faire.

Et moi, je vous dis quil a eu tort, rpliqua la princesse de faon ntre entendue que de Balsamo et dAndre. On ne se hausse pas en humiliant un vieillard; et quand elle peut boire dans le verre dtain dun gentilhomme, on ne force pas une dauphine de France boire dans le verre dor dun charlatan.

Balsamo se redressa, frissonnant comme si quelque vipre leut mordu.

Madame, dit-il dune voix frmissante, je suis prt vous faire connatre votre destine, puisque votre aveuglement vous pousse la savoir.

Balsamo pronona ces quelques paroles dun ton si ferme et si menaant la fois, que les assistants sentirent un froid glacial courir dans leurs veines.

La jeune archiduchesse plit visiblement.

Gieb ihm kein Gehr, meine Tochter [4], dit en allemand la vieille dame Marie-Antoinette.

Lass sie hren, sie hat weissen gewollen, und so soll sie wissen [5], rpondit Balsamo dans la mme langue.

Ces mots, prononcs dans un idiome tranger, et que quelques personnes seulement comprirent, donnrent encore plus de mystre la situation.

Allons, dit la dauphine en rsistant aux efforts de sa vieille tutrice, allons, quil parle. Si je lui disais de se taire maintenant, il croirait que jai peur.

Balsamo entendit ces paroles et un sombre mais furtif sourire se dessina sur ses lvres.

Cest bien ce que javais dit, murmura-t-il, un courage fanfaron.

Parlez, dit la dauphine, parlez, monsieur.

Votre Altesse royale exige donc toujours que je parle?

Je ne reviens jamais sur une dcision.

Alors, vous seule, madame, dit Balsamo.

Soit, dit la dauphine. Je le forcerai dans ses derniers retranchements. loignez-vous.

Et, sur un signe qui faisait comprendre que lordre tait gnral, chacun se retira.

Cest un moyen comme un autre, dit la dauphine en se retournant vers Balsamo, dobtenir une audience particulire, nest-ce pas, monsieur?

Ne cherchez point mirriter, madame, reprit ltranger; je ne suis quun instrument dont Dieu se sert pour vous clairer. Insultez la fortune, elle vous le rendra, elle, car elle sait bien se venger. Moi, je traduis seulement ses caprices. Ne faites donc pas plus peser sur moi la colre qui vous vient de mon retard, que vous ne me ferez payer les malheurs dont je ne suis que le hraut sinistre.

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[4] Ne lcoute pas, ma fille.

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[5] Laisse-la couter, elle a voulu savoir, et elle saura.