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Alors, il parat que ce sont des malheurs? dit la dauphine, adoucie par lexpression respectueuse de Balsamo et dsarme par son apparente rsignation.

Oui, madame, et de trs grands malheurs.

Dites-les tous.

Jessayerai.

Eh bien?

Interrogez-moi.

Dabord, ma famille vivra-t-elle heureuse?

Laquelle? celle que vous quittez ou celle qui vous attend?

Oh! ma vraie famille, ma mre Marie-Thrse, mon frre Joseph, ma sur Caroline.

Vos malheurs ne les atteindront pas.

Ces malheurs me seront donc personnels?

vous et votre nouvelle famille.

Pouvez-vous mclairer sur ces malheurs?

Je le puis.

La famille royale se compose de trois princes?

Oui.

Le duc de Berry, le comte de Provence, le comte dArtois.

merveille.

Quel sera le sort de ces trois princes?

Ils rgneront tous trois.

Je naurai donc pas denfants?

Vous en aurez.

Alors, ce ne seront pas des fils?

Il y aura des fils parmi les enfants que vous aurez.

Jaurai donc la douleur de les voir mourir?

Vous regretterez que lun soit mort, vous regretterez que lautre soit vivant.

Mon poux maimera-t-il?

Il vous aimera.

Beaucoup?

Trop.

Mais quels malheurs peuvent matteindre, je vous le demande, avec lamour de mon mari et lappui de ma famille?

Lun et lautre vous manqueront.

Il me restera lamour et lappui du peuple.

Lamour et lappui du peuple! Cest locan pendant le calme Avez vous vu locan pendant une tempte, madame?

En faisant le bien, jempcherai la tempte de se lever, ou, si elle se lve, je mlverai avec elle.

Plus la vague est haute, plus labme quelle creuse est grand.

Dieu me restera.

Dieu ne dfend pas les ttes quil a condamnes lui-mme.

Que dites-vous l, monsieur? ne serai-je point reine?

Au contraire, madame, et plt au ciel que vous ne le fussiez pas!

La jeune femme sourit ddaigneusement.

coutez, madame, reprit Balsamo, et souvenez-vous.

Jcoute, reprit la dauphine.

Avez-vous remarqu, continua le prophte, la tapisserie de la premire chambre o vous avez couch en entrant en France?

Oui, monsieur, rpondit la dauphine en frissonnant.

Que reprsentait cette tapisserie?

Un massacre celui des Innocents.

Avouez que les sinistres figures des massacreurs sont restes dans le souvenir de Votre Altesse royale?

Je lavoue, monsieur.

Eh bien! pendant lorage, navez-vous rien remarqu?

Le tonnerre a bris, ma gauche, un arbre qui, en tombant, a failli craser ma voiture.

Ce sont des prsages, cela, dit dune voix sombre Balsamo.

Et des prsages funestes?

Il serait difficile, ce me semble, de les interprter autrement.

La dauphine laissa tomber sa tte sur sa poitrine, puis la relevant aprs un moment de recueillement et de silence:

Comment mourra mon mari?

Sans tte.

Comment mourra le comte de Provence?

Sans jambes.

Comment mourra le comte dArtois?

Sans cour.

Et moi?

Balsamo secoua la tte.

Parlez, dit la dauphine; parlez donc!

Je nai plus rien dire.

Mais je veux que vous parliez! scria Marie-Antoinette toute frmissante.

Par piti, madame.

Oh! parlez! dit la dauphine.

Jamais, madame, jamais!

Parlez, monsieur, reprit Marie-Antoinette avec le ton de la menace, parlez, ou je dirai que tout ceci nest quune comdie ridicule. Et, prenez-y garde, on ne se joue pas ainsi dune fille de Marie-Thrse, dune femme qui tient dans ses mains la vie de trente millions dhommes.

Balsamo resta muet.

Allons, vous nen savez pas davantage, dit la princesse en haussant les paules avec mpris; ou plutt votre imagination est bout.

Je sais tout, vous dis-je, madame, reprit Balsamo, et puisque vous le voulez absolument

Oui, je le veux.

Balsamo prit la carafe, toujours dans sa coupe dor; puis il la dposa dans un sombre enfoncement de la tonnelle o quelques rochers factices figuraient une grotte; puis, saisissant larchiduchesse par la main, il lentrana sous lombre noire de la vote.

tes-vous prte? dit-il la princesse, que cette action vhmente avait presque effraye.

Oui.

Alors, genoux, madame, genoux, et vous serez en posture de prier Dieu quil vous pargne le terrible dnouement que vous allez voir.

La dauphine obit machinalement et se laissa aller sur ses deux genoux.

Balsamo toucha de sa baguette le globe de cristal, au milieu duquel se dessina sans doute quelque sombre et terrible figure.

La dauphine essaya de se relever, chancela un instant, retomba, poussa un cri terrible et svanouit.

Le baron accourut, la princesse tait sans connaissance.

Au bout de quelques minutes, elle revint elle.

Elle passa ses mains sur son front, comme une personne qui cherche rappeler ses souvenirs.

Puis tout coup:

La carafe! scria-t-elle avec un accent dinexprimable terreur. La carafe!

Le baron la lui prsenta. Leau tait limpide et sans une seule tache.

Balsamo avait disparu.

Chapitre 16. Le baron de Taverney croit enfin entrevoir un petit coin de lavenir

Le premier qui saperut de lvanouissement de madame la dauphine fut, comme nous lavons dit, le baron de Taverney, il se tenait lafft, plus inquiet que personne de ce qui allait se passer entre elle et le sorcier. Il avait entendu le cri que Son Altesse royale avait pouss, il avait vu Balsamo slancer hors du massif; il tait accouru.

Le premier mot de la dauphine avait t pour quon lui montrt la carafe, le second pour quon ne ft aucun mal au sorcier. Il tait temps que cette recommandation ft faite: Philippe de Taverney bondissait dj sur sa trace comme un lion irrit, quand la voix de la dauphine larrta.

Alors sa dame dhonneur sapprocha delle son tour, et linterrogea en allemand; cependant toutes ses questions elle ne rpondit rien, sinon que Balsamo ne lui avait aucunement manqu de respect; mais que, fatigue probablement par la longueur de la route et lorage de la veille, elle avait t surprise par un accs de fivre nerveuse.

Ces rponses furent traduites M. de Rohan, qui attendait des explications, mais sans oser en demander.

la cour, on se contente dune demi-rponse; celle de la dauphine ne satisfit point, mais parut satisfaire tout le monde. En consquence, Philippe sapprocha delle.

Madame, dit-il, cest pour obir aux ordres de Son Altesse royale que je viens, mon grand regret, lui rappeler que la demi-heure pendant laquelle elle comptait sarrter ici est coule et que les chevaux sont prts.

Bien, monsieur, dit-elle avec un geste charmant de nonchalance maladive, mais je reviens mon intention premire. Je suis incapable de partir en ce moment Si je dormais quelques heures, il me semble que ces quelques heures de repos me remettraient.

Le baron plit. Andre regarda son pre avec inquitude.

Votre Altesse sait combien le gte est indigne delle, balbutia le baron de Taverney.

Oh! je vous en prie, monsieur, rpondit la dauphine du ton dune femme qui va dfaillir; tout sera bien, pourvu que je me repose.

Andre disparut aussitt pour faire prparer sa chambre. Ce ntait pas la plus grande, ce ntait mme pas la plus orne peut-tre; mais il y a toujours dans la chambre dune jeune fille aristocratique comme ltait Andre, ft-elle pauvre comme ltait Andre, quelque chose de coquet qui rjouit la vue dune autre femme.

Chacun voulut alors sempresser prs de la dauphine; mais, avec un mlancolique sourire, elle fit signe de la main, comme si elle navait plus la force de parler, quelle dsirait tre seule.

Alors chacun sloigna pour la seconde fois.

Marie-Antoinette suivit tout le monde des yeux jusqu ce que le dernier pan dhabit et la dernire queue de robe eussent disparu; puis, rveuse, elle laissa tomber sa tte plie sur sa belle main.