De grce!
Eh! non, je me trompe, cest celle que vous avez laisse courir contre moi, celle-l. Il y en a tant, que je membrouille. Attendez, attendez, my voici:
Ah! cruelle, vous me changerez en tigre.
Maintenant, passons la chanson; cest madame de Grammont qui parle:
Madame! madame! scria M. de Sartine furieux.
Oh! rassurez-vous, dit la comtesse, on na encore tir que dix mille exemplaires. Mais cest le vaudeville quil faut entendre.
Vous avez donc une presse?
Belle demande! Est-ce que M. de Choiseul nen a pas?
Gare votre imprimeur!
Ah! oui! essayez; le brevet est en mon nom.
Cest odieux! Et le roi rit de toutes ces infamies?
Comment donc! cest lui qui fournit les rimes quand mes araignes en manquent.
Oh! vous savez que je vous sers, et vous me traitez ainsi?
Je sais que vous me trahissez. La duchesse est Choiseul, elle veut ma ruine.
Madame, elle ma pris au dpourvu, je vous jure.
Vous avouez donc?
Il le faut bien.
Pourquoi ne mavez-vous pas avertie?
Je venais pour cela.
Bast! je nen crois rien.
Parole dhonneur!
Je parie le double.
Voyons, je demande grce, dit le lieutenant de police tombant genoux.
Vous faites bien.
La paix, au nom du ciel, comtesse.
Comment, vous avez peur de quelques mauvais vers, vous, un homme, un ministre?
Ah! si je navais peur que de cela.
Et vous ne rflchissez pas combien une chanson peut me faire passer de mauvaises heures, moi qui suis une femme!
Vous tes une reine.
Oui, une reine non prsente.
Je vous jure, madame, que je ne vous ai jamais fait de mal.
Non, mais vous men avez laiss faire.
Le moins possible.
Allons, je veux bien le croire.
Croyez-le.
Il sagit donc maintenant de faire le contraire du maclass="underline" il sagit de faire le bien.
Aidez-moi, je ne puis manquer dy russir.
tes-vous pour moi, oui ou non?
Oui.
Votre dvouement ira-t-il jusqu soutenir ma prsentation?
Vous-mme y mettrez des bornes.
Songez-y, mon imprimerie est prte; elle fonctionne nuit et jour, et dans vingt-quatre heures mes grimauds auront faim, et, quand ils ont faim, ils mordent.
Je serai sage. Que dsirez-vous?
Que rien de ce que je tenterai ne soit travers.
Oh! quant moi, je my engage!
Voil un mauvais mot, dit la comtesse en frappant du pied, et qui sent le grec ou le carthaginois, la foi punique, enfin.
Comtesse!
Aussi, je ne laccepte pas; cest une chappatoire. Vous serez cens ne rien faire, et M. de Choiseul agira. Je ne veux pas de cela, entendez-vous? Tout ou rien. Livrez-moi les Choiseul garrotts, impuissants, ruins, ou je vous annihile, je vous garrotte, je vous ruine. Et, prenez garde, la chanson ne sera pas ma seule arme, je vous en prviens.
Ne menacez pas, madame, dit M. de Sartine devenu rveur, car cette prsentation est devenue dune difficult que vous ne sauriez concevoir.
Devenue est le mot, parce quon y a mis des obstacles.
Hlas!
Pouvez-vous les lever?
Je ne suis pas seul; il nous faut cent personnes.
On les aura.
Un million
Cela regarde Terray.
Le consentement du roi
Je laurai.
Il ne le donnera point.
Je le prendrai.
Puis, quand vous aurez tout cela, il vous faudra encore une marraine.
On la cherche.
Inutile: il y a ligue contre vous.
Versailles?
Oui, toutes les dames ont refus, pour faire leur cour M. de Choiseul, madame de Grammont, la dauphine, au parti prude, enfin.
Dabord le parti prude sera oblig de changer de nom si madame de Grammont en est. Cest dj un chec.
Vous vous enttez inutilement, croyez-moi.
Je touche au but.
Ah! cest pour cela que vous avez dpch votre sur Verdun?
Justement. Ah! vous savez cela? dit la comtesse mcontente.
Dame! jai ma police aussi, moi, fit M. de Sartine en riant.
Et vos espions?
Et mes espions.
Chez moi?
Chez vous.
Dans mes curies ou dans mes cuisines?
Dans vos antichambres, dans votre salon, dans votre boudoir, dans votre chambre coucher, sous votre chevet.
Eh bien! comme premier gage dalliance, dit la comtesse, nommez-moi ces espions.
Ah! je ne veux pas vous brouiller avec vos amis, comtesse.
Alors, la guerre.
La guerre! Comme vous dites cela!
Je le dis comme je le pense. Allez-vous-en, je ne veux plus vous voir.
Ah! cette fois, je vous prends tmoin. Puis-je livrer un secret dtat?
Un secret dalcve.
Cest ce que je voulais dire: ltat est l aujourdhui.
Je veux mon espion.
Quen ferez-vous?
Je le chasserai.
Faites maison nette alors.
Savez-vous que cest effrayant, ce que vous dites l.
Cest vrai surtout. Eh! mon Dieu! il ny aurait pas moyen de gouverner sans cela, vous le savez bien, vous qui tes si excellente politique.
Madame du Barry appuya son coude sur une table de laque.
Vous avez raison, dit-elle, laissons cela. Les conditions du trait?
Faites-les, vous tes le vainqueur.
Je suis magnanime comme Smiramis. Que voulez-vous?
Vous ne parlerez jamais au roi des rclamations sur les farines, rclamations auxquelles, tratresse, vous avez promis votre appui.
Cest dit; emportez tous les placets que jai reus ce sujet: ils sont dans ce coffre.
Recevez en change ce travail des pairs du royaume sur la prsentation et les tabourets.
Travail que vous tiez charg de remettre Sa Majest
Sans doute.
Comme si vous laviez fait faire?
Oui.
Bien; mais que direz-vous?
Je dirai que je lai remis. Cela fera gagner du temps, et vous tes trop habile tacticienne pour ne pas en profiter.
En ce moment les deux battants de la porte souvrirent, et un huissier entra, criant:
Le roi!
Les deux allis sempressrent de cacher chacun son gage dalliance et se retournrent pour saluer Sa Majest Louis quinzime du nom.
Chapitre 24. Le roi Louis XV
Louis XV entra la tte haute, le jarret tendu, lil gai, le sourire aux lvres.
On voyait sur son passage, par la porte ouverte deux battants, une double haie de ttes inclines et appartenant des courtisans, une fois plus dsireux encore dtre introduits, depuis quils voyaient dans larrive de Sa Majest une occasion de faire la fois leur cour deux puissances.
Les portes se refermrent. Le roi, nayant fait signe personne de le suivre, se trouva seul avec la comtesse et M. de Sartine.
Nous ne parlerons pas de la chambrire intime ni dun petit ngrillon; ni lun ni lautre ne comptait.
Bonjour, comtesse, dit le roi en baisant la main de madame du Barry. Dieu merci, sommes-nous frache ce matin! Bonjour, Sartine. Est ce quon travaille ici? Bon Dieu! que de papiers! Cachez-moi cela, hein! Oh! la belle fontaine, comtesse!
Et avec sa curiosit versatile et ennuye, les yeux de Louis XV se fixrent sur une gigantesque chinoiserie qui ornait depuis la veille seulement un des angles de la chambre coucher de la comtesse.
Sire, rpondit madame du Barry, cest, comme Votre Majest peut le voir, une fontaine de Chine. Les eaux, en lchant le robinet qui est derrire, font siffler des oiseaux de porcelaine et nager des poissons de verre; puis les portes de la pagode souvrent pour donner passage un dfil de mandarins.