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Il vit dans les yeux de la comtesse quelle ne plaisantait nullement.

Et bless! ajouta-t-il dun ton apitoy.

Mais quel propos est venue cette rixe? demanda le lieutenant de police essayant toujours de voir la vrit dans les dtours quelle faisait pour lui chapper.

Le plus frivole, monsieur; propos de chevaux de poste quon disputait au vicomte, qui tait press de me ramener prs de ma sur, laquelle javais promis de revenir ce matin.

Ah! mais cela crie vengeance, dit le roi, nest-ce pas, Sartine?

Mais, je le crois, sire, rpondit le lieutenant de police, et je vais prendre des informations. Le nom de lagresseur, madame, sil vous plat? sa qualit? son tat?

Son tat? Ctait un militaire, un officier aux gendarmes-dauphin, je crois. Quant son nom, il sappelle Baverney, Faverney, Taverney; oui, cest cela, Taverney.

Madame, dit M. de Sartine, il couchera demain la Bastille.

Oh! que non! dit la comtesse, qui jusque-l avait gard le plus diplomatique silence, oh! que non!

Comment cela, oh! que non? dit le roi. Et pourquoi, je vous prie, nemprisonnerait-on pas le drle? Vous savez bien que les militaires me sont insupportables.

Et moi, sire, rpta la comtesse avec la mme assurance, je vous dis que lon ne fera rien lhomme qui a assassin M. du Barry.

Ah! par exemple, comtesse, rpliqua Louis XV voil qui est particulier; expliquez-moi cela, je vous prie.

Cest facile. Quelquun le dfendra.

Quel est ce quelquun?

Celui linstigation duquel il a agi.

Ce quelquun-l le dfendra contre nous? Oh! oh! cest fort, ce que vous dites l, comtesse.

Madame, balbutia M. de Sartine, qui voyait sapprocher le coup et qui lui cherchait en vain une parade.

Contre vous, oui, contre vous; et il ny a pas de oh! oh! Est-ce que vous tes le matre, vous?

Le roi sentit le coup quavait vu venir M. de Sartine et se cuirassa.

Ah! bien, dit-il, nous allons nous jeter dans les raisons dtat, et chercher un pauvre duel des motifs de lautre monde.

Ah! vous voyez bien, dit la comtesse, voil dj que vous mabandonnez et que cet assassinat de tout lheure nest plus quun duel, maintenant que vous vous doutez do il nous vient.

Bon! nous y voici, dit Louis XV en lchant le robinet de la fontaine, qui se mit jouer, faisant chanter les oiseaux, faisant nager les poissons, faisant sortir les mandarins.

Vous ne savez pas do vient le coup? demanda la comtesse en chiffonnant les oreilles de Zamore, couch ses pieds.

Non, ma foi, dit Louis XV.

Vous ne vous en doutez pas?

Je vous jure. Et vous, comtesse?

Eh bien! moi, je le sais, et je vais vous le dire, et je ne vous apprendrai rien de nouveau, jen suis bien certaine.

Comtesse, comtesse, dit Louis XV essayant de reprendre sa dignit, savez-vous que vous donnez un dmenti au roi?

Sire, peut-tre suis-je un peu vive, cest vrai; mais si vous croyez que je laisserai tranquillement M. de Choiseul me tuer mon frre

Bon! voil que cest M. de Choiseul! dit le roi avec un clat de voix, comme sil ne sattendait pas ce nom, que depuis dix minutes il redoutait de voir figurer dans la conversation.

Ah! dame! si vous vous obstinez ne pas voir quil est mon plus cruel ennemi, moi, je le vois et clairement, car il ne se donne point la peine de cacher la haine quil me porte.

Il y a loin de har les gens les assassiner, chre comtesse.

Pour les Choiseul, toutes choses se touchent.

Ah! chre amie, voil encore les raisons dtat qui reviennent.

Mon Dieu! mon Dieu! voyez donc si ce nest pas damnant, monsieur de Sartine.

Mais non, si ce que vous croyez

Je crois que vous ne me dfendez pas, voil tout, et mme, je dirai plus, je suis sre que vous mabandonnez! scria la comtesse avec violence.

Oh! ne vous fchez pas, comtesse, dit Louis XV. Mon seulement vous ne serez pas abandonne, mais encore vous serez dfendue, et si bien

Si bien?

Si bien, quil en cotera cher lagresseur de ce pauvre Jean.

Oui, cest cela, on brisera linstrument et on serrera la main.

Nest-ce pas juste de sen prendre celui qui a fait le coup, ce M. Taverney?

Sans doute, cest juste, mais ce nest que juste; ce que vous faites pour moi, vous le feriez pour le premier marchand de la rue Saint-Honor quun soldat battrait au spectacle. Je vous en prviens, je ne veux pas tre traite comme tout le monde. Si vous ne faites pas plus pour ceux que vous aimez que pour les indiffrents, jaime mieux lisolement et lobscurit de ces derniers; ils nont pas dennemis qui les assassinent, au moins.

Ah! comtesse, comtesse, dit tristement Louis XV, moi qui me suis par hasard lev si gai, si heureux, si content, comme vous me gtez ma charmante matine!

Voil qui est adorable, par exemple! Elle est donc jolie, ma matine moi, moi dont on massacre la famille?

Le roi, malgr la crainte intrieure que lui inspirait lorage grondant autour de lui, ne put sempcher de sourire au mot massacre.

La comtesse se leva furieuse.

Ah! voil comme vous me plaignez? dit-elle.

Eh! l, l, ne vous fchez pas.

Mais je veux me fcher moi.

Vous avez tort; vous tes ravissante quand vous souriez, tandis que la colre vous enlaidit.

Que mimporte moi? ai-je besoin dtre belle, puisque la beaut ne mempche pas dtre sacrifie des intrigues?

Voyons, comtesse.

Non, choisissez, de moi ou de votre Choiseul.

Chre belle, impossible de choisir: vous mtes ncessaires tous deux.

Alors je me retire.

Vous?

Oui, je laisse le champ libre mes ennemis. Oh! jen mourrai de chagrin; mais M. de Choiseul sera satisfait et cela vous consolera.

Eh bien! moi, je vous jure, comtesse, quil ne vous en veut pas le moins du monde, et quil vous porte dans son cur. Cest un galant homme aprs tout, ajouta le roi en ayant soin que M. de Sartine entendit bien ces dernires paroles.

Un galant homme! Vous mexasprez, sire. Un galant homme qui fait assassiner les gens!

Oh! dit le roi, nous ne savons pas encore.

Et puis, se hasarda de dire le lieutenant de police, une querelle entre gens dpe est si piquante, si naturelle!

Ah! ah! rpliqua la comtesse; et vous aussi, monsieur de Sartine!

Le lieutenant comprit la valeur de ce tu quoque, et il recula devant la colre de la comtesse.

Il y eut un moment de silence sourd et menaant.

Vous voyez, Chon, dit le roi au milieu de cette consternation gnrale, vous voyez, voil votre ouvrage.

Chon baissa les yeux avec une tristesse hypocrite.

Le roi pardonnera, dit-elle, si la douleur de la sur la emport sur la force dme de la sujette.

Bonne pice! murmura le roi. Voyons, comtesse, pas de rancune.

Oh! non, sire, je nen ai pas Seulement, je vais Luciennes, et de Luciennes Boulogne.

Sur mer? demanda le roi.

Oui, sire, je quitte un pays o le ministre fait peur au roi.

Madame! dit Louis XV offens.

Eh bien! sire, permettez que, pour ne pas manquer plus longtemps de respect Votre Majest, je me retire.

La comtesse se leva, observant du coin de lil leffet que produisait son mouvement.

Louis XV poussa son soupir de lassitude, soupir qui signifiait:

Je mennuie considrablement ici.

Chon devina le sens du soupir et comprit quil serait dangereux pour sa sur de pousser plus loin la querelle.

Elle arrta sa sur par sa robe, et, allant au roi:

Sire, dit-elle, lamour que ma sur porte au pauvre vicomte la entrane trop loin Cest moi qui ai commis la faute, cest moi de la rparer Je me mets au rang de la plus humble sujette de Sa Majest; je lui demande justice pour mon frre; je naccuse personne: la sagesse du roi saura bien distinguer.

Eh! mon Dieu! cest tout ce que je demande, moi, la justice; oui, mais que ce soit la justice juste. Si un homme na pas commis un crime, quon ne lui reproche pas ce crime; sil la commis, quon le chtie.