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Nous nous enfonmes en Asie; nous remontmes le Tigre, nous visitmes Palmyre, Damas, Smyrne, Constantinople, Vienne, Berlin, Dresde, Moscou, Stockholm, Ptersbourg, New-York, Buenos-Ayres, Le Cap, Aden; puis, nous retrouvant presque au point do nous tions partis, nous gagnmes lAbyssinie, nous descendmes le Nil, nous abordmes Rhodes, puis Malte; un navire tait venu au-devant du ntre vingt lieues en mer, et deux chevaliers de lordre, mayant salu et ayant embrass Althotas, nous avaient conduits triomphalement au palais du grand matre Pinto.

Sans doute, vous allez me demander, seigneurs, comment le musulman Acharat tait reu avec tant dhonneur par ceux-l mme qui jurent dans leurs vux lextermination des infidles. Cest quAlthotas, catholique et chevalier de Malte lui-mme, ne mavait jamais parl que dun Dieu puissant, universel, ayant, avec laide des anges ses ministres, tabli lharmonie gnrale, et ayant donn ce tout harmonieux le beau, le grand nom de Cosmos. Jtais thosophe enfin.

Mes voyages taient achevs; mais la vue de toutes ces villes aux noms divers, aux murs opposes, ne mavait caus aucun tonnement: cest que rien ntait nouveau pour moi sous le soleil; cest que pendant le cours des trente-deux existences que javais dj vcu, javais dj visit les mmes villes; cest que la seule chose qui me frappa, ctaient les changements qui staient oprs parmi les hommes qui les peuplaient. Alors, je pus planer en esprit au-dessus des vnements et suivre la marche de lhumanit. Je vis que tous les esprits tendaient au progrs, que le progrs menait la libert. Je vis que tous les prophtes apparus successivement avaient t suscits par le Seigneur pour soutenir la marche chancelante de lhumanit, qui, partie aveugle de son berceau, fait chaque sicle un pas vers la lumire: les sicles sont les jours des peuples.

Alors je me suis dit que tant de choses sublimes ne mavaient pas t rvles pour que je les ensevelisse en moi, que cest vainement que la montagne renferme ses filons dor et que locan cache ses perles; car le mineur obstin pntre au fond de la montagne; car le plongeur descend dans les profondeurs de locan, et que mieux valait, au lieu de faire comme locan et la montagne, faire comme le soleil, cest--dire secouer mes splendeurs sur le monde.

Vous comprenez donc maintenant, nest-ce pas, que ce nest point pour accomplir de simples rites maonniques que je suis venu dorient. Je suis venu pour vous dire: Frres, empruntez les ailes et les yeux de laigle, levez-vous au-dessus du monde, gagnez avec moi la cime de la montagne o Satan emporta Jsus, et jetez les yeux sur les royaumes de la terre.

Les peuples forment une immense phalange; ns diffrentes poques et dans des conditions diverses, ils ont pris leurs rangs et doivent arriver, chacun son tour, au but pour lequel ils ont t crs. Ils marchent incessamment, quoiquils semblent se reposer, et sils reculent par hasard, ce nest pas quils vont en arrire, cest quils prennent un lan pour franchir quelque obstacle ou bien pour briser quelque difficult.

La France est lavant-garde des nations; mettons-lui un flambeau la main. Ce flambeau dt-il tre une torche, la flamme qui la dvorera sera un salutaire incendie, puisquil clairera le monde.

Cest pour cela que le reprsentant de la France manque ici; peut-tre et-il recul devant sa mission Il faut un homme qui ne recule devant rien jirai en France.

Vous irez en France? reprit le prsident.

Oui, cest le poste le plus important je le prends pour moi; cest luvre la plus prilleuse je men charge.

Alors vous savez ce qui se passe en France? reprit le prsident.

Lillumin sourit.

Je le sais, car je lai prpar moi-mme: un roi vieux, timor, corrompu, moins vieux, moins dsespr encore que la monarchie quil reprsente, sige sur le trne de France. Quelques annes peine lui restent vivre. Il faut que lavenir soit convenablement dispos par nous pour le jour de sa mort. La France est la clef de vote de ldifice; que les six millions de mains qui se lvent un signe du cercle suprme dracinent cette pierre, et ldifice monarchique scroulera, et le jour o lon saura quil ny a plus de roi en France, les souverains de lEurope, les plus insolemment assis sur leur trne, sentiront le vertige leur monter au front, et deux-mmes ils slanceront dans labme quaura creus ce grand croulement du trne de saint Louis.

Pardon, trs vnrable matre, interrompit le chef qui se tenait la droite du prsident, et qu son accent dun germanisme montagnard on pouvait reconnatre pour Suisse, votre intelligence a sans doute tout calcul?

Tout, rpondit laconiquement le grand Cophte.

Et cependant, le trs vnrable matre mexcusera de lui parler ainsi; mais sur la cime de nos montagnes, dans le fond de nos valles, sur les rives de nos lacs, nous sommes habitus parler aussi librement que parlent le souffle du vent et le murmure des eaux; cependant, je le rpte, je crois le moment inopportun, car voici quun grand vnement se prpare, et auquel la monarchie franaise devra sa rgnration. Jai vu, moi qui ai lhonneur de vous parler, trs vnrable grand matre, jai vu une fille de Marie-Thrse se diriger en grande pompe vers la France, pour unir le sang de dix-sept Csars avec celui du successeur de soixante et un rois; et les peuples se rjouissaient aveuglment, comme ils font toujours lorsquon relche ou quon dore leur joug. Je le rpte donc en mon nom et au nom de mes frres, je crois le moment inopportun.

Chacun se tourna plein de recueillement vers celui qui affrontait avec tant de calme et tant de hardiesse la fois le mcontentement du grand matre.

Parle, frre, dit le grand Cophte, sans paratre mu, ton avis sera suivi sil est bon. Nous autres, lus de Dieu, nous ne repoussons personne et nous ne sacrifions point lintrt dun monde au froissement de notre amour-propre.

Le dput de la Suisse poursuivit au milieu dun profond silence:

Dans mes tudes jai russi, trs vnrable grand matre, me convaincre dune vrit: cest que toujours la physionomie des hommes rvle lil qui sait y lire leurs vices et leurs vertus. Lhomme compose son visage, il adoucit son regard, il fait sourire ses lvres; tous ces mouvements musculaires sont en sa puissance; mais le type principal de son caractre reste en saillie, lisible et irrfragable tmoignage de ce qui se passe dans son cur. Ainsi le tigre, lui aussi, a de charmants sourires et de caressantes illades; mais son front bas, ses pommettes saillantes, son occiput norme, son rictus sanglant, vous le reconnaissez tigre. Le chien, de son ct, fronce le sourcil, montre ses dents et joue la rage; mais son il doux et franc, sa face intelligente, sa dmarche obsquieuse, vous le reconnaissez serviable et amical. Dieu a crit sur les faces de chaque crature son nom et sa qualit. Eh bien! moi, jai lu sur le front de la jeune fille qui doit rgner en France la fiert, le courage et la charit si tendre des filles dAllemagne; jai lu sur le visage du jeune homme qui sera son poux le sang-froid calme, la mansutude chrtienne et lesprit minutieux de lobservateur. Or comment un peuple, et surtout ce peuple franais qui na pas de mmoire pour le mal et qui noublie jamais le bien, puisquil lui a suffi de Charlemagne, de saint Louis et de Henri IV pour sauvegarder vingt rois lches et cruels; comment un peuple qui espre toujours et qui ne dsespre jamais, naimerait-il pas une reine jeune, belle et bonne, un roi doux, clment et bon administrateur, aprs lre dsastreuse et dilapidatrice de Louis XV, aprs ses publiques orgies et ses sournoises vengeances, aprs le rgne des Pompadour et des du Barry! La France ne bnira-t-elle pas des princes qui seront le modle des vertus que jai cites, et qui apporteront en dot la paix europenne? Voil que la dauphine, Marie-Antoinette, va traverser la frontire; lautel et le lit nuptial sapprtent Versailles; est-ce bien le moment de commencer par la France et pour la France, votre uvre de rformation? Pardonnez-moi encore, mais jai d dire, trs vnrable seigneur, ce que je pensais au fond de lme, et ce que je crois de mon devoir de soumettre votre infaillible sagesse.