Et Louis XV regardait la comtesse en disant ces paroles, essayant de rattraper, sil tait possible, les bribes de la joyeuse matine quil stait promise, et qui finissait dune si lugubre faon.
La comtesse tait si bonne, quelle eut piti de ce dsuvrement du roi qui le faisait triste et ennuy partout, except prs delle.
Elle se retourna moiti, car dj elle avait commenc de marcher vers la porte.
Est-ce que je demande autre chose, moi? dit-elle avec une adorable rsignation. Mais quon ne repousse pas mes soupons, quand je les manifeste.
Vos soupons, ils me sont sacrs, comtesse, scria le roi; et quils se changent un peu en certitude, vous verrez. Mais jy songe, un moyen bien simple.
Lequel, sire?
Que lon mande ici M. de Choiseul.
Oh! Votre Majest sait bien quil ny vient jamais. Il ddaigne dentrer dans lappartement de lamie du roi. Sa sur nest pas comme lui; elle ne demanderait pas mieux, elle.
Le roi se mit rire.
M. de Choiseul singe M. le dauphin, continua la comtesse encourage. On ne veut pas se compromettre.
M. le dauphin est un religieux, comtesse.
Et M. de Choiseul est un tartufe, sire.
Je vous dis, chre amie, que vous aurez le plaisir de le voir ici; car je vais ly appeler. Cest pour service dtat, il faudra bien quil vienne, et nous le ferons sexpliquer en prsence de Chon, qui a tout vu. Nous confronterons, comme on dit au Palais, nest-ce pas, Sartine? Quon aille me chercher M. de Choiseul.
Et moi, que lon mapporte mon sapajou. Dore; mon sapajou! mon sapajou! cria la comtesse.
ces mots, qui sadressaient la femme de chambre rangeant dans un cabinet de toilette, et qui purent tre entendus de lantichambre puisquils furent prononcs juste au moment o la porte souvrait devant lhuissier envoy chez M. de Choiseul, une voix casse rpondit en grasseyant:
Le sapajou de madame la comtesse, ce doit tre moi; je me prsente, jaccours, me voil.
Et lon vit moelleusement entrer un petit bossu vtu avec la plus grande magnificence.
Le duc de Tresmes! scria la comtesse impatiente; mais je ne vous ai pas fait appeler, duc.
Vous avez demand votre sapajou, madame, dit le duc tout en saluant le roi, la comtesse et M. de Sartine, et comme je nai pas vu parmi tous les courtisans de plus laid singe que moi, je suis accouru.
Et le duc rit en montrant de si longues dents, que la comtesse ne put sempcher de rire aussi.
Resterai-je? demanda le duc, comme si cet t la faveur ambitionne de toute sa vie.
Demandez au roi, il est matre ici, monsieur le duc.
Le duc se tourna vers le roi dun air suppliant.
Restez, duc, restez, dit le roi, enchant daccumuler les distractions autour de lui.
En ce moment lhuissier de service ouvrit la porte.
Ah! dit le roi avec un lger nuage dennui, est-ce dj M. de Choiseul?
Non, sire, rpondit lhuissier, cest monseigneur le dauphin, qui voudrait parler Votre Majest.
La comtesse fit un bond de joie, car elle croyait que le dauphin se rapprochait delle; mais Chon, qui pensait tout, frona le sourcil.
Eh bien! o est-il, M. le dauphin? demanda le roi impatient.
Chez Sa Majest. M. le dauphin attendra que Sa Majest rentre chez elle.
Il est dit que je ne serai jamais tranquille un instant, gronda le roi.
Puis, tout coup, comprenant que cette audience demande par le dauphin lui pargnait, momentanment du moins, sa scne avec M. de Choiseul, il se ravisa.
Jy vais, dit-il, jy vais. Adieu, comtesse. Voyez comme je suis malheureux, voyez comme on me tiraille.
Votre Majest sen va, scria la comtesse, au moment o M. de Choiseul va venir?
Que voulez-vous! le premier esclave, cest le roi. Ah! si MM. les philosophes savaient ce que cest que dtre roi, et roi de France surtout!
Mais, sire, restez.
Oh! je ne puis pas faire attendre le dauphin. On dit dj que je naime que mes filles.
Mais enfin, que dirai-je M. de Choiseul?
Eh bien! vous lui direz de venir me trouver chez moi, comtesse.
Et pour briser court toute observation, le roi baisa la main de la comtesse, frmissante de colre, et disparut en courant, comme ctait son habitude, chaque fois quil craignait de perdre le fruit dune bataille gagne par ses temporisations et son astuce de bourgeois.
Oh! il nous chappe encore! scria la comtesse en frappant ses deux mains avec dpit.
Mais le roi nentendit pas mme cette exclamation. La porte stait dj referme derrire lui et il traversait lantichambre en disant:
Entrez, messieurs, entrez. La comtesse consent vous recevoir. Seulement, vous la trouverez bien triste de laccident arriv ce pauvre Jean.
Les courtisans se regardrent tonns. Ils ignoraient quel accident pouvait tre arriv au vicomte.
Beaucoup espraient quil tait mort.
Ils se composrent des figures de circonstance. Les plus joyeux se firent les plus tristes, et ils entrrent.
Chapitre 25. La salle des Pendules
Dans une vaste salle du palais de Versailles, quon appelle la salle des Pendules, un jeune homme au teint rose, aux yeux doux, la dmarche un peu vulgaire, se promenait, les bras pendants, la tte incline. Il paraissait avoir de seize dix-sept ans.
Sur sa poitrine tincelait, rehausse par le velours violet de son habit, une plaque de diamants, tandis que le cordon bleu tombait sur sa hanche, froissant de la croix quil supportait une veste de satin blanc brode dargent.
Nul net pu mconnatre ce profil la fois svre et bon, majestueux et riant, qui formait le type caractristique des Bourbons de la premire branche, et dont le jeune homme que nous introduisons sous les yeux de nos lecteurs tait la fois limage la plus vive et la plus exagre; seulement, voir la filiation peut-tre dgnrescente de ces nobles visages depuis Louis XIV et Anne dAutriche, on eut pu dire que celui dont nous parlons ne pouvait transmettre ses traits un hritier sans une sorte daltration du type primitif, sans que la beaut native de ce type dont il tait la dernire bonne preuve se changet en une figure aux traits surchargs, sans que le dessin enfin devnt une caricature.
En effet, Louis-Auguste, duc de Berry, dauphin de France, qui fut depuis le roi Louis XVI, avait le nez bourbonien plus long et plus aquilin que ceux de sa race; son front, lgrement dprim, tait plus fuyant encore que celui de Louis XV, et le double menton de son aeul tellement accentu chez lui, que, maigre encore, comme il tait cette poque, le menton occupait un tiers peu prs de sa figure.
En outre, sa dmarche tait lente et embarrasse; bien pris dans sa taille, il semblait pourtant gn dans le mouvement des jambes et des paules. Ses bras seuls, et ses doigts surtout, avaient lactivit, la souplesse, la force et, pour ainsi dire, cette physionomie qui, chez les autres, est crite sur le front, la bouche et les yeux.
Le dauphin arpentait donc en silence cette salle des Pendules, la mme o, huit ans auparavant, Louis XV avait remis madame de Pompadour larrt du parlement qui exilait les jsuites du royaume, et, tout en parcourant cette salle, il rvait.
Cependant, il finit par se lasser dattendre ou plutt de songer ce qui loccupait, et regardant tour tour les pendules qui dcoraient la salle, il samusa, comme Charles-Quint, remarquer les diffrences toujours invincibles que conservent entre elles les plus rgulires horloges; manifestation bizarre, mais nettement formule, de lingalit des choses matrielles rgles ou non rgles par la main des hommes.
Il sarrta bientt en face de la grande horloge, situe alors au fond de la salle, la mme place o elle est encore aujourdhui, laquelle marque, par une habile combinaison des mcanismes, les jours, les mois, les annes, les phases de la lune, le cours des plantes; enfin tout ce qui intresse cette autre machine plus surprenante encore que lon appelle homme, dans le mouvement progressif de la vie vers la mort.