Soit, dit M. de Choiseul, mettons cela sur le compte de la balourdise, sire, et quil fasse de sa balourdise des excuses M. de Taverney.
Je vous ai dj dit, scria Louis XV, que tout cela ne me regarde pas; que Jean fasse des excuses, il est libre den faire; quil nen fasse pas, il est libre encore.
Laffaire ainsi abandonne elle-mme fera du bruit, sire, dit M. de Choiseul, jai lhonneur den prvenir Votre Majest.
Tant mieux! cria le roi. Et quelle en fasse tant et tant, que jen devienne sourd, pour ne plus entendre toutes vos sottises.
Donc, rpondit M. de Choiseul avec son implacable sang-froid, Votre Majest mautorise publier quelle donne raison M. du Barry?
Moi! scria Louis XV, moi! donner raison quelquun dans une affaire noire comme de lencre! Dcidment, on veut me pousser bout. Oh! prenez-y garde, duc Louis, pour vous-mme, mnagez-moi davantage Je vous laisse songer ce que je vous dis, car je suis las, je suis bout, je ny tiens plus. Adieu, messieurs, je passe chez mes filles, et je me sauve Marly, o jaurai peut-tre un peu de tranquillit, si vous ne my suivez pas, surtout.
En ce moment, et comme le roi se dirigeait vers elle, la porte souvrit, un huissier parut sur le seuil.
Sire, dit-il, Son Altesse royale Madame Louise attend dans la galerie le moment de faire ses adieux au roi.
Ses adieux! fit Louis XV effar, et o va-t-elle donc?
Son Altesse dit quelle a eu de Votre Majest la permission de quitter le chteau.
Allons, encore un vnement! Voil ma bigote qui fait des siennes, maintenant. En vrit, je suis le plus malheureux des hommes!
Et il sortit tout courant.
Sa Majest nous laisse sans rponse, dit le duc au dauphin; que dcide Votre Altesse royale?
Ah! la voil qui sonne! scria le jeune prince en coutant avec une joie feinte ou relle les tintements de sa pendule remise en mouvement.
Le ministre frona le sourcil et sortit reculons de la salle des Pendules, o le dauphin demeura seul.
Chapitre 27. Madame Louise de France
La fille ane du roi attendait son pre dans la grande galerie de Lebrun, la mme o Louis XIV en 1683, avait reu le doge imprial et les quatre snateurs gnois qui venaient implorer le pardon de la Rpublique.
lextrmit de cette galerie, oppose celle par laquelle le roi devait entrer, se trouvaient deux ou trois dames dhonneur qui semblaient consternes.
Louis XV arriva au moment o les groupes commenaient se former dans le vestibule; car la rsolution qui semblait avoir t prise le matin mme par la princesse commenait se rpandre dans le palais.
Madame Louise de France, princesse dune taille majestueuse et dune beaut toute royale, mais dont une tristesse inconnue ridait parfois le front pur; Madame Louise de France, disons-nous imposait toute la cour, par la pratique des plus austres vertus, ce respect pour les grands pouvoirs de ltat que, depuis cinquante ans, on ne savait plus vnrer en France que par intrt ou par crainte.
Il y a plus: dans ce moment de dsaffection gnrale du peuple pour ses matres, on ne disait pas encore tout haut pour ses tyrans, on laimait. Cest que sa vertu ntait point farouche; bien que lon net jamais parl hautement delle, on se rappelait quelle avait un cur. Et chaque jour elle le tmoignait par des bienfaits, tandis que les autres ne le montraient que par le scandale.
Louis XV craignait sa fille, par la seule raison quil lestimait. Quelquefois mme il en tait fier; aussi tait-ce la seule de ses enfants quil mnaget dans ses railleries piquantes ou dans ses familiarits triviales; et tandis quil appelait ses trois autres filles, Adlade, Victoire et Sophie, Loque, Chiffe et Graille, il appelait Louise de France Madame.
Depuis que le marchal de Saxe avait emport au tombeau lme des Turenne et des Cond, Marie Leckzinska lesprit de conduite de la reine Marie-Thrse, tout se faisait petit autour du trne rapetiss, alors Madame Louise, dun caractre vraiment royal, et qui, par comparaison, semblait hroque, faisait lorgueil de la couronne de France, qui navait plus que cette seule perle fine au milieu de son clinquant et de ses pierres fausses.
Nous ne disons pas pour cela que Louis XV aimt sa fille. Louis XV, on le sait, naimait que lui. Nous affirmons seulement quil tenait elle plus quaux autres.
En entrant, il vit la princesse seule au milieu de la galerie, appuye contre une table en incrustation de jaspe sanguin et de lapis-lazuli.
Elle tait vtue de noir; ses beaux cheveux sans poudre se cachaient sous la dentelle double tage; son front, moins svre que de coutume, tait peut-tre plus triste. Elle ne regardait rien autour delle; quelquefois seulement elle promenait ses yeux mlancoliques sur les portraits des rois de lEurope, la tte desquels brillaient ses anctres les rois de France.
Le costume noir tait lhabit ordinaire des princesses; il cachait les longues poches que lon portait encore cette poque comme au temps des reines mnagres, et Madame Louise, leur exemple, gardait sa ceinture, attaches un anneau dor, les nombreuses clefs de ses coffres et de ses armoires.
Le roi devint fort pensif lorsquil vit avec quel silence et surtout avec quelle attention on regardait le rsultat de cette scne. Mais la galerie est si longue, que, placs aux deux extrmits, les spectateurs ne pouvaient manquer de discrtion pour les acteurs. Ils voyaient, ctait leur droit; ils nentendaient pas, ctait leur devoir.
La princesse fit quelques pas au-devant du roi et lui prit la main, quelle baisa respectueusement.
On dit que vous partez, Madame? lui demanda Louis XV. Allez-vous donc en Picardie?
Non, sire, dit la princesse.
Alors, je devine, dit le roi en haussant la voix, vous allez en plerinage Noirmoutiers.
Non, sire, rpondit Madame Louise, je me retire au couvent des Carmlites de Saint-Denis, dont je puis tre abbesse, vous le savez.
Le roi tressaillit; mais son visage resta calme, quoique son cur ft rellement troubl.
Oh! non, dit-il, non, ma fille, vous ne me quitterez point, nest-ce pas? Cest impossible que vous me quittiez.
Mon pre, jai depuis longtemps dcid cette retraite, que Votre Majest a bien voulu autoriser; ne me rsistez donc pas, mon pre, je vous en supplie.
Oui, certes, jai donn cette autorisation, mais aprs avoir combattu longtemps, vous le savez. Je lai donne parce que jesprais toujours quau moment de partir le cur vous manquerait. Vous ne pouvez pas vous ensevelir dans un clotre, vous; ce sont des murs oublies; on nentre au couvent que pour des chagrins ou des mcomptes de fortune. La fille du roi de France nest point pauvre, que je sache, et si elle est malheureuse, personne ne doit le voir.
La parole et la pense du roi slevaient mesure quil rentrait plus avant dans ce rle de roi et de pre que jamais lacteur ne joue mal quand lorgueil conseille lun et que le regret inspire lautre.
Sire, rpondit Louise, qui sapercevait de lmotion de son pre, et que cette motion, si rare chez lgoste Louis XV, touchait son tour plus profondment quelle ne voulait le faire paratre; sire, naffaiblissez pas mon me en me montrant votre tendresse. Mon chagrin nest point un chagrin vulgaire; voil pourquoi ma rsolution est en de des habitudes de notre sicle.
Vous avez donc des chagrins? scria le roi avec un clair de sensibilit. Des chagrins! toi, pauvre enfant!
De cruels, dimmenses, sire! rpondit Madame Louise.
Eh! ma fille, que ne me le disiez-vous?
Parce que ce sont de ces chagrins quune main humaine ne peut gurir.
Mme celle dun roi?
Mme celle dun roi.
Mme celle dun pre?
Non plus, sire, non plus.
Vous tes religieuse, cependant, vous, Louise, et vous puisez de la force dans la religion
Pas encore assez, sire, et je me retire dans un clotre pour en trouver davantage. Dans le silence, Dieu parle au cur de lhomme; et dans la solitude, lhomme parle au cur de Dieu.