Ainsi par, il savana souriant vers la porte. Mais, dans ce sourire perait une nuance dtonnement si prononce, que la comtesse se crut oblige de lui dire:
Eh bien, quoi! mon cher monsieur Flageot, cest moi!
Oui-da, rpondit M. Flageot, je le vois bien, madame la comtesse.
Alors, fermant pudiquement sa robe de chambre, lavocat conduisit la comtesse un fauteuil de cuir, dans le coin le plus clair du cabinet, tout en lloignant prudemment du papier de son bureau, car il la savait curieuse.
Maintenant, madame, dit galamment matre Flageot, voulez-vous bien me permettre de me rjouir dune si agrable surprise?
Madame de Barn, adosse au fond de son fauteuil, levait en ce moment les pieds pour laisser entre la terre et ses souliers de satin broch lintervalle ncessaire au passage dun coussin de cuir que Marguerite posait devant elle. Elle se redressa rapidement.
Comment! surprise? dit-elle en pinant son nez avec ses lunettes, quelle venait de tirer de leur tui afin de mieux voir M. Flageot.
Sans doute, je vous croyais dans vos terres, madame, rpondit lavocat, usant dune aimable flatterie pour qualifier les trois arpents de potager de madame de Barn.
Comme vous voyez, jy tais; mais votre premier signal je les ai quittes.
mon premier signal? fit lavocat tonn.
votre premier mot, votre premier avis, votre premier conseil, enfin, comme il vous plaira.
Les yeux de M. Flageot devinrent grands comme les lunettes de la comtesse.
Jespre que jai fait diligence, continua celle-ci, et que vous devez tre content de moi.
Enchant, madame, comme toujours; mais permettez-moi de vous dire que je ne vois en aucune faon ce que jai faire l dedans.
Comment! dit la comtesse, ce que vous avez faire? Tout, ou plutt cest vous qui avez tout fait.
Moi?
Certainement, vous Eh bien! nous avons donc du nouveau ici?
Oh! oui, madame, on dit que le roi mdite un coup dtat lendroit du parlement. Mais pourrais-je vous offrir de prendre quelque chose?
Il sagit bien du roi, il sagit bien de coup dtat.
Et de quoi sagit-il donc, madame?
Il sagit de mon procs. Cest propos de mon procs que je vous demandais sil ny avait rien de nouveau.
Oh! quant cela, dit M. Flageot en secouant tristement la tte, rien, madame, absolument rien.
Cest--dire, rien
Non, rien.
Rien, depuis que mademoiselle votre fille ma parl. Or, comme elle ma parl avant-hier, je comprends quil ny ait pas grand-chose de nouveau depuis ce moment-l.
Ma fille, madame?
Oui.
Vous avez dit ma fille?
Sans doute, votre fille, celle que vous mavez envoye.
Pardon, madame, dit M. Flageot, mais il est impossible que je vous aie envoy ma fille.
Impossible!
Par une raison infiniment simple, cest que je nen ai pas.
Vous tes sr? dit la comtesse.
Madame, rpondit M. Flageot, jai lhonneur dtre clibataire.
Allons donc! fit la comtesse.
M. Flageot devint inquiet; il appela Marguerite pour quelle apportt les rafrachissements offerts la comtesse, et surtout pour quelle la surveillt.
Pauvre femme, pensa-t-il, la tte lui aura tourn.
Comment! dit la comtesse, vous navez pas une fille?
Non, madame.
Une fille marie Strasbourg?
Non, madame, non, mille fois non.
Et vous navez pas charg cette fille, continua la comtesse poursuivant son ide, vous navez pas charg cette fille de mannoncer en passant que mon procs tait mis au rle?
Non.
La comtesse bondit sur son fauteuil en frappant ses deux genoux de ses deux mains.
Buvez un peu, madame la comtesse, dit M. Flageot, cela vous fera du bien.
En mme temps il fit un signe Marguerite, qui approcha deux verres de bire sur un plateau; mais la vieille dame navait plus soif; elle repoussa le plateau et les verres si rudement, que mademoiselle Marguerite, qui paraissait avoir quelques privilges dans la maison, en fut blesse.
Voyons, voyons, dit la comtesse en regardant M. Flageot par-dessous ses lunettes, expliquons-nous un peu, sil vous plat.
Je le veux bien, dit M. Flageot. Demeurez, Marguerite; madame consentira peut-tre boire tout lheure. Expliquons-nous.
Oui, expliquons-nous, si vous le voulez bien, car vous tes inconcevable aujourdhui, mon cher monsieur Flageot; on dirait, ma parole, que la tte vous a tourn depuis les chaleurs.
Ne vous irritez pas, madame, dit lavocat en faisant manuvrer son fauteuil sur les deux pieds de derrire pour sloigner de la comtesse, ne vous irritez pas et causons.
Oui, causons. Vous dites que vous navez pas de fille, monsieur Flageot?
Non, madame, et je le regrette bien sincrement, puisque cela paraissait vous tre agrable, quoique
Quoique? rpta la comtesse.
Quoique, pour moi, jaimerais mieux un garon; les garons russissent mieux ou plutt tournent moins mal dans ces temps-ci.
Madame de Barn joignit les deux mains avec une profonde inquitude.
Quoi! dit-elle, vous ne mavez pas fait mander Paris par une sur, une nice, une cousine quelconque?
Je ny ai jamais song, madame, sachant combien le sjour de Paris est dispendieux.
Mais mon affaire?
Je me rserve de vous tenir au courant quand elle sera appele, madame.
Comment, quand elle sera appele?
Oui.
Elle ne lest donc pas?
Pas que je sache, madame.
Mon procs nest pas voqu?
Non.
Et il nest pas question dun prochain appel?
Non, madame! mon Dieu, non!
Alors, scria la vieille dame en se levant, alors on ma joue, on sest indignement moqu de moi.
M. Flageot hissa sa perruque sur le haut de son front en marmottant.
Jen ai bien peur, madame.
Matre Flageot! scria la comtesse.
Lavocat bondit sur sa chaise et fit un signe Marguerite, laquelle se tint prte soutenir son matre.
Matre Flageot, continua la comtesse, je ne tolrerai pas cette humiliation, et je madresserai M. le lieutenant de police pour quon retrouve la pronnelle qui a commis cette insulte vis--vis de moi.
Peuh! fit M. Flageot; cest bien chanceux.
Une fois trouve, continua la comtesse emporte par la colre, jintenterai une action.
Encore un procs! dit tristement lavocat.
Ces mots firent tomber la plaideuse du haut de sa fureur; la chute fut lourde.
Hlas! dit-elle, jarrivais si heureuse!
Mais que vous a donc dit cette femme, madame?
Dabord, quelle venait de votre part.
Affreuse intrigante!
Et de votre part elle mannonait lvocation de mon affaire; ctait imminent; je ne pouvais faire assez grande diligence, ou je risquais darriver trop tard.
Hlas! rpta M. Flageot son tour, nous sommes loin dtre voqus, madame.
Nous sommes oublis, nest-ce pas?
Oublis, ensevelis, enterrs, madame, moins dun miracle, et, vous le savez, les miracles sont rares
Oh! oui, murmura la comtesse avec un soupir.
M. Flageot rpondit par un autre soupir modul sur celui de la comtesse.
Tenez, monsieur Flageot, continua madame de Barn, voulez-vous que je vous dise une chose?
Dites, madame.
Je ny survivrai pas.
Oh! quant cela, vous auriez tort.
Mon Dieu! mon Dieu! dit la pauvre comtesse, je suis au bout de ma force.
Courage, madame, courage! dit Flageot.
Mais navez-vous pas un conseil me donner?
Oh! si fait: celui de retourner dans vos terres et de ne plus croire dsormais ceux qui se prsenteront de ma part sans un mot de moi.
Il faudra bien que jy retourne, dans mes terres!
Ce sera sage.
Mais croyez-moi, monsieur Flageot, gmit la comtesse, nous ne nous reverrons plus, en ce monde du moins.