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ces mots, celui qui venait de parler, et que linconnu avait dsign sous le nom de laptre de Zurich, sinclina, recueillant le murmure flatteur des approbations unanimes, et attendit la rponse du grand Cophte.

Elle ne se fit point attendre, et celui-ci reprit aussitt:

Si vous lisez dans les physionomies, trs illustre frre, dit-il, moi je lis dans lavenir. Marie-Antoinette est fire; elle senttera dans la lutte et prira sous nos attaques. Le dauphin Louis-Auguste est bon et clment; il faiblira dans la lutte et prira comme sa femme et avec sa femme; seulement ils priront chacun par la vertu ou le dfaut contraire. Ils sestiment en ce moment, nous ne leur donnerons pas le temps de saimer, et dans un an ils se mpriseront. Dailleurs, pourquoi dlibrer, frres, pour savoir de quel ct vient la lumire quand cette lumire mest rvle, moi; quand je viens dorient, conduit comme les bergers par cette toile qui annonce une seconde rgnration? Demain je me mets luvre, et avec votre concours je vous demande vingt ans pour accomplir notre uvre; vingt ans suffiront si nous marchons unis et forts vers un mme but.

Vingt ans! murmurrent plusieurs fantmes, cest bien long!

Le grand Cophte se retourna vers ces impatients.

Oui, sans doute, dit-il, cest bien long pour quiconque se figure quon tue un principe comme on tue un homme, avec le couteau de Jacques Clment ou avec le canif de Damiens. Insenss! le couteau tue lhomme, cest vrai; mais, pareil lacier rgnrateur, il tranche un rameau pour en faire jaillir dix autres de la souche, et la place du cadavre royal couch dans son tombeau, il suscite un Louis XIII, tyran stupide; un Louis XIV, despote intelligent; un Louis XV, idole arrose des pleurs et du sang de ses adorateurs, comme ces monstrueuses divinits que jai vues dans lInde craser avec un monotone sourire les femmes et les enfants qui jettent des guirlandes sur les roues de leur char. Ah! vous trouvez que cest trop de vingt ans pour effacer le nom de roi du cur de trente millions dhommes, qui nagure encore offraient Dieu la vie de leurs enfants pour racheter celle du petit roi Louis XV! Ah! vous croyez que cest une tche facile que de rendre odieuse la France ces fleurs de lis qui, radieuses comme les toiles du ciel, caressantes comme les parfums de la fleur quelles rappellent, ont port durant mille ans la lumire, la charit, la victoire, dans tous les coins du monde! Essayez donc, mes frres, essayez: ce nest pas vingt ans que je vous donne, moi, cest un sicle!

Vous tes pars, tremblants, ignors les uns des autres; moi seul sais tous vos noms; moi seul estime, pour en faire un tout, vos valeurs divises; moi seul suis la chane qui vous relie dans un grand nud fraternel. Eh bien! je vous le dis, philosophes, conomistes, idologues, je veux que dans vingt ans ces principes, que vous murmurez voix basse au foyer de la famille, que vous crivez, lil inquiet, lombre de vos vieilles tours, que vous vous confiez les uns aux autres, le poignard la main, pour frapper du poignard le tratre ou limprudent qui rpterait vos paroles plus haut que vous ne le dites; je veux ces principes que vous les proclamiez tout haut dans la rue, que vous les imprimiez au grand jour, que vous les fassiez rpandre dans toute lEurope par des missaires pacifiques, ou au bout des baonnettes de cinq cent mille soldats qui se lveront, combattants le la libert, avec ces principes crits sur leurs tendards; enfin je veux que vous, qui tremblez au nom de la tour de Londres; vous, au nom des cachots de lInquisition; moi, au nom de cette Bastille que je vais affronter, je veux que nous riions de piti en foulant du pied les ruines de ces effrayantes prisons, sur lesquelles danseront vos femmes et vos enfants. Eh bien! tout cela ne peut se faire quaprs la mort, non pas du monarque, mais de la monarchie, quaprs le mpris des pouvoirs religieux, quaprs loubli complet de toute infriorit sociale, quaprs lextinction enfin des castes aristocratiques et la division des biens seigneuriaux. Je demande vingt ans pour dtruire un vieux monde et reconstruire un monde nouveau, vingt ans, cest--dire vingt secondes de lternit, et vous dites que cest trop!

Un long murmure dadmiration et dassentiment succda au discours du sombre prophte. Il tait vident quil avait conquis toutes les sympathies de ces mystrieux mandataires de la pense europenne.

Le grand Cophte jouit un instant de son triomphe; puis, lorsquil le sentit complet, il reprit:

Maintenant, frres, voyons, maintenant que je vais attaquer le lion dans son antre; maintenant que je vais vouer ma vie contre la libert du monde, que ferez-vous pour le succs de la cause laquelle nous avons vou notre vie, notre fortune et notre libert? Que ferez-vous? dites. Voil ce que je suis venu vous demander.

Un silence, effrayant force de solennit, succda ces paroles. On ne voyait dans la sombre salle que dimmobiles fantmes absorbs dans la pense austre qui devait branler vingt trnes.

Les six chefs se dtachrent des groupes et revinrent, aprs quelques minutes de dlibration, vers le chef suprme.

Le prsident parla le premier.

Moi, dit-il, je reprsente la Sude. Au nom de la Sude, joffre, pour dfaire le trne de Wasa, les mineurs qui ont lev le trne de Wasa, plus cent mille cus dargent.

Le grand Cophte tira ses tablettes et y inscrivit loffre qui venait de lui tre faite.

Celui qui tait la gauche du prsident parla son tour.

Moi, dit-il, envoy des cercles irlandais et cossais, je ne puis rien promettre au nom de lAngleterre, que nous trouverons ardente nous combattre; mais au nom de la pauvre Irlande, mais au nom de la pauvre cosse, je promets une contribution de trois mille hommes et de trois mille couronnes par an.

Le chef suprme crivit cette offre ct de loffre prcdente.

Et vous? dit-il au troisime chef.

Moi, rpondit celui-ci, dont la vigueur et la rude activit se trahissaient sous la robe gnante de liniti, moi, je reprsente lAmrique, dont chaque pierre, chaque arbre, chaque goutte deau, chaque goutte de sang appartient la rvolte. Tant que nous aurons de lor, nous le donnerons; tant que nous aurons du sang, nous le verserons; seulement nous ne pouvons agir que lorsque nous serons libres. Diviss, parqus, numrots comme nous sommes, nous reprsentons une chane gigantesque aux anneaux spars. Il faudrait quune main puissante soudt les deux premiers chanons, les autres se souderaient bien deux-mmes. Cest donc par nous quil faudrait commencer, trs vnrable matre. Si vous voulez faire les Franais libres de la royaut, faites-nous dabord libres de la domination trangre.

Ainsi sera-t-il fait, rpondit le grand Cophte; vous serez libres les premiers, et la France vous y aidera. Dieu a dit dans toutes les langues: Aidez-vous les uns les autres. Attendez donc. Pour vous, frre, au moins, lattente ne sera pas longue, je vous en rponds.

Puis il se tourna vers le dput de la Suisse.

Moi, dit celui-ci, je ne puis rien promettre que ma contribution personnelle. Les fils de notre rpublique sont depuis longtemps les allis de la monarchie franaise; ils lui vendent leur sang depuis Marignan et Pavie; ce sont de fidles dbiteurs: ils livreront ce quils ont vendu. Pour la premire fois, trs vnrable grand matre, jai honte de notre loyaut.

Soit, rpondit le grand Cophte, nous vaincrons sans eux et malgr eux. votre tour, dput de lEspagne.

Moi, dit celui-ci, je suis pauvre, je nai que trois mille frres donner; mais ils contribueront chacun pour mille raux par an. LEspagne est un pays paresseux, o lhomme sait dormir sur un lit de douleurs, pourvu quil dorme.

Bien, dit le Cophte. Et vous?