Quelle sclratesse!
Mais jai donc de bien cruels ennemis?
Cest un tour des Saluces, jen jurerais.
Le tour est bien mesquin, en tout cas.
Oui, cest faible, dit M. Flageot.
Oh! la justice, la justice! scria la comtesse, mon cher monsieur Flageot, cest lantre de Cacus.
Pourquoi? dit celui-ci. Parce que la justice nest plus elle-mme, parce quon travaille le parlement, parce que M. de Maupeou a voulu devenir chancelier au lieu de rester prsident.
Monsieur Flageot, je boirais bien prsent.
Marguerite! cria lavocat.
Marguerite rentra. Elle tait sortie, voyant le tour pacifique que prenait la conversation.
Elle rentra, disons-nous, tenant le plateau et les deux verres quelle avait emports. Madame de Barn but lentement son verre de bire, aprs avoir honor son avocat du choc de son gobelet, puis elle gagna lantichambre aprs une triste rvrence et des adieux plus tristes encore.
M. Flageot la suivait, sa perruque la main.
Madame de Barn tait sur le palier et cherchait dj la corde qui servait de rampe, lorsquune main se posa sur la sienne et quune tte donna dans sa poitrine.
Cette main et cette tte taient celles dun clerc qui escaladait quatre quatre les raides marches de lescalier.
La vieille comtesse, grondant et maugrant, rangea ses jupes et continua descendre, tandis que le clerc, arriv au palier son tour, repoussait la porte en criant avec la voix franche et enjoue des basochiens de tous les temps:
Voil, matre Flageot, voil; cest pour laffaire Barn!
Et il lui tendit un papier.
Remonter ce nom, repousser le clerc, se jeter sur matre Flageot, lui arracher le papier, bloquer lavocat dans son cabinet, voil ce que la vieille comtesse avait fait, avant que le clerc et reu deux soufflets que Marguerite lui appliquait ou faisait semblant de lui appliquer en riposte deux baisers.
Eh bien! scria la vieille dame, quest-ce quon dit donc l dedans, matre Flageot?
Ma foi, je nen sais rien encore, madame la comtesse; mais, si vous voulez me rendre le papier, je vous le dirai.
Cest vrai, mon bon monsieur Flageot; lisez, lisez vite.
Celui-ci regarda la signature du billet.
Cest de matre Guildou, notre procureur, dit-il.
Ah! mon Dieu!
Il minvite, continua matre Flageot avec une stupfaction croissante, me tenir prt plaider pour mardi, parce que notre affaire est voque.
voque! cria la comtesse en bondissant, voque! Ah! prenez garde, monsieur Flageot, ne plaisantons pas cette fois, je ne men relverais plus.
Madame, dit matre Flageot, tout abasourdi de la nouvelle, si quelquun plaisante, ce ne peut tre que M. Guildou, et ce serait la premire fois de sa vie.
Mais est-ce bien de lui cette lettre?
Il a sign Guildou, voyez.
Cest vrai! voque de ce matin, plaide mardi. Ah ! matre Flageot, cette dame qui mest venue voir ntait donc pas une intrigante?
Il parat que non.
Mais puisquelle ne mtait pas envoye par vous Vous tes sr quelle ne mtait pas envoye par vous?
Pardieu! si jen suis sr!
Par qui donc mtait-elle envoye?
Oui, par qui?
Car enfin elle mtait envoye par quelquun.
Je my perds.
Et moi, je my noie. Ah! laissez-moi relire encore, mon cher monsieur Flageot; voque, plaide, cest crit; plaide devant M. le prsident Maupeou.
Diable! cela y est-il?
Sans doute.
Cest fcheux!
Pourquoi cela?
Parce que cest un grand ami des Saluces que M. le prsident Maupeou.
Vous le savez?
Il nen sort pas.
Bon! nous voil plus embarrasss que jamais. Jai du malheur.
Et cependant, dit matre Flageot, il ny a pas dire, il faut laller voir.
Mais il me recevra horriblement.
Cest probable.
Ah! matre Flageot, que me dites-vous l?
La vrit, madame.
Quoi! non seulement vous perdez courage, mais encore vous mtez celui que javais.
Devant M. de Maupeou, il ne peut rien vous arriver de bon.
Faible ce point, vous, un Cicron?
Cicron eut perdu la cause de Ligarius sil et plaid devant Verrs au lieu de parler devant Csar, rpondit matre Flageot, qui ne trouvait que cela de modeste rpondre pour repousser lhonneur insigne que sa cliente venait de lui faire.
Alors vous me conseillez de ne pas laller voir?
Dieu ne plaise, madame, de vous conseiller une pareille irrgularit; seulement, je vous plains dtre force une pareille entrevue.
Vous me parlez l, monsieur Flageot, comme un soldat qui songe dserter son poste. On dirait que vous craignez de vous charger de laffaire.
Madame, rpondit lavocat, jen ai perdu quelques-unes dans ma vie qui avaient plus de chance de gain que celle-l.
La comtesse soupira; mais, rappelant toute son nergie:
Jirai jusquau bout, dit-elle avec une sorte de dignit qui contrasta avec la physionomie comique de cet entretien, il ne sera pas dit quayant le droit jaurai recul devant la brigue. Je perdrai mon procs, mais jaurai montr aux prvaricateurs le front dune femme de qualit comme il nen reste pas beaucoup la cour daujourdhui. Me donnez-vous le bras, monsieur Flageot, pour maccompagner chez votre vice-chancelier?
Madame, dit matre Flageot appelant, lui aussi, son aide toute sa dignit, madame, nous nous sommes jur, nous, membres opposants du parlement de Paris, de ne plus avoir de rapports en de des audiences, avec ceux qui ont abandonn les parlements dans laffaire de M. dAiguillon. Lunion fait la force; et comme M. de Maupeou a louvoy dans toute cette affaire, comme nous avons nous plaindre de lui, nous resterons dans nos camps jusqu ce quil ait arbor une couleur.
Mon procs arrive mal, ce que je vois, soupira la comtesse; des avocats brouills avec leurs juges, des juges brouills avec leurs clients Cest gal, je persvrerai.
Dieu vous assiste, madame, dit lavocat en rejetant sa robe de chambre sur son bras gauche, comme un snateur romain et fait de sa toge.
Voici un triste avocat, murmura en elle-mme madame de Barn. Jai peur davoir moins de chance avec lui devant le parlement que je nen avais l-bas devant mon traversin.
Puis tout haut, avec un sourire sous lequel elle essayait de dissimuler son inquitude:
Adieu, matre Flageot, continua-t-elle; tudiez bien la cause, je vous prie, on ne sait pas ce qui peut arriver.
Oh! madame, dit matre Flageot, ce nest point le plaidoyer qui membarrasse. Il sera beau, je le crois, dautant plus beau que je me promets dy mler des allusions terribles.
quoi, monsieur, quoi?
la corruption de Jrusalem, madame, que je comparerai aux villes maudites, et sur qui jappellerai le feu du ciel. Vous comprenez, madame, que personne ne sy trompera, et que Jrusalem sera Versailles.
Monsieur Flageot, scria la vieille dame, ne vous compromettez pas, ou plutt ne compromettez pas ma cause!
Eh! madame, elle est perdue avec M. de Maupeou, votre cause; il ne sagit donc plus que de la gagner devant nos contemporains; et puisque lon ne nous fait pas justice, faisons scandale!
Monsieur Flageot
Madame, soyons philosophes tonnons!
Le diable te tonne, va! grommela la comtesse, mchant avocassier qui ne vois dans tout cela quun moyen de te draper dans tes loques philosophiques. Allons chez M. de Maupeou; il nest pas philosophe, lui, et jen aurai peut tre meilleur march que de toi!
Et la vieille comtesse quitta matre Flageot et sloigna de la rue du Petit-Lion-Saint-Sauveur, aprs avoir parcouru en deux jours tous les degrs de lchelle des esprances et des dsappointements.
Chapitre 30. Le Vice
La vieille comtesse tremblait de tous ses membres en se rendant chez M. de Maupeou.
Cependant une rflexion propre la tranquilliser lui tait venue en chemin. Selon toute probabilit, lheure avance ne permettrait pas M. de Maupeou de la recevoir, et elle se contenterait dannoncer sa visite prochaine au suisse.