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La comtesse tressaillit; il lui semblait voir quelque chose dobscur, sinon dans les paroles, du moins dans la pense du vice-chancelier, et que si cette obscurit se dissipait, elle dcouvrirait derrire quelque chose de favorable.

Dailleurs, continua M. de Maupeou, le nom que vous portez, et qui est un des beaux noms de France, est auprs de moi une recommandation trs efficace.

Qui ne mempchera pas de perdre mon procs, monseigneur.

Dame! je ne peux rien, moi.

Oh! monseigneur, monseigneur, dit la comtesse en hochant la tte, comme vont les choses!

Vous semblez dire, madame, reprit en souriant M. de Maupeou, que de notre vieux temps elles allaient mieux.

Hlas! oui, monseigneur, il me semble cela du moins, et je me rappelle avec dlices ce temps o, simple avocat du roi au parlement, vous prononciez ces belles harangues que, moi, jeune femme cette poque, jallais applaudir avec enthousiasme. Quel feu! quelle loquence! quelle vertu! Ah! monsieur le chancelier, dans ce temps-l, il ny avait ni brigues ni faveurs; dans ce temps l, jeusse gagn mon procs.

Nous avions bien madame de Phalaris qui essayait de rgner dans les moments o le rgent fermait les yeux, et la Souris, qui se fourrait partout pour essayer de grignoter quelque chose.

Oh! monseigneur, madame de Phalaris tait si grande dame, et la Souris tait si bonne fille!

Quon ne pouvait rien leur refuser.

Ou quelles ne savaient rien refuser.

Ah! madame la comtesse, dit le chancelier en riant dun rire qui tonna de plus en plus la vieille plaideuse, tant il avait lair franc et naturel, ne me faites pas mal parler de mon administration par amour pour ma jeunesse.

Mais Votre Excellence ne peut cependant mempcher de pleurer ma fortune perdue, ma maison jamais ruine.

Voil ce que cest de ne pas tre de son temps, comtesse; sacrifiez aux idoles du jour, sacrifiez.

Hlas! monseigneur, les idoles ne veulent pas de ceux qui viennent les adorer les mains vides.

Quen savez-vous?

Moi?

Oui; vous navez pas essay, ce me semble?

Oh! monseigneur, vous tes si bon, que vous me parlez comme un ami.

Eh! nous sommes du mme ge, comtesse.

Que nai-je vingt ans, monseigneur, et que ntes-vous encore simple avocat! Vous plaideriez pour moi, et il ny aurait pas de Saluces qui tinssent contre vous.

Malheureusement, nous navons plus vingt ans, madame la comtesse, dit le vice-chancelier avec un galant soupir; il nous faut donc implorer ceux qui les ont, puisque vous avouez vous-mme que cest lge de linfluence Quoi! vous ne connaissez personne la cour?

De vieux seigneurs retirs, qui rougiraient de leur ancienne amie parce quelle est devenue pauvre. Tenez, monseigneur, jai mes entres Versailles, et jirais si je voulais; mais quoi bon? Ah! que je rentre dans mes deux cent mille livres, et lon me recherchera. Faites ce miracle, monseigneur.

Le chancelier fit semblant de ne point entendre cette dernire phrase.

votre place, dit-il, joublierais les vieux, comme les vieux vous oublient, et je madresserais aux jeunes qui tchent de recruter des partisans. Connaissez-vous un peu Mesdames?

Elles mont oublie.

Et puis elles ne peuvent rien. Connaissez-vous le dauphin?

Non.

Et dailleurs, continua M. de Maupeou, il est trop occup de son archiduchesse qui arrive pour penser autre chose; mais voyons parmi les favoris.

Je ne sais plus mme comment ils sappellent.

M. dAiguillon?

Un freluquet contre lequel on dit des choses indignes; qui sest cach dans un moulin tandis que les autres se battaient Fi donc!

Bah! fit le chancelier, il ne faut jamais croire que la moiti de ce que lon dit. Cherchons encore.

Cherchez, monseigneur, cherchez.

Mais pourquoi pas? Oui Non Si fait

Dites, monseigneur, dites.

Pourquoi ne pas vous adresser la comtesse elle-mme?

madame du Barry? dit la plaideuse en ouvrant son ventail.

Oui; elle est bonne au fond.

En vrit!

Et officieuse surtout.

Je suis de trop vieille maison pour lui plaire, monseigneur.

Eh bien! je crois que vous vous trompez, comtesse; elle cherche se rallier les bonnes familles.

Vous croyez? dit la vieille comtesse dj chancelante dans son opposition.

La connaissez-vous?

Mon Dieu, non.

Ah! voil le mal Jespre quelle a du crdit, celle-l?

Ah! oui, elle a du crdit; mais jamais je ne lai vue.

Ni sa sur Chon?

Non.

Ni sa sur Bischi?

Non.

Ni son frre Jean?

Non.

Ni son ngre Zamore?

Comment, son ngre?

Oui, son ngre est une puissance.

Cette petite horreur dont on vend les portraits sur le Pont-Neuf et qui ressemble un carlin habill?

Celui-l mme.

Moi, connatre ce moricaud, monseigneur! scria la comtesse offense dans sa dignit; et comment voulez-vous que je laie connu?

Allons, je vois que vous ne voulez pas garder vos terres, comtesse.

Comment cela?

Puisque vous mprisez Zamore.

Mais que peut-il faire, Zamore, dans tout cela?

Il peut vous faire gagner votre procs, voil tout.

Lui, ce Mozambique! me faire gagner mon procs! Et comment cela, je vous prie?

En disant sa matresse que cela lui fait plaisir que vous le gagniez. Vous savez, les influences Il fait tout ce quil veut de sa matresse, et sa matresse fait tout ce quelle veut du roi.

Mais cest donc Zamore qui gouverne la France?

Hum! fit M. de Maupeou en hochant la tte, Zamore est bien influent, et jaimerais mieux tre brouill avec avec la dauphine, par exemple, quavec lui.

Jsus! scria madame de Barn, si ce ntait pas une personne aussi srieuse que Votre Excellence qui me dise de pareilles choses

Eh! mon Dieu, ce nest pas seulement moi qui vous dirai cela, cest tout le monde. Demandez aux ducs et pairs sils oublient, en allant Marly ou Luciennes, les drages pour la bouche ou les perles pour les oreilles de Zamore. Moi qui vous parle, nest-ce pas moi qui suis le chancelier de France, ou peu prs? eh bien! quelle besogne croyez-vous que je moccupais quand vous tes arrive? Je dressais pour lui des provisions de gouverneur.

De gouverneur?

Oui; M. de Zamore est nomm gouverneur de Luciennes.

Le mme titre dont on a rcompens M. le comte de Barn aprs vingt annes de services?

En le faisant gouverneur du chteau de Blois; oui, cest cela.

Quelle dgradation, mon Dieu! scria la vieille comtesse; mais la monarchie est donc perdue?

Elle est bien malade, au moins, comtesse; mais, dun malade qui va mourir, vous le savez, on tire ce que lon peut.

Sans doute, sans doute; mais encore il faut pouvoir sapprocher du malade.

Savez-vous ce quil vous faudrait pour tre bien reue de madame du Barry?

Quoi donc?

Il faudrait que vous fussiez admise porter ce brevet son ngre La belle entre en matire!

Vous croyez, monseigneur? dit la comtesse consterne.

Jen suis sr, mais

Mais? rpta madame de Barn.

Mais vous ne connaissez personne auprs delle?

Mais vous, monseigneur?

Eh! moi

Oui.

Moi, je serais bien embarrass.

Allons, dcidment, dit la pauvre vieille plaideuse, brise par toutes ces alternatives, dcidment la fortune ne veut plus rien faire pour moi. Voil que Votre Excellence me reoit comme je nai jamais t reue, quand je nesprais pas mme avoir lhonneur de la voir. Eh bien! il me manque encore quelque chose: non seulement je suis dispose faire la cour madame du Barry, moi une Barn! pour arriver jusqu elle, je suis dispose me faire la commissionnaire de cet affreux ngrillon que je neusse pas honor dun coup de pied au derrire si je leusse rencontr dans la rue, et voil que je ne puis pas mme arriver jusqu ce petit monstre