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Madame, par consquent, ignore comme les autres que vous allez tre prsente, et que vous avez trouv une marraine.

Sans doute. Je lignorais si vous ne me leussiez pas dit.

Vous tes cense ne pas nous avoir vus; donc, vous ignorez tout. Vous demandez audience au roi.

Mais madame la comtesse prtend que le roi me refusera.

Vous demandez audience au roi, en lui offrant dtre la marraine de la comtesse. Vous comprenez, vous ignorez quelle en a une. Vous demandez donc audience au roi, en vous offrant dtre la marraine de ma sur. De la part dune femme de votre rang, la chose touche Sa Majest. Sa Majest vous reoit, vous remercie, vous demande ce quelle peut faire pour vous tre agrable. Vous entamez laffaire du procs, vous faites valoir vos dductions. Sa Majest comprend, recommande laffaire, et votre procs, que vous croyiez perdu, se trouve gagn.

Madame du Barry fixait sur la comtesse des regards ardents. Celle-ci sentit probablement le pige.

Oh! moi, chtive crature, dit-elle vivement, comment voulez-vous que Sa Majest?

Il suffit, je crois, dans cette circonstance, davoir montr de la bonne volont, dit Jean.

Sil ne sagit que de bonne volont, dit la comtesse hsitant.

Lide nest point mauvaise, reprit madame du Barry en souriant. Mais peut-tre que, mme pour gagner son procs, madame la comtesse rpugne de pareilles supercheries?

de pareilles supercheries? reprit Jean. Ah! par exemple! et qui les saura, je vous le demande, ces supercheries?

Madame a raison, reprit la comtesse esprant se tirer daffaire par ce biais, et je prfrerais lui rendre un service rel, pour me concilier rellement son amiti.

Cest, en vrit, on ne peut plus gracieux, dit madame du Barry avec une lgre teinte dironie, qui nchappa point madame de Barn.

Eh bien! jai encore un moyen, dit Jean.

Un moyen?

Oui.

De rendre ce service rel?

Ah ! vicomte, dit madame du Barry, vous devenez pote, prenez garde! M. de Beaumarchais na pas dans limagination plus de ressources que vous.

La vieille comtesse attendait avec anxit lexposition de ce moyen.

Raillerie part, dit Jean. Voyons, petite sur, vous tes bien intime avec madame dAloigny nest-ce pas?

Si je le suis! Vous le savez bien.

Se formaliserait-elle de ne point vous prsenter?

Dame! cest possible.

Il est bien entendu que vous nirez pas lui dire brle-pourpoint ce que le roi a dit, cest--dire quelle tait de bien petite noblesse pour une pareille charge. Mais vous tes femme desprit, vous lui direz autre chose.

Eh bien? demanda Jeanne.

Eh bien! elle cderait madame cette occasion de vous rendre service et de faire fortune.

La vieille frissonna. Cette fois lattaque tait directe. Il ny avait pas de rponse vasive possible.

Cependant elle en trouva une.

Je ne voudrais pas dsobliger cette dame, dit-elle, et, entre gens de qualit, on se doit des gards.

Madame du Barry fit un mouvement de dpit que son frre calma dun signe.

Notez bien, madame, dit-il, que je ne vous propose rien. Vous avez un procs, cela arrive tout le monde; vous dsirez le gagner, cest tout naturel. Il parat perdu, cela vous dsespre; je tombe au milieu de ce dsespoir; je me sens mu de sympathie pour vous; je prends intrt cette affaire qui ne me regarde pas; je cherche un moyen de la faire tourner bien quand elle est dj aux trois quarts tourne mal. Jai tort, nen parlons plus.

Et Jean se leva.

Oh! monsieur, scria la vieille avec un serrement de cur qui lui fit apercevoir les du Barry, jusqualors indiffrents, ligus dsormais eux-mmes contre son procs; oh! monsieur, tout au contraire, je reconnais, jadmire votre bienveillance!

Moi, vous comprenez, reprit Jean avec une indiffrence parfaitement joue, que ma sur soit prsente par madame dAloigny, par madame de Polastron ou par madame de Barn, peu mimporte.

Mais sans doute, monsieur.

Seulement, eh bien! je lavoue, jtais furieux que les bienfaits du roi tombassent sur quelque mauvais cur, qui, gagn par un intrt sordide, aurait capitul devant notre pouvoir, comprenant limpossibilit de lbranler.

Oh! cest ce qui arriverait probablement, dit madame du Barry.

Tandis, continua Jean, tandis que madame, quon na pas sollicite, que nous connaissons peine, et qui soffre de bonne grce enfin, me parat digne en tout point de profiter des avantages de la position.

La plaideuse allait peut-tre rclamer contre cette bonne volont dont lui faisait honneur le vicomte; mais madame du Barry ne lui en donna pas le temps.

Le fait est, dit-elle, quun pareil procd enchanterait le roi, et que le roi naurait rien refuser la personne qui laurait eu.

Comment! le roi naurait rien refuser, dites-vous?

Cest--dire quil irait au-devant des dsirs de cette personne; cest--dire que, de vos propres oreilles, vous lentendriez dire au vice-chancelier: Je veux que lon soit agrable madame de Barn, entendez-vous, monsieur de Maupeou? Mais il parat que madame la comtesse voit des difficults ce que cela soit ainsi. Cest bien. Seulement, ajouta le vicomte en sinclinant, jespre que madame me saura gr de mon bon vouloir.

Jen suis pntre de reconnaissance, monsieur! scria la vieille.

Oh! bien gratuitement, dit le galant vicomte.

Mais, reprit la comtesse.

Madame?

Mais madame dAloigny ne cdera point son droit, dit la plaideuse.

Alors nous revenons ce que nous avons dit dabord: madame ne sen sera pas moins offerte, et Sa Majest nen sera pas moins reconnaissante.

Mais en supposant que madame dAloigny acceptt, dit la comtesse, qui cavait au pis pour voir clairement au fond des choses, on ne peut faire perdre cette dame les avantages

La bont du roi pour moi est inpuisable, madame, dit la favorite.

Oh! scria du Barry, quelle tuile sur la tte de ces Saluces, que je ne puis pas souffrir!

Si joffrais mes services madame, reprit la vieille plaideuse se dcidant de plus en plus, entrane quelle tait la fois par son intrt et par la comdie que lon jouait avec elle, je ne considrerais pas le gain de mon procs; car enfin ce procs, que tout le monde regarde comme perdu aujourdhui, sera difficilement gagn demain.

Ah! si le roi le voulait pourtant! rpondit le vicomte se htant de combattre cette hsitation nouvelle.

Eh bien! madame a raison, vicomte, dit la favorite, et je suis de son avis, moi.

Vous dites? fit le vicomte ouvrant des yeux normes.

Je dis quil serait honorable pour une femme du nom de madame que le procs marcht comme il doit marcher. Seulement, nul ne peut entraver la volont du roi, ni larrter dans sa munificence. Et si le roi, ne voulant pas, surtout dans la situation o il est avec ses parlements, si le roi, ne voulant pas changer le cours de la justice, offrait madame un ddommagement?

Honorable, se hta de dire le vicomte. Oh! oui, petite sur, je suis de votre avis.

Hlas! fit pniblement la plaideuse, comment ddommager de la perte dun procs qui enlve deux cent mille livres?

Mais dabord, dit madame du Barry, par un don royal de cent mille livres, par exemple?

Les deux associs regardrent avidement leur victime.

Jai un fils, dit-elle.

Tant mieux! cest un serviteur de plus pour ltat, un nouveau dvouement acquis au roi.

On ferait donc quelque chose pour mon fils, madame, vous le croyez?

Jen rponds, moi, dit Jean; et le moins quil puisse esprer, cest une lieutenance dans les gendarmes.

Avez-vous encore dautres parents? demanda la favorite.

Un neveu.

Eh bien! on inventerait quelque chose pour le neveu.

Et nous vous chargerions de cela, vicomte, vous qui venez de nous prouver que vous tiez plein dinvention, dit en riant la favorite.

Voyons, si Sa Majest faisait pour vous toutes ces choses, madame, dit le vicomte, qui, suivant le prcepte dHorace, poussait au dnouement, trouveriez-vous le roi raisonnable?