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Le roi ne put rprimer un sourire.

Oui, cest drle, dit-il; mais cela nempche point quon attelle.

Sire, M. le gouverneur a fait fermer les curies, de peur quelles ne donnassent refuge quelque malfaiteur.

Mes piqueurs, o sont-ils?

Aux communs, sire.

Que font-ils?

Ils dorment.

Comment! ils dorment?

Par ordre.

Par ordre de qui?

Par ordre du gouverneur.

Mais les portes? dit le roi.

Quelles portes, sire?

Les portes du chteau.

Elles sont fermes.

Trs bien. Mais on peut sen procurer les clefs.

Sire, les clefs sont la ceinture du gouverneur.

Voil un chteau bien tenu, dit le roi. Peste! quel ordre!

Le valet de pied sortit, voyant que le roi ne lui adressait pas de nouvelles questions.

La comtesse, tendue sur un fauteuil, mordillait une belle rose, prs de laquelle ses lvres semblaient de corail.

Voyons, sire, lui dit-elle avec ce sourire languissant qui nappartenait qu elle, jai piti de Votre Majest, prenez mon bras et mettons-nous en qute. Chon, claire le chemin.

Chon sortit la premire, faisant lavant-garde, et prte signaler les prils sil sen prsentait.

Au dtour du premier corridor, un parfum qui et veill lapptit du gourmet le plus dlicat commena de chatouiller les narines du roi.

Ah! ah! dit-il en sarrtant, quest-ce donc que cette odeur, comtesse.

Dame! sire, cest celle du souper. Je croyais que le roi me faisait lhonneur de souper Luciennes, et je mtais arrange en consquence.

Louis XV respira deux ou trois fois le parfum gastronomique, tout en rflchissant, part lui, que son estomac lui donnait dj, depuis quelque temps, signe dexistence; quil lui faudrait, en faisant grand bruit, une demi-heure pour rveiller les piqueurs, un quart dheure pour atteler les chevaux, dix minutes pour aller Marly; qu Marly, o il ntait pas attendu, il ne trouverait quun en-cas; il respira encore le fumet sducteur, et, conduisant la comtesse, il sarrta devant la porte de la salle manger.

Deux couverts taient mis sur une table splendidement claire et somptueusement servie.

Peste! dit Louis XV, vous avez un bon cuisinier, comtesse.

Sire, ctait justement son coup dessai aujourdhui, et le pauvre diable avait fait merveille pour mriter lapprobation de Votre Majest. Il est capable de se couper la gorge, comme ce pauvre Vatel.

Vraiment, vous croyez? dit Louis XV.

Il y avait surtout une omelette aux ufs de faisan, sire, sur laquelle il comptait

Une omelette aux ufs de faisan? Justement je les adore, les omelettes aux ufs de faisan!

Voyez quel malheur!

Eh bien! comtesse, ne faisons pas de chagrin votre cuisinier, dit le roi en riant, et peut-tre, tandis que nous souperons, matre Zamore rentrera-t-il de sa ronde.

Ah! sire, cest une triomphante ide, dit la comtesse, ne pouvant cacher sa satisfaction davoir gagn cette premire manche. Venez, sire, venez.

Mais qui nous servira? dit le roi, cherchant inutilement un seul laquais.

Ah! sire, dit madame du Barry, votre caf vous semble-t-il plus mauvais quand cest moi qui vous le prsente?

Non, comtesse, et je dirai mme quand cest vous qui le faites.

Eh bien! venez donc, sire.

Deux couverts seulement? dit le roi. Et Chon, elle a donc soup?

Sire, on naurait pas os, sans un ordre exprs de Votre Majest

Allons donc! dit le roi, en prenant lui-mme une assiette et un couvert sur une tagre. Viens, petite Chon, l, en face de nous.

Oh! sire, dit Chon.

Ah! oui, fais la trs humble et trs obissante sujette, hypocrite! Mettez vous l, comtesse, prs de moi, de ct. Quel charmant profil vous avez!

Cest daujourdhui que vous remarquez cela, monsieur la France?

Que voulez-vous! jai pris lhabitude de vous regarder en face, comtesse. Dcidment, votre cuisinier est un grand cordon; quelle bisque!

Jai donc eu raison de renvoyer lautre?

Parfaitement raison.

Alors, sire, suivez mon exemple, vous voyez quil ny a qu y gagner.

Je ne vous comprends pas.

Jai renvoy mon Choiseul, renvoyez le vtre.

Pas de politique, comtesse; donnez-moi de ce madre.

Le roi tendit son verre; la comtesse prit une carafe goulot troit, et servit le roi.

La pression fit blanchir les doigts et rougir les ongles du gracieux chanson.

Versez longtemps et doucement, comtesse, dit le roi.

Pour ne pas troubler la liqueur, sire?

Non, pour me donner le temps de voir votre main.

Ah! dcidment, sire, dit la comtesse en riant, Votre Majest est en train de faire des dcouvertes.

Ma foi! oui, dit le roi, qui reprenait peu peu sa belle humeur; et je crois que je suis tout prs de dcouvrir

Un monde? demanda la comtesse.

Non, non, dit le roi; un monde, cest trop ambitieux, et jai dj bien assez dun royaume. Mais une le, un petit coin de terre, une montagne enchante, un palais dont une dame de mes amies sera lArmide, et dont toutes sortes de monstres dfendront lentre quand il me plaira doublier.

Sire, dit la comtesse en prsentant au roi une carafe de vin de Champagne glac (invention tout fait nouvelle cette poque) au roi, voici justement une eau puise au fleuve Lth.

Au fleuve Lth, comtesse! en tes-vous sre?

Oui, sire; cest le pauvre Jean qui la rapporte des enfers, o il vient de descendre aux trois quarts.

Comtesse, dit le roi en levant son verre, son heureuse rsurrection; mais pas de politique, je vous prie.

Alors, je ne sais plus de quoi parler, sire; et si Votre Majest voulait raconter une histoire, elle qui raconte si bien

Non; mais je vais vous dire des vers.

Des vers! scria madame du Barry.

Oui, des vers Quy a-t-il dtonnant cela?

Votre Majest les dteste!

Parbleu! sur cent mille qui se fabriquent, il y en a quatre-vingt-dix mille contre moi.

Et ceux que Votre Majest va me dire appartiennent aux dix mille qui ne peuvent lui faire trouver grce pour les quatre-vingt-dix mille autres?

Non, comtesse, ceux que je vais vous dire vous sont adresss.

moi?

vous.

Et par qui?

Par M. de Voltaire.

Et il charge Votre Majest?

Pas du tout, il les adressait directement Votre Altesse.

Comment cela? sans lettre?

Au contraire, dans une lettre toute charmante.

Ah! je comprends: Votre Majest a travaill ce matin avec son directeur des postes.

Justement.

Lisez, sire, lisez les vers de M. de Voltaire.

Louis XV dplia un petit papier et lut:

Desse des plaisirs, tendre mre des Grces, Pourquoi veux-tu mler aux ftes de Paphos Les noirs soupons, les honteuses disgrces? Pourquoi mdites-tu la perte dun hros? Ulysse est cher la patrie; Il est lappui dAgamemnon. Sa politique active et son vaste gnie Enchanent la valeur de la fire Ilion. Soumets les dieux ton empire, Vnus, sur tous les curs rgne par la beaut; Cueille, dans un riant dlire, Les roses de la volupt; Mais nos yeux daigne sourire, Et rends le calme Neptune agit. Ulysse, ce mortel aux Troyens formidable, Que tu poursuis de ton courroux Pour la beaut nest redoutable Quen soupirant ses genoux.

Dcidment, sire, dit la comtesse, plutt pique que reconnaissante du potique envoi, dcidment M. de Voltaire veut se raccommoder avec vous.

Oh! quant cela, cest peine perdue, dit Louis XV; cest un brouillon qui mettrait tout sac sil rentrait Paris. Quil aille chez son ami, mon cousin Frdric II. Cest dj bien assez que nous ayons M. Rousseau. Mais prenez donc ces vers, comtesse, et mditez-les.

La comtesse prit le papier, le roula en forme dallumette, et le dposa prs de son assiette.

Le roi la regardait faire.