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Sire, dit Chon, un peu de ce tokay.

Il vient des caves mmes de Sa Majest lempereur dAutriche, dit la comtesse; prenez de confiance, sire.

Oh! des caves de lempereur, dit le roi; il ny a que moi qui en aie.

Aussi me vient-il de votre sommelier, sire.

Comment! vous avez sduit?

Non, jai ordonn.

Bien rpondu, comtesse. Le roi est un sot.

Oh! oui, mais M. la France

M. la France a au moins le bon esprit de vous aimer de tout son cur, lui.

Ah! sire, pourquoi ntes-vous pas vritablement M. la France tout court?

Comtesse, pas de politique.

Le roi prendra-t-il du caf? dit Chon.

Certainement.

Et Sa Majest le brlera comme dhabitude? demanda la comtesse.

Si la dame chtelaine ne sy oppose pas.

La comtesse se leva.

Que faites-vous?

Je vais vous servir, monseigneur.

Allons, dit le roi en sallongeant sur sa chaise comme un homme qui a parfaitement soup et dont un bon repas a mis les humeurs en quilibre, allons, je vois que ce que jai de mieux faire est de vous laisser faire, comtesse.

La comtesse apporta sur un rchaud dargent une petite cafetire contenant le moka brlant; puis elle posa devant le roi une assiette supportant une tasse de vermeil et un petit carafon de Bohme; puis prs de lassiette elle posa une petite allumette de papier.

Le roi, avec lattention profonde quil donnait dhabitude cette opration, calcula son sucre, mesura son caf, et, versant doucement son eau-de-vie pour que lalcool surnaget, il prit le petit rouleau de papier quil alluma la bougie, et avec lequel il communiqua la flamme la liqueur brlante.

Puis il le jeta dans le rchaud, o il acheva de se consumer.

Cinq minutes aprs, il savourait son caf avec toute la volupt dun gastronome achev.

La comtesse le laissa faire; mais, la dernire goutte:

Ah! sire, scria-t-elle, vous avez allum votre caf avec les vers de M. de Voltaire, cela portera malheur aux Choiseul.

Je me trompais, dit le roi en riant, vous ntes pas une fe, vous tes un dmon.

La comtesse se leva.

Sire, dit-elle, Votre Majest veut-elle voir si le gouverneur est rentr?

Ah! Zamore? Bah! pourquoi faire?

Mais pour vous en aller Marly, sire.

Cest vrai, dit le roi en faisant un effort pour sarracher au bien-tre quil prouvait. Allons voir, comtesse, allons voir.

Madame du Barry fit un signe Chon, qui sclipsa.

Le roi reprit son investigation, mais, il faut le dire, avec un esprit bien diffrent de celui qui avait prsid au commencement de la recherche. Les philosophes ont dit que la faon sombre ou couleur de rose dont lhomme envisage les choses dpend presque toujours de ltat de leur estomac.

Or, comme les rois ont des estomacs dhomme, moins bons gnralement que ceux de leurs sujets, cest vrai, mais communiquant leur bien-tre ou leur mal-tre au reste du corps exactement comme les autres, le roi paraissait daussi charmante humeur quil est possible un roi de ltre.

Au bout de dix pas faits dans le corridor un nouveau parfum vint par bouffes au-devant du roi.

Une porte donnant sur une charmante chambre tendue de satin bleu, broch de fleurs naturelles, venait de souvrir et dcouvrait, claire par une mystrieuse lumire, lalcve vers laquelle, depuis deux heures, avaient tendu les pas de lenchanteresse.

Eh bien! sire, dit-elle, il parat que Zamore na point reparu, que nous sommes toujours enferms, et qu moins que nous ne nous sauvions du chteau par les fentres

Avec les draps du lit? demanda le roi.

Sire, dit la comtesse avec un admirable sourire, usons, nabusons pas.

Le roi ouvrit les bras en riant, et la comtesse laissa tomber la belle rose, qui seffeuilla en roulant sur le tapis.

Chapitre 34. Voltaire et Rousseau

Comme nous lavons dit, la chambre coucher de Luciennes tait une merveille de construction et damnagement.

Situe lorient, elle tait ferme si hermtiquement par les volets dors et les rideaux de satin, que le jour ny pntrait jamais avant davoir, comme un courtisan, obtenu ses petites et grandes entres.

Lt, des ventilateurs invisibles y secouaient un air tamis, pareil celui quaurait pu produire un millier dventails.

Il tait dix heures lorsque le roi sortit de la chambre bleue.

Cette fois, les quipages du roi attendaient depuis neuf heures dans la grande cour.

Zamore, les bras croiss, donnait ou faisait semblant de donner des ordres.

Le roi mit le nez la fentre et vit tous ces apprts de dpart.

Quest-ce dire, comtesse? demanda-t-il; ne djeunons-nous pas? on dirait que vous mallez renvoyer jeun.

Dieu ne plaise, sire! rpondit la comtesse; mais jai cru que Votre Majest avait rendez-vous Marly avec M. de Sartine.

Pardieu! fit le roi, il me semble quon pourrait bien faire dire Sartine de me venir trouver ici, cest si prs.

Votre Majest me fera lhonneur de croire, dit la comtesse en souriant, que ce nest pas elle que la premire ide en est venue.

Et puis, dailleurs, la matine est trop belle pour quon travaille: djeunons.

Sire, il faudra pourtant bien me donner quelques signatures, moi.

Pour madame de Barn?

Justement, et puis mindiquer le jour.

Quel jour?

Et lheure.

Quelle heure?

Le jour et lheure de ma prsentation.

Ma foi, dit le roi, vous lavez bien gagne, votre prsentation, comtesse. Fixez le jour vous-mme.

Sire, le plus proche possible.

Tout est donc prt?

Oui.

Vous avez appris faire vos trois rvrences?

Je le crois bien; il y a un an que je my exerce.

Vous avez votre robe?

Vingt-quatre heures suffisent pour la faire.

Vous avez votre marraine?

Dans une heure elle sera ici.

Eh bien! comtesse, voyons, un trait.

Lequel?

Vous ne me parlerez plus de cette affaire du vicomte Jean avec le baron de Taverney?

Nous sacrifions donc le pauvre vicomte?

Ma foi, oui!

Eh bien! sire, nous nen parlerons plus Le jour?

Aprs-demain.

Lheure?

Dix heures du soir, comme de coutume.

Cest dit, sire?

Cest dit.

Parole royale?

Foi de gentilhomme.

Touche l, la France.

Et madame du Barry tendit au roi sa jolie petite main, dans laquelle Louis XV laissa tomber la sienne.

Ce matin-l, tout Luciennes se ressentit de la gaiet du matre; il avait cd sur un point sur lequel depuis longtemps il tait dcid cder, mais il avait gagn sur un autre: ctait donc tout bnfice. Il donnerait cent mille livres Jean, condition que celui-ci irait les perdre aux eaux des Pyrnes ou dAuvergne, et cela passerait pour un exil aux yeux des Choiseul. Il y eut des louis dor pour les pauvres, des gteaux pour les carpes et des compliments pour les peintures de Boucher.

Quoiquelle et parfaitement soup la veille, Sa Majest djeuna de grand apptit.

Cependant onze heures venaient de sonner. La comtesse, tout en servant le roi, lorgnait la pendule, trop lente son gr.

Le roi lui-mme avait pris la peine de dire que si madame de Barn arrivait, on pouvait lintroduire dans la salle manger.

Le caf fut servi, got, bu, sans que madame de Barn arrivt.

onze heures un quart, on entendit retentir dans la cour le galop dun cheval.

Madame du Barry se leva rapidement et regarda par la fentre.

Un courrier de Jean du Barry sautait bas dun cheval ruisselant de sueur.

La comtesse frissonna; mais, comme elle ne devait laisser rien voir de ses inquitudes, afin de maintenir le roi dans ses bonnes dispositions, elle revint sasseoir prs de lui.

Un instant aprs, Chon entra, un billet dans sa main.

Il ny avait pas reculer, il fallait lire.

Quest-ce l, grande Chon? un billet doux? dit le roi.

Oh! mon Dieu, oui, sire.

Et de qui?

Du pauvre vicomte.