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Bien sr?

Voyez plutt.

Le roi reconnut lcriture, et comme il pensa quil pouvait tre question dans le billet de laventure de La Chausse:

Bon, bon, dit-il en lcartant de la main, cela suffit.

La comtesse tait sur des pines.

Le billet est pour moi? demanda-t-elle.

Oui, comtesse.

Le roi permet?

Faites, pardieu! Chon me dira Matre Corbeau pendant ce temps-l.

Et il attira Chon entre ses jambes en chantant de la voix la plus fausse de son royaume, comme disait Jean-Jacques:

Jai perdu mon serviteur, Jai perdu tout mon bonheur.

La comtesse se retira dans lembrasure dune fentre et lut:

Nattendez pas la vieille sclrate; elle prtend stre brl le pied hier soir, et elle garde la chambre. Remercions Chon de sa bonne arrive dhier, car cest elle qui nous vaut cela; la sorcire la reconnue, et voil notre comdie tourne.

Cest bien heureux que ce petit gueux de Gilbert, qui est la cause de tout cela, soit perdu. Je lui tordrais le cou. Mais si je le retrouve, quil soit tranquille, cela ne peut pas lui manquer.

Je me rsume. Venez vite Paris, ou nous redevenons tout comme devant,

Jean

Quest-ce? fit le roi, qui surprit la pleur subite de la comtesse.

Rien, sire; un bulletin de la sant de mon beau-frre.

Et il va de mieux en mieux, ce cher vicomte?

De mieux en mieux, dit la comtesse. Merci, sire. Mais voici une voiture qui entre dans la cour.

Notre comtesse, sans doute?

Non, sire cest M. de Sartine.

Eh bien! fit le roi voyant que madame du Barry gagnait la porte.

Eh bien! sire, rpondit la comtesse, je vous laisse avec lui, et je passe ma toilette.

Et madame de Barn?

Quand elle arrivera, sire, jaurai lhonneur de faire prvenir Votre Majest, dit la comtesse en froissant le billet dans le fond de la poche de son peignoir.

Vous mabandonnez donc, comtesse? dit le roi avec un soupir mlancolique.

Sire, cest aujourdhui dimanche; les signatures, les signatures!

Et elle vint tendre au roi ses joues fraches, sur chacune desquelles il appliqua un gros baiser, aprs quoi elle sortit de lappartement.

Au diable les signatures, dit le roi, et ceux qui viennent les chercher! Qui donc a invent les ministres, les portefeuilles et le papier tellire?

Le roi avait peine achev cette maldiction que le ministre et le portefeuille entraient par la porte oppose celle qui avait donn sortie la comtesse.

Le roi poussa un second soupir, plus mlancolique encore que le premier.

Ah! vous voil, Sartine, dit-il; comme vous tes exact!

La chose tait dite avec un tel accent, quil tait impossible de savoir si ctait un loge ou un reproche.

M. de Sartine ouvrit le portefeuille et sapprta en tirer le travail.

On entendit alors crier les roues dune voiture sur le sable de lavenue.

Attendez, Sartine, dit le roi.

Et il courut la croise.

Quoi! dit-il, cest la comtesse qui sort?

Elle-mme, sire, dit le ministre.

Mais elle nattend donc pas madame la comtesse de Barn?

Sire, je suis tent de croire quelle sest lasse de lattendre et quelle va la chercher.

Cependant, puisque la dame devait venir ce matin

Sire, je suis peu prs certain quelle ne viendra pas.

Comment! vous savez cela, Sartine?

Sire, il faut bien que je sache un peu tout, afin que Votre Majest soit contente de moi.

Quest-il donc arriv? Dites-moi cela, Sartine.

la vieille comtesse, sire?

Oui.

Ce qui arrive en toutes choses, sire: des difficults.

Mais enfin viendra-t-elle, cette comtesse de Barn?

Hum! hum! sire, ctait plus sr hier au soir que ce matin.

Pauvre comtesse! dit le roi, ne pouvant sempcher de laisser briller dans ses yeux un rayon de joie.

Ah! sire, la quadruple alliance et le pacte de famille taient bien peu de chose auprs de laffaire de la prsentation.

Pauvre comtesse! rpta le roi en secouant la tte, elle narrivera jamais ses fins.

Je le crains, sire, moins que Votre Majest ne se fche.

Elle croyait tre si sre de son fait!

Ce quil y a de pis pour elle, dit M. de Sartine, cest que si elle nest pas prsente avant larrive de madame la dauphine, il est probable quelle ne le sera jamais.

Plus que probable, Sartine, vous avez raison. On la dit fort svre, fort dvote, fort prude, ma bru. Pauvre comtesse!

Certainement, reprit M. de Sartine, ce sera un chagrin trs grand pour madame du Barry de ntre point prsente, mais aussi cela pargnera bien des soucis Votre Majest.

Vous croyez, Sartine?

Mais sans doute; il y aura de moins les envieux, les mdisants, les chansonniers, les flatteurs, les gazettes. Si madame du Barry tait prsente sire, cela nous coterait cent mille francs de police extraordinaire.

En vrit! Pauvre comtesse! Elle le dsire cependant bien!

Alors, que Votre Majest ordonne, et les dsirs de la comtesse saccompliront.

Que dites-vous l, Sartine? scria le roi. En bonne foi, est-ce que je puis me mler de tout cela? est-ce que je puis signer lordre dtre gracieux envers madame du Barry? est-ce vous, Sartine vous, un homme desprit, qui me conseilleriez de faire un coup dtat pour satisfaire le caprice de la comtesse?

Oh! non pas, sire. Je me contenterai de dire comme Votre Majest: Pauvre comtesse!

Dailleurs, dit le roi, sa position nest pas si dsespre. Vous voyez tout de la couleur de votre habit, vous, Sartine. Qui nous dit que madame de Barn ne se ravisera point? Qui nous assure que madame la dauphine arrivera si tt? Nous avons quatre jours encore avant quelle touche Compigne; en quatre jours on fait bien des choses. Voyons travaillerons nous ce matin, Sartine?

Oh! Votre Majest, trois signatures seulement.

Et le lieutenant de police tira un premier papier du portefeuille.

Oh! oh! fit le roi, une lettre de cachet?

Oui, sire.

Et contre qui?

Votre Majest peut voir.

Contre le sieur Rousseau. Quest-ce que ce Rousseau-l, Sartine, et qua t-il fait?

Dame! le Contrat social, sire.

Ah! ah! cest contre Jean-Jacques? Vous voulez donc lembastiller?

Sire, il fait scandale.

Que diable voulez-vous quil fasse?

Dailleurs, je ne propose pas de lembastiller.

quoi bon la lettre, alors?

Sire, pour avoir larme toute prte.

Ce nest pas que jy tienne, au moins, tous vos philosophes! dit le roi.

Et Votre Majest a bien raison de ny pas tenir, fit Sartine.

Mais on crierait, voyez-vous; dailleurs, je croyais quon avait autoris sa prsence Paris.

Tolr, sire, mais la condition quil ne se montrerait pas.

Et il se montre?

Il ne fait que cela.

Dans son costume armnien?

Oh! non, sire; nous lui avons fait signifier de le quitter.

Et il a obi?

Oui, mais en criant la perscution.

Et comment shabille-t-il maintenant?

Mais comme tout le monde, sire.

Alors le scandale nest pas grand.

Comment! sire, un homme qui lon dfend de se montrer, devinez o il va tous les jours?

Chez le marchal de Luxembourg, chez M. dAlembert, chez madame dpinay?

Au caf de la Rgence, sire! Il y joue aux checs chaque soir, par enttement, car il perd toujours; et chaque soir jai besoin dune brigade pour surveiller le rassemblement qui se fait autour de la maison.

Allons, dit le roi, les Parisiens sont encore plus btes que je ne le croyais. Laissez-les samuser cela, Sartine; pendant ce temps-l, ils ne crieront pas misre.

Oui, sire; mais sil allait un beau jour saviser de faire des discours comme il en faisait Londres!

Oh! alors, comme il y aurait dlit, et dlit public, vous nauriez pas besoin dune lettre de cachet, Sartine.