Jtais ple comme votre dentelle, comtesse. Je mcriai:
Cest un mensonge!
Non, cher monsieur du Barry, rpondit une voix si aigre, quelle semblait percer les solives; non, ce nest pas un mensonge, et je souffre horriblement.
Je mlanai du ct do venait cette voix, je passai travers une porte qui ne voulait pas souvrir; la vieille comtesse tait rellement couche.
Ah! madame! lui dis-je.
Ce fut tout ce que je pus profrer de paroles. Jtais enrag: je leusse trangle avec joie.
Tenez, me dit-elle en me montrant un mchant marabout gisant sur le carreau, voil la cafetire qui a fait tout le mal.
Je sautai sur la cafetire pieds joints.
Celle-l ne fera plus de chocolat, je vous en rponds.
Quel guignon! continua la vieille de sa voix dolente, ce sera madame dAloigny qui prsentera madame votre sur. Que voulez-vous! ctait crit! comme disent les orientaux.
Ah! mon Dieu! scria la comtesse, vous me dsesprez, Jean.
Je ne dsespre pas, moi, si vous vous prsentez elle: voil pourquoi je vous ai fait appeler.
Et pourquoi ne dsesprez-vous pas?
Dame! parce que vous pouvez ce que je ne puis pas, parce que vous tes une femme, et que vous ferez lever lappareil devant vous, et que, limposture prouve, vous pourrez dire madame de Barn que jamais son fils ne sera quun hobereau, que jamais elle ne touchera un sou de lhritage des Saluces; parce quenfin vous jouerez les imprcations de Camille avec beaucoup plus de vraisemblance que je ne jouerais les fureurs dOreste.
Il plaisante, je crois! scria la comtesse.
Du bout des dents, croyez-moi.
O demeure-t-elle, notre sibylle?
Vous le savez bien: au Coq chantant, rue Saint-Germain-des-Prs, une grande maison noire, avec un coq norme peint sur une plaque de tle. Quand la tle grince, le coq chante.
Jaurai une scne affreuse!
Cest mon avis. Mais mon avis aussi est quil faut la risquer. Voulez-vous que je vous escorte?
Gardez-vous-en bien, vous gteriez tout.
Voil ce que ma dit notre procureur, que jai consult cet endroit; cest pour votre gouverne. Battre une personne chez elle, cest lamende et la prison. La battre dehors
Ce nest rien, dit la comtesse Jean, vous savez cela mieux que personne.
Jean grimaa un mauvais sourire.
Oh! dit-il, les dettes qui se payent tard amassent des intrts, et si jamais je retrouve mon homme
Ne parlons que de ma femme, vicomte.
Je nai plus rien vous en dire; allez!
Et Jean se rangea pour laisser passer la voiture.
O mattendez-vous?
Dans lhtellerie mme; je demanderai une bouteille de vin dEspagne, et sil vous faut main-forte, jarriverai.
Touche, cocher! scria la comtesse.
Rue Saint-Germain-des-Prs, au Coq chantant, ajouta le vicomte.
La voiture partit imptueusement dans les Champs-lyses.
Un quart dheure aprs, elle sarrtait prs de la rue Abbatiale et du march Sainte-Marguerite.
L, madame du Barry mit pied terre, car elle craignit que le roulement dune voiture navertt la vieille ruse, aux aguets sans doute, et que, se jetant derrire quelque rideau, elle napert la visiteuse assez temps pour lviter.
En consquence, seule avec son laquais, qui marchait derrire elle, la comtesse gagna rapidement la rue Abbatiale, qui ne renfermait que trois maisons, dont lhtellerie sise au milieu.
Elle sengouffra plutt quelle nentra dans le porche bant de lauberge.
Nul ne la vit entrer; mais au pied de lescalier de bois, elle rencontra lhtesse.
Madame de Barn? dit-elle.
Madame de Barn est bien malade, et ne peut recevoir.
Malade; justement, dit la comtesse, je viens demander de ses nouvelles.
Et, lgre comme un oiseau, elle fut au haut de lescalier en une seconde.
Madame, madame, cria lhtesse, on force votre porte!
Qui donc? demanda la vieille plaideuse du fond de sa chambre.
Moi, fit la comtesse en se prsentant soudain sur le seuil avec une physionomie parfaitement assortie la circonstance, car elle souriait la politesse et grimaait la condolance.
Madame la comtesse ici! scria la plaideuse ple deffroi.
Oui, chre madame, et qui vient vous tmoigner toute la part quelle prend votre malheur, dont jai t instruite linstant mme. Racontez-moi donc laccident, je vous prie.
Mais je nose, madame, vous offrir de vous asseoir en ce taudis.
Je sais que vous avez un chteau en Touraine et jexcuse lhtellerie.
La comtesse sassit. Madame de Barn comprit quelle sinstallait.
Vous paraissez beaucoup souffrir, madame? demanda madame du Barry.
Horriblement.
la jambe droite? Oh! Dieu! mais comment avez-vous donc fait pour vous brler la jambe?
Rien de plus simple: je tenais la cafetire, le manche a gliss dans ma main, leau sen est chappe bouillante, et mon pied en a reu la valeur dun verre.
Cest pouvantable!
La vieille poussa un soupir.
Oh! oui, fit-elle, pouvantable. Mais que voulez-vous! les malheurs vont par troupes.
Vous savez que le roi vous attendait ce matin?
Vous redoublez mon dsespoir, madame.
Sa Majest nest point contente, madame, davoir manqu vous voir.
Jai mon excuse dans ma souffrance, et je compte bien prsenter mes trs humbles excuses Sa Majest.
Je ne dis pas cela pour vous causer le moindre chagrin, dit madame du Barry, qui voyait combien la vieille tait gourme, je voulais seulement vous faire comprendre combien Sa Majest tenait cette dmarche et en tait reconnaissante.
Vous voyez ma position, madame.
Sans doute; mais voulez-vous que je vous dise une chose?
Dites; je serai fort honore de lentendre.
Cest que, selon toute probabilit, votre accident vient dune grande motion que vous avez ressentie.
Oh! je ne dis pas non, dit la plaideuse en faisant une rvrence du buste seulement; jai t fort mue de lhonneur que vous me ftes en me recevant si gracieusement chez vous.
Je crois quil y a eu encore autre chose.
Autre chose? Ma foi, non, rien que je sache, madame.
Oh! si fait, une rencontre?
Que jaurais faite!
Oui, en sortant de chez moi.
Je nai rencontr personne, madame. Jtais dans le carrosse de monsieur votre frre.
Avant de monter dans le carrosse.
La plaideuse eut lair de chercher.
Pendant que vous descendiez les degrs du perron.
La plaideuse feignit une plus grande attention encore.
Oui, dit madame du Barry avec un sourire ml dimpatience, quelquun entrait dans la cour comme vous sortiez de la maison.
Jai du malheur, madame, je ne me souviens pas.
Une femme Ah! vous y tes maintenant.
Jai la vue si basse, qu deux pas de moi que vous tes, madame, je ne distingue point. Ainsi, jugez.
Allons, elle est forte, se dit tout bas la comtesse. Ne rusons pas, elle me battrait.
Eh bien! puisque vous navez pas vu cette dame, continua-t-elle tout haut, je veux vous dire qui elle est.
Cette dame qui est entre comme je sortais?
Prcisment. Ctait ma belle-sur, mademoiselle du Barry.
Ah! trs bien, madame, trs bien. Mais comme je ne lai jamais vue
Si fait.
Je lai vue?
Oui, et traite mme.
Mademoiselle du Barry?
Oui, mademoiselle du Barry. Seulement, ce jour-l, elle sappelait mademoiselle Flageot.
Ah! scria la vieille plaideuse avec une aigreur quelle ne put dissimuler; ah! cette fausse mademoiselle Flageot, qui mest venue trouver et qui ma fait voyager ainsi, ctait madame votre belle-sur?
En personne, madame.
Qui mtait envoye?
Par moi.