Pour me mystifier?
Non, pour vous servir en mme temps que vous me serviriez.
La vieille femme frona son pais sourcil gris.
Je crois, dit-elle, que cette visite ne me sera pas trs profitable.
Auriez-vous t mal reue par M. de Maupeou, madame?
Eau bnite de cour.
Il me semble que jai eu lhonneur de vous offrir quelque chose de moins insaisissable que de leau bnite.
Madame, Dieu dispose quand lhomme propose.
Voyons, madame, parlons srieusement, dit la comtesse.
Je vous coute.
Vous vous tes brl le pied?
Vous le voyez.
Gravement?
Affreusement.
Ne pouvez-vous, malgr cette blessure, douloureuse sans doute, mais qui ne peut tre dangereuse, ne pouvez-vous faire un effort, supporter la voiture jusqu Luciennes et vous tenir debout une seconde dans mon cabinet, devant Sa Majest?
Impossible, madame; la seule ide de me lever, je me sens dfaillir.
Mais cest donc une affreuse blessure que vous vous tes faite?
Comme vous dites, affreuse.
Et qui vous panse, qui vous conseille, qui vous soigne?
Jai, comme toute femme qui a tenu maison, des recettes excellentes pour les brlures; je mapplique un baume compos par moi.
Peut-on, sans indiscrtion, voir ce spcifique?
Dans cette fiole, sur la table.
Hypocrite! pensa la comtesse, elle a pouss jusque-l la dissimulation; elle est dcidment trs forte; mais voyons la fin.
Madame, dit tout bas la comtesse, moi aussi, jai une huile admirable pour ces sortes daccidents; mais lapplication dpend beaucoup du genre de brlure.
Comment cela?
Il y a la rougeur simple, lampoule et lcorchure. Je ne suis pas mdecin; mais tout le monde sest brl plus ou moins dans sa vie.
Madame, cest une corchure, dit la comtesse.
Oh! mon Dieu! que vous devez souffrir! Voulez-vous que je vous applique mon huile?
De grand cur, madame. Vous lavez donc apporte?
Non; mais je lenverrai
Merci mille fois.
Il convient seulement que je massure du degr de gravit.
La vieille se rcria.
Oh! non, madame, dit-elle, je ne veux pas vous offrir un pareil spectacle.
Bon! pensa madame du Barry, la voil prise.
Ne craignez point cela, madame, dit-elle, je suis familiarise avec la vue des blessures.
Oh! madame, je connais trop les biensances
L o il sagit de secourir notre prochain, oublions les biensances, madame.
Et brusquement elle tendit la main vers la jambe que la comtesse tenait allonge sur un fauteuil.
La vieille poussa un effroyable cri dangoisse, quoique madame du Barry let peine touche.
Oh! bien jou! murmura la comtesse, qui tudiait chaque crispation sur le visage dcompos de madame de Barn.
Je me meurs, dit la vieille. Ah! quelle peur vous mavez faite, madame!
Et, les joues ples, les yeux mourants, elle se renversa comme si elle allait svanouir.
Vous permettez, madame? continua la favorite.
Faites, madame, dit la vieille dune voix teinte.
Madame du Barry ne perdit point de temps; elle dtacha la premire pingle des linges qui entouraient sa jambe, puis rapidement droula la bandelette.
sa grande surprise, la vieille la laissa faire.
Elle attend que je sois la compresse pour jeter les hauts cris; mais, quand je devrais ltouffer, je verrai sa jambe, murmura la favorite.
Et elle poursuivit.
Madame de Barn gmissait, mais ne sopposait rien.
La compresse fut dtache, et une vritable plaie soffrit aux yeux de madame du Barry. Ce ntait pas de limitation, et l sarrtait la diplomatie de madame de Barn. Livide et sanguinolente, la brlure parlait loquemment. Madame de Barn pouvait avoir vu et reconnu Chon; mais alors elle slevait la hauteur de Porcie et de Mucius Scvola.
Madame du Barry se tut et admira.
La vieille, revenue elle, jouissait pleinement de sa victoire; son il fauve couvait la comtesse agenouille ses pieds.
Madame du Barry replaa la compresse avec cette dlicate sollicitude des femmes, dont la main est si lgre aux blesss, rtablit sur le coussin la jambe de la malade, et sasseyant auprs delle:
Allons, madame, lui dit-elle, vous tes encore plus forte que je ne le croyais, et je vous demande pardon de ne pas avoir, du premier coup, attaqu la question comme il convenait une femme de votre valeur. Faites vos conditions.
Les yeux de la vieille tincelaient, mais ce ne fut quun clair qui steignit aussitt.
Formulez nettement votre dsir, madame, dit-elle, et je verrai en quoi je puis vous tre agrable.
Je veux, dit la comtesse, tre prsente Versailles par vous, madame, dt-il men coter une heure des horribles souffrances que vous avez subies ce matin.
Madame de Barn couta sans sourciller.
Et puis? dit-elle.
Cest tout, madame; maintenant, votre tour.
Je voudrais, dit madame de Barn, avec une fermet qui prouva nettement la comtesse quon traitait avec elle de puissance puissance, je voudrais les deux cent mille livres de mon procs garanties.
Mais, si vous gagnez votre procs, cela fera quatre cent mille livres, ce me semble.
Non, car je regarde comme moi les deux cent mille livres que me disputent les Saluces. Les deux cent mille autres seront une bonne fortune ajouter lhonneur que jai eu de faire votre connaissance.
Vous aurez ces deux cent mille livres, madame. Aprs?
Jai un fils que jaime tendrement, madame. Lpe a toujours t bien porte dans notre maison; mais, ns pour commander, vous devez comprendre que nous faisons de mdiocres soldats. Il me faut une compagnie sur-le-champ pour mon fils, avec un brevet de colonel pour lanne prochaine.
Qui fera les frais du rgiment, madame?
Le roi. Vous comprenez que si je dpense ce rgiment les deux cent mille livres de mon bnfice, je serai aussi pauvre demain que je le suis aujourdhui.
De bon compte, cela fait six cent mille livres.
Quatre cent mille, en supposant que le rgiment en vaille deux cents, ce qui est lestimer bien haut.
Soit; vous serez satisfaite en ceci.
Jai encore demander au roi la restitution de ma vigne de Touraine; ce sont quatre bons arpents que les ingnieurs du roi mont pris, il y a onze ans, pour le canal.
On vous la paye.
Oui, mais dire dexpert; et je lestimerai, moi, juste le double du prix quils lont estime.
Bien! on vous la payera une seconde fois. Est-ce tout?
Pardon. Je ne suis pas en argent, comme vous devez le penser. Je dois matre Flageot quelque chose comme neuf mille livres.
Neuf mille livres.
Oh! ceci est lindispensable. Matre Flageot est dexcellent conseil.
Oui, je le crois, dit la comtesse. Je payerai ces neuf mille livres sur mes propres deniers. Jespre que vous mavez trouve accommodante?
Oh! vous tes parfaite, madame; mais je crois, de mon ct, vous avoir prouv toute ma bonne volont.
Si vous saviez combien je regrette que vous vous soyez brle, dit madame du Barry en souriant.
Je ne le regrette pas, madame, rpondit la plaideuse, puisque, malgr cet accident, mon dvouement, je lespre, me donnera la force de vous tre utile, comme sil ntait pas arriv.
Rsumons, dit madame du Barry.
Attendez.
Vous avez oubli quelque chose?
Un dtail.
Dites.
Je ne pouvais mattendre paratre devant notre grand roi. Hlas! Versailles et ses splendeurs ont cess depuis longtemps de mtre familires, de sorte que je nai pas de robe.
Javais prvu le cas, madame; hier, aprs votre dpart, votre habit de prsentation a t commenc, et jai eu le soin de le commander chez une autre tailleuse que la mienne pour ne pas lencombrer. Demain, midi, il sera achev.
Je nai pas de diamants.
MM. Bohmer et Bassange vous donneront demain, sur un mot de moi, une parure de deux cent dix mille livres, quils vous reprendront aprs demain pour deux cent mille livres. Ainsi votre indemnit se trouvera paye.