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Trs bien, madame: je nai plus rien dsirer.

Vous men voyez ravie.

Mais le brevet de mon fils?

Sa Majest vous le remettra elle-mme.

Mais la promesse des frais de leve du rgiment?

Le brevet limpliquera.

Parfait. Il ne reste plus que la question des vignes.

Vous estimiez ces quatre arpents, madame?

Six mille livres larpent. Ctaient dexcellentes terres.

Je vais vous souscrire une obligation de douze mille livres qui, avec les douze mille que vous avez dj reues, feront juste les vingt-quatre mille.

Voici lcritoire, madame, dit la comtesse en montrant du doigt lobjet quelle nommait.

Je vais avoir lhonneur de vous la passer, dit madame du Barry.

moi?

Oui.

Pour quoi faire?

Pour que vous daigniez crire Sa Majest la petite lettre que je vais avoir lhonneur de vous dicter. Donnant donnant.

Cest juste, dit madame de Barn.

Veuillez donc crire, madame.

La vieille attira la table prs de son fauteuil, apprta son papier, prit la plume et attendit.

Madame du Barry dicta:

Sire, le bonheur que je ressens de voir accepte par Votre Majest loffre que jai faite dtre la marraine de ma chre amie, la comtesse du Barry

La vieille allongea les lvres et fit cracher sa plume.

Vous avez une mauvaise plume, comtesse, dit la favorite, il faut la changer.

Inutile, madame, elle shabituera.

Vous croyez?

Oui.

Madame du Barry continua:

menhardit solliciter Votre Majest de me regarder dun il favorable quand demain je me prsenterai Versailles, comme vous daignez le permettre. Jose croire, sire, que Votre Majest peut mhonorer dun bon accueil, tant allie dune maison dont chaque chef a vers son sang pour le service des princes de votre auguste race.

Maintenant, signez, sil vous plat.

Et la comtesse signa:

Anastasie-Euphmie-Rodolphe,

Comtesse de Barn

La vieille crivait dune main ferme; les caractres, grands dun demi-pouce, se couchaient sur le papier, quils saupoudrrent dune quantit aristocratique de fautes dorthographe.

Lorsquelle eut sign, la vieille, tout en retenant dune main la lettre quelle venait dcrire, passa de lautre main lencre, le papier et la plume madame du Barry, laquelle, dune petite criture droite et pineuse, souscrivit une obligation de vingt et une mille livres, douze mille pour indemniser de la perte des vignes, neuf mille pour payer les honoraires de matre Flageot.

Puis elle crivit une petite lettre MM. Bohmer et Bassange, joailliers de la couronne, les priant de remettre au porteur la parure de diamants et dmeraudes appele Louise, parce quelle venait de la princesse tante du dauphin, laquelle lavait vendue pour ses aumnes.

Cela fini, marraine et filleule changrent leur papier.

Maintenant, dit madame du Barry, donnez-moi une preuve de bonne amiti, chre comtesse.

De tout mon cur, madame.

Je suis sre que si vous consentez vous installer chez moi, Tronchin vous gurira en moins de trois jours. Venez-y donc; en mme temps vous essayerez de mon huile, qui est souveraine.

Montez toujours en carrosse, madame, dit la prudente vieille; jai quelques affaires terminer ici avant de vous rejoindre.

Vous me refusez?

Je vous dclare, au contraire, que jaccepte, madame; mais pas pour le moment prsent. Voici une heure qui sonne lAbbaye; donnez-moi jusqu trois heures; cinq heures prcises, je serai Luciennes.

Permettez-vous qu trois heures mon frre vienne vous prendre avec son carrosse?

Parfaitement.

Maintenant, soignez-vous dici l.

Ne craignez rien. Je suis gentilfemme, vous avez ma parole, et, duss-je en mourir, je vous ferai honneur demain Versailles.

Au revoir, ma chre marraine!

Au revoir, mon adorable filleule!

Et elles se sparrent ainsi, la vieille toujours couche, une jambe sur ses coussins, une main sur ses papiers; madame du Barry, plus lgre encore qu son arrive, mais le cur lgrement serr de navoir pas t la plus forte avec une vieille plaideuse, elle qui, son plaisir, battait le roi de France.

En passant devant la grande salle, elle aperut Jean qui, sans doute pour ne pas donner de soupons sur sa prsence prolonge, venait dattaquer une seconde bouteille.

En apercevant sa belle-sur, il bondit de sa chaise et courut elle.

Eh bien? lui dit-il.

Voici ce qua dit le marchal de Saxe Sa Majest en lui montrant le champ de bataille de Fontenoy: Sire, apprenez par ce spectacle combien une victoire est chre et douloureuse.

Nous sommes donc vainqueurs? demanda Jean.

Un autre mot. Mais celui-l nous vient de lantiquit: Encore une victoire comme celle-l, et nous sommes ruins.

Nous avons la marraine?

Oui; seulement, elle nous cote prs dun million!

Oh! oh! fit du Barry avec une effroyable grimace.

Dame! ctait prendre ou laisser!

Mais cest criant!

Cest comme cela. Et ne vous rebroussez pas trop encore, car il se pourrait, si vous ntiez pas bien sage, que nous neussions rien du tout ou que cela nous cott le double.

Tudieu! quelle femme!

Cest une Romaine.

Cest une Grecque.

Nimporte! Grecque ou Romaine, tenez-vous prt la prendre trois heures, et me lamener Luciennes. Je ne serai tranquille que lorsque je la tiendrai sous clef.

Je ne bouge pas dici, dit Jean.

Et moi, je cours tout prparer, dit la comtesse.

Et, slanant dans son carrosse:

Luciennes! cria-t-elle. Aprs-demain, je dirai: Marly.

Cest gal, dit Jean en suivant de lil le carrosse, nous cotons joliment cher la France! Cest flatteur pour les du Barry.

Chapitre 36. La cinquime conspiration du marchal de Richelieu

Le roi tait revenu tenir son Marly comme de coutume.

Moins esclave de ltiquette que Louis XIV, qui cherchait dans les runions de la cour des occasions dessayer sa puissance, Louis XV cherchait dans chaque cercle des nouvelles dont il tait avide, et surtout cette varit de visages, distraction quil mettait au-dessus de toutes les autres, surtout quand ces visages taient souriants.

Le soir mme de lentrevue que nous venons de rapporter, et deux heures aprs que madame de Barn, selon sa promesse, tenue fidlement cette fois, tait installe dans le cabinet de madame du Barry, le roi jouait dans le salon bleu.

Il avait sa gauche la duchesse dAyen, sa droite la princesse de Gumne.

Sa Majest paraissait fort proccupe; elle perdit huit cents louis par suite de cette proccupation; puis, dispos aux choses srieuses par cette perte, Louis XV, en digne descendant de Henri IV, aimait fort gagner, le roi se leva neuf heures pour aller causer dans lembrasure dune fentre avec M. de Malesherbes, fils de lex-chancelier, tandis que M. de Maupeou, causant avec M. de Choiseul dans lembrasure dune fentre en face, suivait dun il inquiet la conversation.

Cependant, depuis le dpart du roi, un cercle stait form prs de la chemine. Mesdames Adlade, Sophie et Victoire, leur retour dune promenade aux jardins, staient assises cet endroit avec leurs dames dhonneur et leurs gentilshommes.

Et comme autour du roi, certainement occup daffaires, car on connaissait laustrit de M. de Malesherbes, comme autour du roi, disons-nous, il y avait un cercle dofficiers de terre et de mer, de grands dignitaires, de seigneurs et de prsidents, retenus par une respectueuse attente, la petite cour de la chemine se suffisait elle-mme, et prludait une conversation plus anime par quelques escarmouches que lon pouvait ne regarder que comme affaires davant-garde.

Les principales femmes composant ce groupe taient, outre les trois filles du roi, madame de Grammont, madame de Gumne, madame de Choiseul, madame de Mirepoix et madame de Polastron.