Au moment o nous prenons ce groupe, Madame Adlade racontait une histoire dvque mis en retraite au pnitencier du diocse. Lhistoire, que nous nous abstiendrons de rpter, tait passablement scandaleuse, surtout pour une princesse royale; mais lpoque que nous essayons de dcrire ntait pas, comme on le sait, prcisment sous linvocation de la desse Vesta.
Eh bien! dit Madame Victoire, cet vque a pourtant sig ici, parmi nous, il y a un mois peine.
On serait expos pire rencontre encore chez Sa Majest, dit madame de Grammont, si ceux-l y venaient qui, ny tant jamais venus, veulent y venir.
Tout le monde sentit, aux premires paroles de la duchesse, et surtout au ton avec lequel ces paroles taient prononces, de qui elle voulait parler et sur quel terrain allait manuvrer la conversation.
Heureusement que vouloir et pouvoir sont deux, nest-ce pas, duchesse? dit en se mlant la conversation un petit homme de soixante-quatorze ans, qui en paraissait cinquante peine, tant sa taille tait lgante, sa voix frache, sa jambe fine, ses yeux vifs, sa peau blanche, et sa main belle.
Ah! voil M. de Richelieu qui se jette aux chelles, comme Mahon, et qui va prendre notre pauvre conversation par escalade, dit la duchesse. Nous sommes toujours un peu grenadier, mon cher duc?
Un peu? Ah! duchesse, vous me faites tort, dites beaucoup.
Eh bien! ne disais-je pas vrai, duc?
Quand cela?
Tout lheure.
Et que disiez-vous?
Que les portes du roi ne se forcent pas
Comme des rideaux dalcve. Je suis de votre avis, duchesse, toujours de votre avis.
Le mot amena les ventails sur quelques visages, mais il eut du succs, quoique les dtracteurs du temps pass prtendissent que lesprit du duc avait vieilli.
La duchesse de Grammont rougit sous son rouge, car ctait elle surtout que lpigramme sadressait.
Mesdames, continua-t-elle, si M. le duc nous dit de pareilles choses, je ne continuerai pas mon histoire et vous y perdrez beaucoup je vous jure, moins que vous ne demandiez au marchal de vous en raconter une autre.
Moi, dit le duc, vous interrompre quand vous allez probablement dire du mal de quelquun de mes amis? Dieu men prserve! jcoute de toutes les oreilles qui me restent.
On resserra le cercle autour de la duchesse.
Madame de Grammont lana un regard du ct de la fentre pour sassurer que le roi tait toujours l. Le roi y tait toujours; mais, bien que causant avec M. de Malesherbes, il ne perdait pas de vue le groupe, et son regard se croisa avec celui de madame de Grammont.
La duchesse se sentit un peu intimide de lexpression quelle avait cru lire dans les yeux du roi; mais elle tait lance, elle ne voulut pas sarrter en chemin.
Vous saurez donc, continua madame de Grammont sadressant principalement aux trois princesses, quune dame le nom ny fait rien, nest-ce pas? dsira dernirement nous voir, nous, les lues du Seigneur, trnant dans notre gloire, dont les rayons la font mourir de jalousie.
Nous voir, o? demanda le duc.
Mais Versailles, Marly, Fontainebleau.
Bien, bien, bien.
La pauvre crature navait jamais vu de nos grands cercles que le dner du roi, o les badauds sont admis derrire les barrires regarder manger Sa Majest et ses convives, en dfilant, bien entendu, sous la baguette de lhuissier de service.
M. de Richelieu prit bruyamment du tabac dans une bote de porcelaine de Svres.
Mais pour nous voir Versailles, Marly, Fontainebleau, il faut tre prsente, dit le duc.
Justement, la dame en question sollicita la prsentation.
Je parie quelle lui fut accorde, dit le duc; le roi est si bon!
Malheureusement, pour tre prsente, il ne suffit pas de la permission du roi, il faut encore quelquun qui vous prsente.
Oui, dit madame de Gumne, quelque chose comme une marraine, par exemple.
Mais tout le monde na pas une marraine, dit madame de Mirepoix, tmoin la belle Bourbonnaise, qui en cherche une et qui nen trouve pas.
Et elle se mit fredonner:
Ah! marchale, marchale, dit le duc de Richelieu, laissez donc tout lhonneur de son rcit madame la duchesse.
Voyons, voyons, duchesse, dit Madame Victoire, voil que vous nous avez fait venir leau la bouche, et que vous nous laissez l en chemin.
Pas du tout; je tiens au contraire raconter mon histoire jusquau bout. Nayant pas de marraine, on en chercha une. Cherchez, et vous trouverez, dit lvangile. On chercha si bien quon trouva; mais quelle marraine, bon Dieu! Une bonne femme de campagne, toute nave, toute candide. On la tira de son colombier, on la mijota, on la dorlota, on la para.
Cest faire frmir, dit madame de Gumne.
Mais, tout coup, voil que, quand la provinciale est bien mijote, bien dorlote, bien pare, elle tombe du haut en bas de son escalier
Eh? dit M. de Richelieu.
dit la duchesse, ajoutant un vers de circonstance aux deux vers de la marchale de Mirepoix.
De sorte, dit madame de Gumne, que de prsentation?
Pas lombre, ma chre.
Ce que cest que la Providence! dit le marchal en levant les deux mains au ciel.
Pardon, dit Madame Victoire; mais je plains fort la pauvre provinciale, moi.
Au contraire, madame, dit la duchesse, flicitez-la; de deux maux, elle a choisi le moindre.
La duchesse sarrta court: elle venait de rencontrer un second regard du roi.
Mais de qui donc venez-vous de parler, duchesse? reprit le marchal faisant semblant de chercher quelle tait la personne dont il pouvait tre question.
Ma foi, lon ne ma pas dit le nom.
Quel malheur! dit le marchal.
Mais jai devin; faites comme moi.
Si les dames prsentes taient courageuses et fidles aux principes dhonneur de la vieille noblesse de France, dit madame de Gumne avec amertume, elles iraient toutes sinscrire chez la provinciale qui a eu lide sublime de se casser la jambe.
Ah! ma foi, oui, dit Richelieu, voil une ide. Mais il faudrait savoir comment sappelle cette excellente dame qui nous sauve dun si grand danger; car nous navons plus rien craindre, nest-ce pas, chre duchesse?
Oh! plus rien, je vous en rponds; elle est sur son lit, la jambe empaquete et incapable de faire un seul pas.
Mais, dit madame de Gumne, si cette femme allait trouver une autre marraine? Elle est fort remuante.
Oh! il ny a rien craindre; cela ne se trouve pas comme cela, les marraines.
Peste! je le crois bien, dit le marchal en grignotant une de ces pastilles merveilleuses auxquelles il devait, prtendait-on, son ternelle jeunesse.
En ce moment, le roi fit un mouvement pour se rapprocher. Chacun se tut.
Alors la voix du roi, si claire et si connue, retentit dans le salon:
Adieu, mesdames. Bonsoir, messieurs.
Chacun se leva aussitt, et il se fit un grand mouvement dans la galerie.
Le roi fit quelques pas vers la porte; puis se retournant au moment de sortir:
propos, dit-il, il y aura demain prsentation Versailles.
Ces paroles tombrent comme la foudre sur lassemble.
Le roi promena son regard sur le groupe des femmes qui plissaient en sentre-regardant.
Puis il sortit sans rien ajouter.
Mais peine eut-il franchi le seuil du salon avec le nombreux cortge de gentilshommes de son service et de sa suite, que lexplosion se fit parmi les princesses et les personnes demeures aprs son dpart.
Une prsentation! balbutia la duchesse de Grammont devenue livide. Qua donc voulu dire Sa Majest?
Eh! duchesse, fit le marchal avec un de ces sourires que ne lui pardonnaient pas ses meilleurs amis, est-ce que cette prsentation serait la vtre, par hasard?
Mesdames se mordaient les lvres avec dpit.
Oh! impossible! rpondait sourdement madame de Grammont.