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coutez donc, duchesse, dit le marchal, on remet si bien les jambes aujourdhui.

M. de Choiseul sapprocha de sa sur et lui pressa le bras en signe davertissement; mais la comtesse tait trop profondment blesse pour rien couter.

Ce serait une indignit! scria-t-elle.

Oui, une indignit! rpta madame de Gumne.

M. de Choiseul vit quil ny avait rien faire, il sloigna.

Oh! Mesdames, scria la duchesse sadressant aux trois filles du roi, nous navons plus de ressources quen vous. Vous, les premires dames du royaume, souffrirez-vous que nous soyons exposes trouver dans le seul asile inviolable des dames de qualit, une socit dont ne voudraient pas nos filles de chambre?

Mais les princesses, au lieu de rpondre, baissrent tristement la tte.

Mesdames, au nom du ciel! rpta la duchesse.

Le roi est le matre, dit Madame Adlade en soupirant.

Cest assez juste, dit le duc de Richelieu.

Mais alors toute la cour de France est compromise! scria la duchesse. Ah! messieurs, que vous avez peu de souci pour lhonneur de vos familles!

Mesdames, dit M. de Choiseul en essayant de rire, comme ceci tourne la conspiration, vous trouverez bon que je me retire, et quen me retirant jemmne M. de Sartine. Venez-vous, duc? continua M. de Choiseul en sadressant au marchal.

Oh! ma foi, non! dit le marchal, jadore les conspirations, moi; je reste.

M. de Choiseul se droba, emmenant M. de Sartine.

Les quelques hommes qui se trouvaient encore l suivirent leur exemple.

Il ne resta autour des princesses que madame de Grammont, madame de Gumne, madame dAyen, madame de Mirepoix, madame de Polastron et huit ou dix des femmes qui avaient embrass avec le plus dardeur la querelle de la prsentation.

M. de Richelieu tait le seul homme.

Les dames le regardaient avec inquitude, comme on et fait dun Troyen dans le camp des Grecs.

Je reprsente ma fille, la comtesse dEgmont; allez, dit-il, allez.

Mesdames, dit la duchesse de Grammont, il y a un moyen de protester contre linfamie que lon veut nous imposer, et, pour ma part, jemploierai ce moyen.

Quel est-il? demandrent en mme temps toutes les femmes.

On nous a dit, reprit madame de Grammont: Le roi est le matre.

Et jai rpondu: Cest juste, dit le duc.

Le roi est matre chez lui, cest vrai; mais chez nous, nous sommes matresses. Or, qui peut mempcher, ce soir, de dire mon cocher: Chanteloup, au lieu de lui dire: Versailles?

Cest vrai, dit M. de Richelieu; mais quand vous aurez protest, duchesse, quen rsultera-t-il?

Il en rsultera quon rflchirait bien davantage encore, scria madame de Gumne, si beaucoup vous imitaient, madame.

Et pourquoi nimiterions-nous pas toutes la duchesse? dit la marchale de Mirepoix.

Oh! Mesdames, dit alors la duchesse en sadressant de nouveau aux filles du roi; oh! le bel exemple donner la cour, vous, filles de France!

Le roi nous en voudrait-il? dit Madame Sophie.

Non, non! que Vos Altesses en soient certaines! scria la haineuse duchesse. Non; lui qui a un sens exquis, un tact parfait, il vous en serait reconnaissant, au contraire. Le roi, croyez-moi, ne violente personne.

Au contraire, dit le duc de Richelieu faisant, pour la deuxime ou troisime fois, allusion une invasion que madame de Grammont avait faite, dit-on, un soir, dans la chambre du roi; cest lui quon violente, cest lui quon prend de force.

Il y eut en ce moment, ces paroles, dans les rangs des dames, un mouvement pareil celui qui sopre dans une compagnie de grenadiers quand une bombe clate.

Enfin, on se remit.

Le roi na rien dit, cest vrai, lorsque nous avons ferm notre porte la comtesse, dit Madame Victoire enhardie et chauffe par le bouillonnement de lassemble; mais il se pourrait que, dans une occasion si solennelle

Oui, oui, sans doute, insista madame de Grammont, bien certainement cela pourrait tre ainsi, si vous seules, Mesdames, lui faisiez dfaut; mais quand on verra que nous manquons toutes.

Toutes! scrirent les femmes.

Oui, toutes, rpta le vieux marchal.

Ainsi vous tes du complot? demanda Madame Adlade.

Certainement que jen suis, et cest pour cela que je demanderai la parole.

Parlez, duc, parlez, dit madame de Grammont.

Procdons mthodiquement, dit le duc; ce nest pas le tout que de crier: Toutes, toutes! Telle crie tue-tte: Je ferai ceci! qui, le moment venu, fera justement le contraire; or comme je suis du complot, ainsi que je viens davoir lhonneur de vous le dire, je ne me soucie pas dtre abandonn, comme je le fus chaque fois que je complotais sous le feu roi, ou sous la Rgence.

En vrit, duc, dit ironiquement la duchesse de Grammont, ne dirait-on pas que vous oubliez o vous tes? Dans le pays des Amazones, vous vous donnez des airs de chef!

Madame, dit le duc, je vous prie de croire que jaurais quelque droit ce rang que vous me disputez; vous hassez plus madame du Barry bon! voil que jai dit le nom prsent, mais personne ne la entendu, nest-ce pas? vous hassez plus madame du Barry que moi, mais je suis plus compromis que vous.

Vous, compromis, duc? demanda la marchale de Mirepoix.

Oui, compromis, et horriblement encore; il y a huit jours que je nai t Versailles; cest au point que, hier, la comtesse a fait passer au pavillon de Hanovre pour demander si jtais malade, et vous savez ce que Raft a rpondu: que je me portais si bien, que je ntais pas rentr depuis la veille. Mais jabandonne mes droits, je nai pas dambition, je vous laisse le premier rang, et mme je vous y porte. Vous avez tout mis en branle, vous tes le boute-feu, vous rvolutionnez les consciences, vous le bton de commandement.

Aprs Mesdames, dit respectueusement la duchesse.

Oh! laissez-nous le rle passif, dit Madame Adlade. Nous allons voir notre sur Louise Saint-Denis; elle nous retient, nous ne revenons pas, il ny a rien dire.

Rien absolument, dit le duc, ou il faudrait avoir lesprit bien mal fait.

Moi, dit la duchesse, je fais mes foins Chanteloup.

Bravo! scria le duc; la bonne heure, voil une raison!

Moi, dit la princesse de Gumne, jai un enfant malade, et je prends la robe de chambre pour soigner mon enfant.

Moi, dit madame de Polastron, je me sens tout tourdie ce soir, et serais capable de faire une maladie dangereuse si Tronchin ne me saignait pas demain.

Et moi, dit majestueusement la marchale de Mirepoix, je ne vais pas Versailles, parce que je ny vais pas; voil ma raison, le libre arbitre!

Bien, bien, dit Richelieu, tout cela est plein de logique; mais il faut jurer.

Comment! il faut jurer?

Oui, lon jure toujours dans les conjurations; depuis la conspiration de Catilina jusqu celle de Cellamare, dont javais lhonneur de faire partie, on a toujours jur; elles nen ont pas mieux tourn, cest vrai, mais respect lhabitude. Jurons donc! cest trs solennel, vous allez voir.

Il tendit la main au milieu du groupe de femmes et dit majestueusement:

Je le jure.

Toutes les femmes rptrent le serment, lexception de Mesdames, qui staient clipses.

Maintenant cest fini, dit le duc; quand une fois on a fait serment dans les conjurations, on ne fait plus rien.

Oh! quelle fureur quand elle se trouvera seule au salon! scria madame de Grammont.

Hum! le roi nous exilera bien un peu, dit Richelieu.

Eh! duc, scria madame de Gumne, que deviendra la cour si lon nous exile? Nattend-on pas Sa Majest Danoise? que lui montrera-t-on? Nattend-on pas Son Altesse la dauphine? qui la montrera-t-on?

Et puis on nexile pas toute une cour; on choisit.

Je sais bien que lon choisit, dit Richelieu, et mme je suis chanceux, moi, lon me choisit toujours; on ma dj choisi quatre fois; car, de bon compte, jen suis ma cinquime conspiration, mesdames.

Bon! ne croyez pas cela, duc, dit madame de Grammont; cest moi que lon sacrifiera.