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Ou M. de Choiseul, ajouta le marchal; prenez garde, duchesse!

M. de Choiseul est comme moi: il subira une disgrce, mais ne souffrira pas un affront.

Ce ne sera ni vous, duc, ni vous, duchesse, ni M. de Choiseul, quon exilera, dit la marchale de Mirepoix; ce sera moi. Le roi ne pourra me pardonner dtre moins obligeante pour la comtesse que je ne ltais pour la marquise.

Cest vrai, dit le duc, vous quon a toujours appele la favorite de la favorite. Pauvre marchale! on nous exilera ensemble!

On nous exilera toutes, dit madame de Gumne en se levant; car jespre bien que nulle de nous ne reviendra sur la dtermination prise.

Et sur la promesse jure, dit le duc.

Oh! et puis, dit madame de Grammont, tout hasard, je me mettrai en mesure, moi!

Vous? dit le duc.

Oui. Pour tre demain Versailles dix heures, il lui faut trois choses.

Lesquelles?

Un coiffeur, une robe, un carrosse.

Sans doute.

Eh bien?

Eh bien! elle ne sera pas Versailles dix heures; le roi simpatientera; le roi congdiera, et la prsentation sera remise aux calendes grecques, vu larrive de madame la dauphine.

Un hourra dapplaudissements et de bravos accueillit ce nouvel pisode de la conjuration; mais tout en applaudissant plus haut que les autres, M. de Richelieu et madame de Mirepoix changrent un coup dil.

Les deux vieux courtisans staient rencontrs dans lintelligence dune mme pense.

onze heures, tous les conjurs senvolaient sur la route de Versailles et de Saint-Germain, clairs par une admirable lune.

Seulement, M. de Richelieu avait pris le cheval de son piqueur, et tandis que son carrosse, stores ferms, courait ostensiblement sur la route de Versailles, il gagnait Paris fond de train par une route de traverse.

Chapitre 37. Ni coiffeur, ni robe, ni carrosse

Il et t de mauvais got que madame du Barry partt de son appartement de Versailles pour se rendre la grande salle des prsentations.

Dailleurs, Versailles tait bien pauvre de ressources dans un jour aussi solennel.

Enfin, mieux que tout cela, ce ntait point lhabitude. Les lus arrivaient avec un fracas dambassadeur, soit de leur htel de Versailles, soit de leur maison de Paris.

Madame du Barry choisit ce dernier point de dpart.

Ds onze heures du matin, elle tait arrive rue de Valois avec madame de Barn, quelle tenait sous ses verrous quand elle ne la tenait point sous son sourire, et dont on rafrachissait chaque instant la blessure avec tout ce que fournissaient de secrets la mdecine et la chimie.

Depuis la veille, Jean du Barry, Chon et Dore taient luvre, et qui ne les avait pas vus cette uvre se ft fait difficilement une ide de linfluence de lor et de la puissance du gnie humain.

Lune sassurait du coiffeur, lautre harcelait les couturires. Jean, qui avait le dpartement des carrosses, se chargeait en outre de surveiller couturires et coiffeurs. La comtesse, occupe de fleurs, de diamants, de dentelles, nageait dans les crins, et recevait dheure en heure des courriers de Versailles qui lui disaient que lordre avait t donn dclairer le salon de la reine, et que rien ntait chang.

Vers quatre heures, Jean du Barry rentra ple, agit, mais joyeux.

Eh bien? demanda la comtesse.

Eh bien! tout sera prt.

Le coiffeur?

Jai trouv Dore chez lui. Nous sommes convenus de nos faits. Je lui ai gliss dans la main un bon de cinquante louis. Il dnera ici six heures prcises, nous pouvons donc tre tranquilles de ce ct-l.

La robe?

La robe sera merveilleuse. Jai trouv Chon qui la surveillait; vingt-six ouvrires y cousent les perles, les rubans et les garnitures. On aura ainsi fait l par l ce travail prodigieux, qui et cot huit jours dautres que nous.

Comment, l par l? fit la comtesse.

Oui, petite sur. Il y a treize ls dtoffe. Deux ouvrires pour chaque l: lune prend gauche, lautre prend droite chaque l quelles ornent dapplications et de pierreries, de sorte quon nassemblera quau dernier moment. Cest laffaire de deux heures encore. six heures du soir, nous aurons la robe.

Vous en tes sur, Jean?

Jai fait hier le calcul des points avec mon ingnieur. Il y a dix mille points par l; cinq mille par chaque ouvrire. Dans cette paisse toffe, une femme ne peut pas coudre plus dun point en cinq secondes; cest douze par minute, sept cent vingt par heure, sept mille deux cents en dix heures. Je laisse les deux mille deux cents pour les repos indispensables et les fausses piqres, et nous avons encore quatre heures de bon.

Et le carrosse?

Oh! quant au carrosse, vous savez que jen ai rpondu; le vernis sche dans un grand magasin chauff exprs cinquante degrs. Cest un charmant vis--vis, prs duquel, je vous en rponds, les carrosses envoys au-devant de la dauphine sont bien peu de chose. Outre les armoiries qui forment le fond des quatre panneaux, avec le cri de guerre des du Barry: Bouts en avant! sur les deux panneaux de ct jai fait peindre, dune part, deux colombes qui se caressent, et de lautre, un cur perc dune flche. Le tout enrichi darcs, de carquois et de flambeaux. Il y a queue chez Francian pour le voir; huit heures prcises, il sera ici.

En ce moment Chon et Dore rentrrent. Elles venaient confirmer tout ce quavait dit Jean.

Merci, mes braves lieutenants, dit la comtesse.

Petite sur, fit Jean, vous avez les yeux battus; dormez une heure, cela vous remettra.

Dormir? Ah bien, oui! Je dormirai cette nuit, et beaucoup nen pourront pas dire autant.

Pendant que ces prparatifs se faisaient chez la comtesse, le bruit de la prsentation courait par la ville. Tout dsuvr quil est et tout indiffrent quil parat, le peuple parisien est le plus nouvelliste de tous les peuples. Nul na mieux connu les personnages de la cour et leurs intrigues que le badaud du dix-huitime sicle, celui-l mme qui ntait admis aucune fte dintrieur, qui ne voyait que les panneaux hiroglyphiques des carrosses et les mystrieuses livres des laquais coureurs de nuit. Il ntait point rare alors que tel ou tel seigneur de la cour ft connu de tout Paris; ctait simple: au spectacle, aux promenades, la cour jouait le principal rle. Et M. de Richelieu, sur son tabouret de la scne italienne, madame du Barry, dans son carrosse clatant comme celui dune reine, posaient autant devant le public quun comdien aim ou quune actrice favorite de nos jours.

On sintresse bien plus aux visages que lon connat. Tout Paris connaissait madame du Barry, ardente se montrer au thtre, la promenade, dans les magasins, comme les femmes riches, jeunes et belles. Puis il la connaissait encore par ses portraits, par ses caricatures, par Zamore. Lhistoire de la prsentation occupait donc Paris presque autant quelle occupait la cour. Ce jour-l, il y eut encore rassemblement la place du Palais-Royal, mais nous en demandons bien pardon la philosophie, ce ntait point pour voir M. Rousseau jouant aux checs au caf de la Rgence, ctait pour voir la favorite dans son beau carrosse et dans sa belle robe, dont il avait t tant parl. Le mot de Jean du Barry: Nous cotons cher la France, tait profond, et il tait tout simple que la France, reprsente par Paris, voult jouir du spectacle quelle payait si cher.

Madame du Barry connaissait parfaitement son peuple; car le peuple franais fut bien plus son peuple quil navait t celui de Marie Leckzinska. Elle savait quil aimait tre bloui; et comme elle tait dun bon caractre, elle travaillait ce que le spectacle ft en proportion de la dpense, Au lieu de se coucher, comme le lui avait conseill son beau-frre, elle prit de cinq six heures un bain de lait; puis enfin, six heures, elle se livra ses femmes de chambre, en attendant larrive du coiffeur.

Il ny a pas drudition faire propos dune poque si bien connue de nos jours, quon pourrait presque la dire contemporaine, et que la plupart de nos lecteurs savent aussi bien que nous. Mais il ne sera pas dplac dexpliquer, en ce moment surtout, ce quune coiffure de madame du Barry devait coter de soins, de temps et dart.