Выбрать главу

Quon se figure un difice complet. Le prlude de ces chteaux que la cour du jeune roi Louis XVI se btissait tout crnels sur la tte, comme si tout, cette poque, et d tre un prsage, comme si la mode frivole, cho des passions sociales qui creusaient la terre sous les pas de tout ce qui tait ou de tout ce qui paraissait grand, avait dcrt que les femmes de laristocratie avaient trop peu de temps jouir de leurs titres pour ne pas les afficher sur leur front; comme si, prdiction plus sinistre encore, mais non moins juste, elle leur et annonc quayant peu de temps garder leurs ttes, elles devaient les orner jusqu lexagration et les lever le plus possible au dessus des ttes vulgaires.

Pour natter ces beaux cheveux, les relever autour dun coussin de soie, les enrouler sur des moules de baleine, les diaprer de pierreries, de perles, de fleurs, les saupoudrer de cette neige qui donnait aux yeux le brillant, au teint la fracheur; pour rendre harmonieux, enfin, ces tons de chair, de nacre, de rubis, dopale, de diamants, de fleurs omnicolores et multiformes, il fallait tre non seulement un grand artiste, mais encore un homme patient.

Aussi, seuls de tous les corps de mtiers, les perruquiers portaient lpe comme les statuaires.

Voil ce qui explique les cinquante louis donns par Jean du Barry au coiffeur de la cour, et la crainte que le grand Lubin, le coiffeur de la cour cette poque se nommait Lubin, et la crainte, disons-nous, que le grand Lubin ne ft moins exact ou moins adroit quon ne lesprait.

Ces craintes ne furent bientt que trop justifies: six heures sonnrent, le coiffeur ne parut point; puis six heures et demie, puis sept heures moins un quart. Une seule chose rendait un peu desprance tous ces curs haletants, cest quun homme de la valeur de M. Lubin devait naturellement se faire attendre.

Mais sept heures sonnrent; le vicomte craignit que le dner prpar pour le coiffeur ne refroidt, et que cet artiste ne ft pas satisfait. Il envoya donc chez lui un grison pour le prvenir que le potage tait servi.

Le laquais revint un quart dheure aprs.

Ceux qui ont attendu en pareille circonstance savent seuls ce quil y a de secondes dans un quart dheure.

Le laquais avait parl madame Lubin elle-mme, laquelle avait assur que M. Lubin venait de sortir, et que sil ntait dj rendu lhtel, on pouvait tre assur du moins quil tait en route.

Bon, dit du Barry, il aura trouv quelque embarras de voitures. Attendons.

Dailleurs, il ny a rien de compromis encore, dit la comtesse, je puis tre coiffe demi habille; la prsentation na lieu qu dix heures prcises. Nous avons encore trois heures devant nous et il ne nous en faut quune pour aller Versailles. En attendant, Chon, montre-moi ma robe, cela me distraira. Eh bien! o est donc Chon? Chon! ma robe, ma robe!

La robe de madame nest pas encore arrive, dit Dore, et la sur de madame la comtesse est partie, il y a dix minutes, pour laller qurir elle mme.

Ah! dit du Barry, jentends un bruit de roues, cest sans doute notre carrosse quon amne.

Le vicomte se trompait: ctait Chon qui rentrait dans son carrosse, attel de deux chevaux ruisselants de sueur.

Ma robe! cria la comtesse, alors que Chon tait encore dans le vestibule; ma robe!

Est-ce quelle nest pas arrive? demanda Chon tout effare.

Non.

Ah bien, elle ne peut tarder, continua-t-elle en se rassurant, car la faiseuse, quand je suis monte chez elle, venait de partir en fiacre avec deux de ses ouvrires pour apporter et essayer la robe.

En effet, dit Jean, elle demeure rue du Bac, et le fiacre a d marcher moins vite que nos chevaux.

Oui, oui, assurment, dit Chon, qui ne pouvait cependant se dfendre dune certaine inquitude.

Vicomte, dit madame du Barry, si vous envoyiez toujours chercher le carrosse? que nous nattendions pas de ce ct-l, au moins.

Vous avez raison, Jeanne.

Et du Barry ouvrit la porte.

Quon aille chercher le carrosse chez Francian, dit-il, et cela avec les chevaux neufs, afin quils se trouvent tout attels.

Le cocher et les chevaux partirent.

Comme le bruit de leurs pas commenait se perdre dans la direction de la rue Saint-Honor, Zamore entra avec une lettre.

Lettre pour matresse Barry, dit-il.

Qui la apporte?

Un homme.

Comment, un homme! Quel homme?

Un homme cheval.

Et pourquoi te la-t-il remise, toi?

Parce que Zamore tait la porte.

Mais lisez, comtesse, lisez, plutt que de questionner, scria Jean.

Vous avez raison, vicomte.

Pourvu que cette lettre ne contienne rien de fcheux, murmura le vicomte.

Eh! non, dit la comtesse, quelque placet pour Sa Majest.

Le billet nest pas pli en forme de placet.

En vrit, vicomte, vous ne mourrez que de peur, dit la comtesse en souriant.

Et elle brisa le cachet.

Aux premires lignes, elle poussa un horrible cri, et tomba sur son fauteuil demi expirante.

Ni coiffeur, ni robe, ni carrosse! dit-elle.

Chon slana vers la comtesse, Jean se prcipita sur la lettre.

Elle tait dune criture droite et menue: ctait videmment une criture de femme.

Madame, disait la lettre, mfiez-vous: ce soir, vous naurez ni coiffeur, ni robe, ni carrosse.

Jespre que cet avis vous parviendra en temps utile.

Pour ne point forcer votre reconnaissance, je ne me nomme point. Devinez-moi si vous voulez connatre une sincre amie.

Ah! voil le dernier coup! scria du Barry au dsespoir. Sang bleu! il faut que je tue quelquun. Pas de coiffeur! Par la mort! jventrerai ce bltre de Lubin. Mais cest quen effet voil sept heures et demie qui sonnent, et il narrive pas. Ah! damnation! maldiction!

Et du Barry, qui ntait pas prsent ce soir-l, sen prit ses cheveux, quil fourragea indignement.

Cest la robe! mon Dieu! cest la robe! scria Chon. Un coiffeur, on en trouverait encore.

Oh! je vous en dfie! Quels coiffeurs trouverez-vous? Des massacres! Ah! tonnerre! ah! carnage! ah! mille lgions du diable!

La comtesse ne disait rien, mais elle poussait des soupirs qui eussent attendri les Choiseul eux-mmes, sils eussent pu les entendre.

Voyons, voyons, un peu de calme, dit Chon. Cherchons un coiffeur, retournons chez la faiseuse, pour savoir ce quest devenue la robe.

Pas de coiffeur! murmurait la comtesse mourante, pas de robe! pas de carrosse!

Cest vrai, pas de carrosse! scria Jean; il ne vient pas non plus, le carrosse, et cependant, il devrait tre ici. Oh! cest un complot, comtesse. Est-ce que Sartine nen fera pas arrter les auteurs? est-ce que Maupeou ne les fera pas pendre? est-ce quon ne brlera pas les complices en Grve? Je veux faire rouer le coiffeur, tenailler la couturire, corcher le carrossier.

Pendant ce temps, la comtesse tait revenue elle, mais ctait pour mieux sentir lhorreur de sa position.

Oh! pour cette fois, je suis perdue, murmurait-elle; les gens qui ont gagn Lubin sont assez riches pour avoir loign tous les bons coiffeurs de Paris. Il ne se trouvera plus que des nes qui me hacheront les cheveux Et ma robe! pauvre robe! Et mon carrosse tout neuf qui devait les faire toutes crever de jalousie!

Du Barry ne rpondait rien, il roulait des yeux terribles et sallait heurter tous les angles de la chambre, et chaque fois quil rencontrait un meuble, il le brisait en morceaux, puis, si les morceaux lui paraissaient encore trop gros, il les brisait en plus petits.

Au milieu de cette scne de dsolation, qui du boudoir stait rpandue dans les antichambres et des antichambres dans la cour, tandis que les laquais, ahuris par vingt ordres diffrents et contradictoires, allaient, venaient, couraient, se heurtaient, un jeune homme en habit vert-pomme et veste de satin, en culotte lilas et en bas de soie blancs, descendait dun cabriolet, franchissait le seuil abandonn de la porte de la rue, traversait la cour, bondissant de pav en pav sur les orteils, montait lescalier et venait frapper la porte du cabinet de toilette.