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Mais cest un attentat, cela! cria Chon. Mais remuez-vous donc, mon frre!

Me remuer, moi! et pourquoi faire?

Mais pour nous trouver une voiture; il ny a ici que des chevaux reints et des carrosses sales. Jeanne ne peut pas aller Versailles dans de pareilles brouettes.

Bah! dit du Barry, celui qui met un frein la fureur des flots, qui donne la pture aux oisillons, qui envoie un coiffeur comme monsieur, une robe comme celle-l, ne nous laissera pas en chemin faute dun carrosse.

Eh! tenez, dit Chon, en voil un qui roule.

Et qui sarrte mme, reprit du Barry.

Oui, mais il nentre pas, dit la comtesse.

Il nentre pas, cest cela! dit Jean.

Puis, sautant la fentre, quil ouvrit:

Courez, mordieu! cria-t-il, courez, ou vous arriverez trop tard. Alerte! alerte! que nous connaissions au moins notre bienfaiteur.

Les valets, les piqueurs, les grisons, se prcipitrent, mais il tait dj trop tard. Un carrosse doubl de satin blanc, et attel de deux magnifiques chevaux bais, tait devant la porte.

Mais de cocher, mais de laquais, pas de traces; un simple commissionnaire maintenait les chevaux par le mors.

Le commissionnaire avait reu six livres de celui qui les avait amens et qui stait enfui du ct de la cour des Fontaines.

On interrogea les panneaux; mais une main rapide avait remplac les armoiries par une rose.

Toute cette contrepartie de la msaventure navait pas dur une heure.

Jean fit entrer le carrosse dans la cour, ferma la porte sur lui et prit la clef de la porte. Puis il remonta dans le cabinet de toilette o le coiffeur sapprtait donner la comtesse les premires preuves de sa science.

Monsieur! scria-t-il en saisissant le bras de Lonard, si vous ne nous nommez pas notre gnie protecteur, si vous ne le signalez pas notre reconnaissance ternelle, je jure

Prenez garde, monsieur le vicomte, interrompit flegmatiquement le jeune homme, vous me faites lhonneur de me serrer le bras si fort, que jaurai la main tout engourdie quand il sagira de coiffer madame la comtesse; or, nous sommes presss, voici huit heures et demie qui sonnent.

Lchez! Jean, lchez! cria la comtesse.

Jean retomba dans un fauteuil.

Miracle! dit Chon, miracle! la robe est dune mesure parfaite un pouce de trop long par devant, voil tout; mais dans dix minutes le dfaut sera corrig.

Et le carrosse, comment est-il? prsentable? demanda la comtesse.

Du plus grand got Je suis mont dedans, rpondit Jean; il est garni de satin blanc, et parfum dessence de rose.

Alors tout va bien! cria madame du Barry en frappant ses petites mains lune contre lautre. Allez, monsieur Lonard, si vous russissez, votre fortune est faite.

Lonard ne se le fit pas dire deux fois; il sempara de la tte de madame du Barry, et, au premier coup de peigne, il rvla un talent suprieur.

Rapidit, got, prcision, merveilleuse entente des rapports du moral avec le physique, il dploya tout dans laccomplissement de cette importante fonction.

Au bout de trois quarts dheure madame du Barry sortit de ses mains, plus sduisante que la desse Aphrodite; car elle tait beaucoup moins nue, et ntait pas moins belle.

Lorsquil eut donn le dernier tour cet difice splendide, lorsquil en eut prouv la solidit, lorsquil eut demand de leau pour ses mains et humblement remerci Chon, qui, dans sa joie, le servait comme un monarque, il voulut se retirer.

Ah! monsieur, dit du Barry, vous saurez que je suis aussi entt dans mes amours que dans mes haines. Jespre donc maintenant que vous voudrez bien me dire qui vous tes.

Vous le savez dj, monsieur; je suis un jeune homme qui dbute et je mappelle Lonard.

Qui dbute? Sang bleu! vous tes pass matre, monsieur.

Vous serez mon coiffeur, monsieur Lonard, dit la comtesse en se mirant dans une petite glace main, et je vous payerai chaque coiffure de crmonie cinquante louis. Chon, compte cent louis monsieur pour la premire, il y en aura cinquante de denier Dieu.

Je vous le disais bien, madame, que vous feriez ma rputation.

Mais vous ne coifferez que moi

Alors gardez vos cent louis, madame, dit Lonard; je veux ma libert, cest elle que je dois davoir eu lhonneur de vous coiffer aujourdhui. La libert est le premier des biens de lhomme.

Un coiffeur philosophe! scria du Barry en levant les deux mains au ciel; o allons-nous, Seigneur mon Dieu! o allons-nous? Eh bien! mon cher monsieur Lonard, je ne veux pas me brouiller avec vous, prenez vos cent louis, et gardez votre secret et votre libert En voiture, comtesse, en voiture!

Ces mots sadressaient madame de Barn, qui entrait raide et pare comme une chsse, et quon venait de tirer de son cabinet juste au moment de sen servir.

Allons, allons, dit Jean, quon prenne madame quatre et quon la porte doucement au bas des degrs. Si elle pousse un seul soupir, je vous fais triller.

Pendant que Jean surveillait cette dlicate et importante manuvre, dans laquelle Chon le secondait en qualit de lieutenant, madame du Barry cherchait des yeux Lonard.

Lonard avait disparu.

Mais par o donc est-il pass? murmura madame du Barry, encore mal revenue de tous les tonnements successifs quelle venait dprouver.

Par o il est pass? Mais par le parquet ou par le plafond; cest par l que passent les gnies. Maintenant, comtesse, prenez bien garde que votre coiffure ne devienne un pt de grives, que votre robe ne se change en toile daraigne, et que nous narrivions Versailles dans un potiron tran par deux rats!

Ce fut sur lnonciation de cette dernire crainte que le vicomte Jean monta son tour dans le carrosse, o avaient dj pris place madame la comtesse de Barn et sa bienheureuse filleule.

Chapitre 38. La prsentation

Versailles, comme tout ce qui est grand, est et sera toujours beau.

Que la mousse ronge ses pierres abattues, que ses dieux de plomb, de bronze ou de marbre, gisent disloqus dans ses bassins sans eau, que ses grandes alles darbres taills sen aillent cheveles vers le ciel, il y aura toujours, ft-ce dans les ruines, un spectacle pompeux et saisissant pour le rveur ou pour le pote qui, du grand balcon, regardera les horizons ternels aprs avoir regard les splendeurs phmres.

Mais ctait surtout dans sa vie et dans sa gloire que Versailles tait splendide voir. Quand un peuple sans armes, contenu par un peuple de soldats brillants, battait de ses flots les grilles dores; quand les carrosses de velours, de soie et de satin, aux fires armoiries, roulaient sur le pav sonore, au galop de leurs chevaux fringants; quand toutes les fentres, illumines comme celles dun palais enchant, laissaient voir un monde resplendissant de diamants, de rubis, de saphirs, que le geste dun seul homme courbait comme fait le vent dpis dor entremls de blanches marguerites, de coquelicots de pourpre et de bluets dazur; oui, Versailles tait beau, surtout quand il lanait par toutes ses portes des courriers toutes les puissances, et quand les rois, les princes, les seigneurs, les officiers, les savants du monde civilis foulaient ses riches tapis et ses mosaques prcieuses.

Mais ctait surtout lorsquil se parait pour une grande crmonie, quand les somptuosits du garde-meuble et les grandes illuminations doublaient la magie de ses richesses, que Versailles avait de quoi fournir aux esprits les plus froids une ide de tous les prodiges que peuvent enfanter limagination et la puissance humaines.

Telle tait la crmonie de rception dun ambassadeur, telle aussi, pour les simples gentilshommes, la crmonie de la prsentation. Louis XIV, crateur de ltiquette, qui renfermait chacun dans un espace infranchissable, avait voulu que linitiation aux splendeurs de sa vie royale frappt les lus dune telle vnration, que jamais ils ne considrassent le palais du roi que comme un temple dans lequel ils avaient le droit de venir adorer le dieu couronn une place plus ou moins prs de lautel.