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La comtesse tressaillit et regarda le duc plus fixement encore; mais le duc restait souriant et impntrable.

Mais pardon, comtesse, je vous ai interrompue; vous parliez de piges?

Oui; aprs mavoir vol mon coiffeur, on ma soustrait ma robe, une robe charmante.

Oh! voil qui est odieux: mais, de fait, vous pouviez vous passer de celle quon vous a soustraite; car je vous vois habille dune toffe miraculeuse Cest de la soie de Chine, nest-ce pas, avec des fleurs appliques? Eh bien! si vous vous fussiez adresse moi dans votre embarras, comme il faut le faire lavenir, je vous eusse envoy la robe que ma fille avait fait faire pour sa prsentation, et qui tait tellement pareille celle-ci, que je jurerais que cest la mme.

Madame du Barry saisit les deux mains du duc, car elle commenait comprendre quel tait lenchanteur qui lavait tire dembarras.

Savez-vous dans quelle voiture je suis venue, duc? lui dit-elle.

Non; dans la vtre, probablement.

Duc, on mavait enlev ma voiture, comme ma robe, comme mon coiffeur.

Mais ctait donc un guet-apens gnral? Dans quelle voiture tes-vous donc venue?

Dites-moi dabord comment est la voiture de madame dEgmont?

Ma foi, je crois que, dans la prvision de cette soire, elle stait command une voiture double de satin blanc. Mais on na pas eu le temps dy peindre ses armes.

Oui? nest-ce pas, une rose est bien plus vite faite quun cusson. Les Richelieu et les dEgmont ont des armes fort compliques. Tenez, duc, vous tes un homme adorable.

Et elle lui tendit ses deux mains, dont le vieux courtisan fit un masque tide et parfum.

Tout coup, au milieu des baisers dont il les couvrait, le duc sentit tressaillir les mains de madame du Barry.

Quest-ce? demanda-t-il en regardant autour de lui.

Duc, dit la comtesse avec un regard gar.

Eh bien?

Quel est donc cet homme, l-bas, prs de M. de Gumne?

Cet habit dofficier prussien?

Oui.

Cet homme brun, aux yeux noirs, la figure expressive? Comtesse, cest quelque officier suprieur que Sa Majest le roi de Prusse envoie ici sans doute pour faire honneur votre prsentation.

Ne riez pas, duc; cet homme est dj venu en France il y a trois ou quatre ans; cet homme, que je navais pas pu retrouver, que jai cherch partout, je le connais.

Vous faites erreur, comtesse; cest le comte de Fnix, un tranger, arriv dhier ou davant-hier seulement.

Voyez comme il me regarde, duc!

Tout le monde vous regarde, madame; vous tes si belle!

Il me salue, il me salue, voyez-vous!

Tout le monde vous saluera, si tous ne vous ont dj salue, comtesse.

Mais la comtesse, en proie une motion extraordinaire, ncoutait point les galanteries du duc, et, les yeux rivs sur lhomme qui avait captiv son attention, elle quitta, comme malgr elle, son interlocuteur pour faire quelques pas vers linconnu.

Le roi, qui ne la perdait pas de vue, remarqua ce mouvement; il crut quelle rclamait sa prsence, et, comme il avait assez longtemps gard les biensances en se tenant loign delle, il sapprocha pour la fliciter.

Mais la proccupation qui stait empare de la comtesse tait trop forte pour que son esprit se dtournt vers un autre objet.

Sire, dit-elle, quel est donc cet officier prussien qui tourne le dos M. de Gumne?

Et qui nous regarde en ce moment? demanda Louis XV.

Oui, rpondit la comtesse.

Cette forte figure, cette tte carre encadre dans un collet dor?

Oui, oui, justement.

Un accrdit de mon cousin de Prusse quelque philosophe comme lui. Je lai fait venir ce soir, Je voulais que la philosophie prussienne consacrt le triomphe de Cotillon III par ambassadeur.

Mais son nom, sire?

Attendez Le roi chercha. Ah! cest cela: le comte de Fnix.

Cest lui! murmura madame du Barry, cest lui, jen suis sre!

Le roi attendit encore quelques secondes pour donner le temps madame du Barry de lui faire de nouvelles questions; mais, voyant quelle gardait le silence:

Mesdames, dit-il en levant la voix, cest demain que madame la dauphine arrive Compigne. S. A. R. sera reue midi prcis: toutes les dames prsentes seront du voyage, except pourtant celles qui sont malades; car le voyage est fatigant, et madame la dauphine ne voudrait pas aggraver les indispositions.

Le roi pronona ces mots en regardant avec svrit M. de Choiseul, M. de Gumne et M. de Richelieu.

Il se fit autour du roi un silence de terreur. Le sens des paroles royales avait t bien compris: ctait la disgrce.

Sire, dit madame du Barry, qui tait reste aux cts du roi, je vous demande grce en faveur de madame la comtesse dEgmont.

Et pourquoi, sil vous plat?

Parce quelle est la fille de M. le duc de Richelieu, et que M. de Richelieu est mon plus fidle ami.

Richelieu?

Jen suis certaine, sire.

Je ferai ce que vous voudrez, comtesse, dit le roi.

Et sapprochant du marchal, qui navait pas perdu de vue un seul mouvement des lvres de la comtesse, et qui avait, sinon entendu, du moins devin ce quelle venait de dire:

Jespre, mon cher duc, dit-il, que madame dEgmont sera rtablie pour demain?

Certainement, sire. Elle le sera pour ce soir, si Votre Majest le dsire.

Et Richelieu salua le roi de faon ce que son hommage sadresst la fois au respect et la reconnaissance.

Le roi se pencha loreille de la comtesse et lui dit un mot tout bas.

Sire, rpondit celle-ci avec une rvrence accompagne dun adorable sourire, je suis votre obissante sujette.

Le roi salua tout le monde de la main et se retira chez lui.

peine avait-il franchi le seuil du salon, que les yeux de la comtesse se reportrent plus effrays que jamais sur cet homme singulier qui la proccupait si vivement.

Cet homme sinclina comme les autres sur le passage du roi; mais, quoique en saluant, son front conservait une singulire expression de hauteur et presque de menace. Puis, aussitt que Louis XV eut disparu, se frayant un chemin travers les groupes, il vint sarrter deux pas de madame du Barry.

La comtesse, de son ct, attire par une invincible curiosit, fit un pas. De sorte que linconnu, en sinclinant, put lui dire tout bas et sans que personne autre lentendt:

Me reconnaissez-vous, madame?

Oui, monsieur, vous tes mon prophte de la place Louis XV.

Ltranger leva alors sur elle son regard limpide et assur.

Eh bien! vous ai-je menti, madame, lorsque je vous prdis que vous seriez reine de France?

Non, monsieur; votre prdiction est accomplie, ou presque accomplie du moins. Aussi, me voici prte tenir de mon ct mon engagement. Parlez, monsieur, que dsirez-vous?

Le lieu serait mal choisi, madame; et, dailleurs, le temps de vous faire ma demande nest pas venu.

quelque moment que vienne cette demande, elle me trouvera prte laccomplir.

Pourrai-je en tout temps, en tout lieu, toute heure, pntrer jusqu vous, madame?

Je vous le promets.

Merci.

Mais sous quel nom vous prsenterez-vous? Est-ce sous celui du comte de Fnix?

Non, ce sera sous celui de Joseph Balsamo.

Joseph Balsamo, rpta la comtesse, tandis que le mystrieux tranger se perdait au milieu des groupes. Joseph Balsamo! Cest bien! je ne loublierai pas.

Chapitre 39. Compigne

Le lendemain, Compigne se rveilla ivre et transport, ou, pour mieux dire, Compigne ne se coucha point.

Ds la veille, lavant-garde de la maison du roi avait dispos ses logements dans la ville, et tandis que les officiers prenaient connaissance des lieux, les notables, de concert avec lintendant des menus, prparaient la ville au grand honneur quelle allait recevoir.