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jeunesse! vigueur! libert! ajouta-t-il avec un soupir.

Et ces mots, une mlancolie dune posie inexprimable se rpandit sur ses traits fins et purs.

Puis il se leva, sappuyant sur son bton.

Et maintenant, dit-il plus gaiement, maintenant que vous avez une condition, vous plat-il que nous remplissions une seconde bote de plantes? Jai ici des feuilles de papier gris sur lesquelles nous classerons la premire rcolte. Mais propos, avez-vous encore faim? Il me reste du pain.

Gardons-le pour laprs-midi, sil vous plat, monsieur.

Tout au moins, mangez les cerises, elles nous embarrasseraient.

Comme cela je le veux bien; mais permettez que je porte votre bote; vous marcherez plus laise, et je crois, grce lhabitude, que mes jambes lasseraient les vtres.

Mais tenez, vous me portez bonheur; je crois voir l-bas le picris hieraciodes, que je cherche inutilement depuis le matin; et, sous votre pied, prenez garde! le cerastium aquaticum. Attendez! Attendez! Narrachez pas! Oh! vous ntes pas encore herboriste, mon jeune ami; lune est trop humide en ce moment pour tre cueillie; lautre nest point assez avance. En repassant ce soir, trois heures, nous arracherons le picris hieraciodes et quant au cerastium, nous le prendrons dans huit jours. Dailleurs, je veux le montrer sur pied un savant de mes amis dont je compte solliciter pour vous la protection. Et maintenant, venez et conduisez-moi cet endroit dont vous me parliez tout lheure, et o vous avez vu de beaux capillaires.

Gilbert marcha devant sa nouvelle connaissance; le vieillard le suivit, et tous deux disparurent dans la fort.

Chapitre 44. M. Jacques

Gilbert, enchant de cette bonne fortune qui, dans ses moments dsesprs, lui faisait toujours trouver un soutien, Gilbert, disons-nous, marchait devant, se retournant de temps en temps vers lhomme trange qui venait de le rendre si souple et si docile avec si peu de mots.

Il le conduisit ainsi vers ses mousses, qui taient en effet de magnifiques capillaires. Puis, lorsque le vieillard en eut fait une collection, ils se mirent en qute de plantes nouvelles.

Gilbert tait beaucoup plus avanc en botanique quil ne le croyait lui-mme. N au milieu des bois, il connaissait comme des amies denfance toutes les plantes des bois: seulement, il les connaissait sous leurs noms vulgaires. mesure quil les dsignait ainsi, son compagnon les lui indiquait, lui, sous leur nom scientifique, que Gilbert, en retrouvant une plante de la mme famille, essayait de rpter. Deux ou trois fois il estropiait ce nom grec ou latin. Alors ltranger le lui dcomposait, lui montrait les rapports du sujet avec ces mots dcomposs, et Gilbert apprenait ainsi non seulement le nom de la plante, mais encore la signification du mot grec ou latin dont Pline, Linn ou de Jussieu avaient baptis cette plante.

De temps en temps il disait:

Quel malheur, monsieur, que je ne puisse pas gagner mes six sous faire ainsi de la botanique toute la journe avec vous! Je vous jure que je ne me reposerais pas un seul instant; et mme il ne me faudrait pas six sous: un morceau de pain comme celui que vous aviez ce matin suffirait mon apptit de toute la journe. Je viens de boire une source de leau aussi bonne qu Taverney, et la nuit dernire, au pied de larbre o jai couch, jai bien mieux dormi que je ne leusse fait sous le toit dun bon chteau.

Ltranger souriait.

Mon ami, disait-il, lhiver viendra; les plantes scheront, la source sera glace, le vent sifflera dans les arbres dpouills, au lieu de cette douce brise qui agite si mollement les feuilles. Alors, il vous faudra un abri, des vtements, du feu, et sur vos six sous par jour, vous nauriez pu conomiser une chambre, du bois et des habits.

Gilbert soupirait, cueillait de nouvelles plantes et faisait de nouvelles questions.

Ils coururent ainsi une bonne partie du jour dans les bois dAulnay, du Plessis-Piquet et de Clamart sous Meudon.

Gilbert, selon son habitude, stait dj mis avec son compagnon sur le pied de la familiarit. De son ct, le vieillard questionnait avec une admirable adresse; cependant Gilbert, dfiant, circonspect, craintif, se rvlait le moins possible.

Chtillon, ltranger acheta du pain et du lait dont il fit sans peine accepter la moiti son compagnon; puis tous deux prirent le chemin de Paris, afin que Gilbert, de jour encore, pt entrer dans la ville.

Le cur du jeune homme battait cette seule ide dtre Paris, et il ne chercha point cacher son motion, lorsque, des hauteurs de Vanves, il aperut Sainte-Genevive, les Invalides, Notre-Dame et cette mer immense de maisons dont les flots pars vont, comme une mare, battre les flancs de Montmartre, de Belleville et de Mnilmontant.

Oh! Paris, Paris! murmura-t-il.

Oui, Paris, un amas de maisons, un gouffre de maux, dit le vieillard. Sur chacune des pierres quil y a l-bas, vous verriez sourdre une larme ou rougir une goutte de sang, si les douleurs que ces murs renferment pouvaient apparatre au dehors.

Gilbert rprima son enthousiasme. Dailleurs, son enthousiasme tomba bientt de lui-mme.

Ils entrrent par la barrire dEnfer. Le faubourg tait sale et infect; des malades quon portait lhpital passaient sur des civires; des enfants demi nus jouaient dans la fange avec des chiens, des vaches et des porcs.

Le front de Gilbert se rembrunissait.

Vous trouvez tout cela hideux, nest-ce pas? dit le vieillard. Eh bien, ce spectacle, vous ne le verrez mme plus tout lheure. Cest encore une richesse quun porc et quune vache; cest encore une joie quun enfant. Quant la fange, vous la trouverez, elle, toujours et partout.

Gilbert ntait pas mal dispos voir Paris sous un jour sombre; il accepta donc le tableau tel que son compagnon le lui faisait.

Quant ce dernier, prolixe dabord dans sa dclamation, il tait devenu peu peu, et mesure quil avanait vers le centre de la ville, silencieux et muet. Il paraissait si soucieux, que Gilbert nosa point lui demander quel tait ce jardin quon apercevait travers la grille, quel tait ce pont sur lequel on passait la Seine. Ce jardin, ctait le Luxembourg; ce pont, ctait le Pont-Neuf.

Cependant, comme on marchait toujours, et que ltranger paraissait pousser la rverie jusqu linquitude, Gilbert se hasarda de dire:

Logez-vous encore bien loin, monsieur?

Nous approchons, dit ltranger, que cette question sembla rendre encore plus morose.

Ils ctoyrent, rue du Four, le magnifique htel de Soissons, dont les btiments avaient vue et entre principale sur cette rue, mais dont les jardins splendides stendaient sur celles de Grenelle et des Deux-cus.

Gilbert passa devant une glise qui lui parut fort belle. Il sarrta un instant la regarder.

Voil un beau monument, dit-il.

Cest Saint-Eustache, dit le vieillard.

Puis, levant la tte:

Il est huit heures! scria-t-il. Oh! mon Dieu! mon Dieu! venez vite, jeune homme, venez.

Ltranger allongea le pas, Gilbert le suivit.

propos, dit ltranger aprs quelques instants dun silence si froid quil commenait inquiter Gilbert, joubliais de vous dire que je suis mari.

Ah! fit Gilbert.

Oui, et que ma femme, en vritable Parisienne, va sans doute gronder de ce que nous rentrons tard; en outre, je dois vous le dire, elle se dfie des trangers.

Vous plat-il que je me retire, monsieur? dit Gilbert, dont cette parole glaa tout coup lexpansion.

Non pas, non pas, mon ami; je vous ai invit venir chez moi, venez.

Je vous suis, dit Gilbert.

L, droite, par ici, nous y sommes.

Gilbert leva les yeux, et, aux derniers rayons du jour mourant, il lut, langle de la place, au-dessus de la boutique dun picier, ces mots: Rue Plastrire.