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La cour, encore riche et nombreuse dquipages et de livres, avait cependant diminu depuis Compigne. moins dtre un fort grand seigneur, on ne pouvait gure suivre le roi doublant et triplant les tapes ordinaires, grce aux relais de chevaux quil avait placs sur la route.

Les petits taient demeurs Compigne, ou avaient pris la poste pour revenir Paris et laisser souffler leur attelage.

Mais, aprs un jour de repos chez eux, matres et gens rentraient en campagne et couraient Saint-Denis, autant pour voir la foule que pour revoir la dauphine, quils avaient dj vue.

Et puis, outre la cour, ny avait-il pas cette poque mille quipages: le Parlement, les finances, le gros commerce, les femmes la mode et lOpra; ny avait-il pas les chevaux et les carrosses de louage, ainsi que les carabas, qui, vers Saint-Denis, roulaient entasss vingt-cinq Parisiens et Parisiennes stouffant au petit trot et arrivant destination plus tard, bien certainement, quils neussent fait pied?

On se fait donc facilement une ide de larme formidable qui se dirigea vers Saint-Denis le matin du jour o les gazettes et les placards avaient annonc que madame la dauphine y devait arriver, et qui alla sentasser juste en face du couvent des carmlites, et, quand il ny eut plus moyen de trouver de place dans le rayon privilgi, stendant tout le long du chemin par lequel devaient arriver et partir madame la dauphine et sa suite.

Maintenant quon se figure dans cette foule, pouvantail du Parisien lui-mme, quon se figure Gilbert, petit, seul, indcis, ignorant les localits, et si fier que jamais il net voulu demander un renseignement; car, depuis quil tait Paris, il tenait passer pour un Parisien pur, lui qui navait jamais vu plus de cent personnes assembles!

Dabord, sur son chemin, les promeneurs apparurent clairsems, puis ils commencrent multiplier la Chapelle; puis, enfin, en arrivant Saint-Denis, ils semblaient sortir de dessous les pavs, et paraissaient aussi drus que des pis de bl dans un champ immense.

Gilbert depuis longtemps ny voyait plus, perdu quil tait dans la foule; il allait sans savoir o, o la foule allait; il et fallu sorienter cependant. Des enfants montaient sur un arbre; il nosa pas ter son habit pour faire comme eux, quoiquil en et grande envie, mais il sapprocha du tronc. Des malheureux, privs comme lui de tout horizon, qui marchaient sur les pieds des autres, et sur les pieds desquels on marchait, eurent lheureuse ide dinterroger les ascensionnaires, et apprirent de lun deux quil y avait un grand espace vide entre le couvent et les gardes.

Gilbert, encourag par cette premire question, demanda son tour si lon voyait les carrosses.

On ne les voyait pas encore; seulement, on apercevait sur la route, un quart de lieue au del de Saint-Denis, une grande poussire. Ctait ce que voulait savoir Gilbert; les carrosses ntaient pas encore arrivs, il ne sagissait plus que de savoir de quel ct prcisment les carrosses arriveraient.

Paris, quand on traverse toute une foule sans lier conversation avec quelquun, cest quon est anglais ou sourd et muet.

peine Gilbert se fut-il jet en arrire pour se dgager de toute cette multitude, quil trouva, au revers dun foss, une famille de petits bourgeois qui djeunaient.

Il y avait la fille, grande personne blonde, aux yeux bleus, modeste et timide.

Il y avait la mre, grosse, petite et rieuse femme, aux dents blanches et au teint frais.

Il y avait le pre, enfoui dans un grand habit de bouracan qui ne sortait de larmoire que tous les dimanches, quil avait tir de larmoire pour cette occasion solennelle, et dont il se proccupait plus que de sa femme et de sa fille, certain quelles se tireraient toujours daffaire.

Il y avait une tante, grande, maigre, sche et quinteuse.

Il y avait une servante qui riait toujours.

Cette dernire avait apport, dans un norme panier, un djeuner complet. Sous ce poids, la vigoureuse fille navait pas cess de rire et de chanter, encourage par son matre, qui la relayait au besoin.

Alors, un serviteur tait de la famille; il y avait une grande analogie entre lui et le chien de la maison: battu, quelquefois; exclu, jamais.

Gilbert contempla du coin de lil cette scne, compltement nouvelle pour lui. Enferm au chteau de Taverney depuis sa naissance, il savait ce que ctait que le seigneur et que la valetaille, mais il ignorait entirement le bourgeois.

Il vit chez ces braves gens, dans lusage matriel des besoins de la vie, lemploi dune philosophie qui, sans procder de Platon ni de Socrate, participait un peu de Bias, in extenso.

On avait apport avec soi le plus possible, et on en tirait le meilleur parti possible.

Le pre dcoupait un de ces apptissants morceaux de veau rti, si cher aux petits bourgeois de Paris. Le comestible, dj dvor par les yeux de tous, reposait dor, friand et onctueux dans le plat de terre verniss o lavait enseveli la veille, parmi des carottes, des oignons et des tranches de lard, la mnagre soucieuse du lendemain. Puis la servante avait port le plat chez le boulanger, qui, tout en cuisant son pain, avait donn asile dans son four vingt plats pareils, tous destins rtir et se dorer de compagnie la chaleur posthume des fagots.

Gilbert choisit au pied dun orme voisin une petite place dont il pousseta lherbe souille avec son mouchoir carreaux.

Il ta son chapeau, posa son mouchoir sur cette herbe et sassit.

Il ne donnait aucune attention ses voisins; ce que voyant ceux-ci, ils le remarqurent tout naturellement.

Voil un jeune homme soigneux, dit la mre.

La jeune fille rougit.

La jeune fille rougissait toutes les fois quil tait question dun jeune homme devant elle; ce qui faisait pmer de satisfaction les auteurs de ses jours.

Voil un jeune homme soigneux, avait dit la mre.

En effet, chez la bourgeoise parisienne, la premire observation portera toujours sur un dfaut ou sur une qualit morale.

Le pre se retourna.

Et un joli garon, dit-il.

La rougeur de la jeune fille augmenta.

Il parat bien fatigu, dit la servante; il na pourtant rien port.

Paresseux! dit la tante.

Monsieur, dit la mre sadressant Gilbert avec cette familiarit dinterrogation quon ne trouve que chez les Parisiens, est-ce que les carrosses du roi sont encore loin?

Gilbert se retourna, et, voyant que ctait lui que lon adressait la parole, il se leva et salua.

Voil un jeune homme poli, dit la mre.

La jeune fille devint pourpre.

Mais je ne sais, madame, rpondit Gilbert; seulement, jai entendu dire que lon voyait de la poussire un quart de lieue peu prs.

Approchez-vous, monsieur, dit le bourgeois, et si le cur vous en dit

Il lui montrait le djeuner apptissant tendu sur lherbe.

Gilbert sapprocha. Il tait jeun: lodeur des mets lui paraissait sduisante; mais il sentit ses vingt-cinq ou ses vingt-six sous dans sa poche, et, songeant que pour le tiers de sa fortune il aurait un djeuner presque aussi succulent que celui qui lui tait offert, il ne voulut rien accepter de gens quil voyait pour la premire fois.

Merci, monsieur, dit-il, grand merci, jai djeun.

Allons, allons, dit la bourgeoise, je vois que vous tes homme de prcaution, monsieur, mais vous ne verrez rien de ce ct-ci.

Mais vous, dit Gilbert en souriant, vous ne verrez donc rien non plus, puisque vous y tes comme moi?

Oh! nous, dit la bourgeoise, cest autre chose, nous avons notre neveu qui est sergent dans les gardes-franaises.

La jeune fille devint violette.

Il se tiendra ce matin devant le Paon bleu, cest son poste.

Et sans indiscrtion, demanda Gilbert, o est le Paon bleu?

Juste en face du couvent des carmlites, reprit la mre; il nous a promis de nous placer derrire son escouade; nous aurons l son banc, et nous verrons merveille descendre de carrosse.