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Un cavalier, attir par lappel du baron, accourut la portire du carrosse: ctait Philippe de Taverney, avec un uniforme de capitaine. Le jeune homme tait tout la fois joyeux et splendide:

Tiens! Gilbert! dit-il avec bonhomie en reconnaissant le jeune homme. Gilbert ici! Bonjour, Gilbert Que dsirez-vous de moi, mon pre?

Bonjour, monsieur Philippe, rpondit le jeune homme.

Ce que je dsire, scria le baron ple de fureur, cest que tu prennes la gaine de ton pe et que tu en chties ce drle-l!

Mais qua-t-il fait? demanda Philippe en regardant tour tour et avec un tonnement croissant la fureur du baron et leffrayante impassibilit de Gilbert.

Il a fait, il a fait! scria le baron. Frappe, Philippe, comme sur un chien.

Taverney se retourna vers sa sur.

Qua-t-il donc fait, Andre? Dites, vous aurait-il insulte?

Moi! scria Gilbert.

Non, rien, Philippe, rpondit Andre, non; il na rien fait, mon pre sgare. M. Gilbert nest plus notre service, il a donc parfaitement le droit dtre o il lui plat daller. Mon pre ne veut pas comprendre cela, et, en le retrouvant ici, il sest mis en colre.

Cest l tout? demanda Philippe.

Absolument, mon frre, et je ne comprends rien au courroux de M. de Taverney, surtout un pareil propos et quand choses et gens ne mritent pas mme un regard. Voyez, Philippe, si nous avanons.

Le baron se tut, dompt par la srnit toute royale de sa fille.

Gilbert baissa la tte, cras par ce mpris. Il y eut un clair qui passa travers son cur et qui ressemblait celui de la haine. Il et prfr un coup mortel de lpe de Philippe, et mme un coup sanglant de son fouet.

Il faillit svanouir.

Par bonheur, en ce moment, la harangue tait acheve; il en rsulta que les carrosses reprirent leur mouvement.

Celui du baron sloigna peu peu, dautres le suivirent; Andre seffaait comme dans un rve.

Gilbert demeura seul, prt pleurer, prt rugir, incapable, il le croyait du moins, de soutenir le poids de son malheur.

Alors une main se posa sur son paule.

Il se retourna et vit Philippe, qui, ayant mis pied terre et donn son cheval tenir un soldat de son rgiment, revenait tout souriant lui.

Voyons, quest-il donc arriv, mon pauvre Gilbert, et pourquoi es-tu Paris?

Ce ton franc et cordial toucha le jeune homme.

Eh! monsieur, dit-il avec un soupir arrach son stocisme farouche, queuss-je fait Taverney? Je vous le demande. Jy fusse mort de dsespoir, dignorance et de faim!

Philippe tressaillit, car son esprit impartial tait frapp, comme lavait t Andre, du douloureux abandon o lon avait laiss le jeune homme.

Et tu crois donc russir Paris, pauvre enfant, sans argent, sans protection, sans ressources?

Je le crois, monsieur; lhomme qui veut travailler meurt rarement de faim, l o il y a dautres hommes qui dsirent ne rien faire.

Philippe tressaillit cette rponse. Jamais il navait vu dans Gilbert quun familier sans importance.

Manges-tu, au moins? dit-il.

Je gagne mon pain, monsieur Philippe, et il nen faut pas davantage celui qui ne sest jamais fait quun reproche, cest de manger celui quil ne gagnait pas.

Tu ne dis pas cela, je lespre, pour celui quon ta donn Taverney, mon enfant? Ton pre et ta mre taient de bons serviteurs du chteau, et toi mme te rendais facilement utile.

Je ne faisais que mon devoir, monsieur.

coute, Gilbert, continua le jeune homme; tu sais que je tai toujours aim; je tai toujours vu autrement que les autres; est-ce tort? est-ce raison? lavenir me lapprendra. Ta sauvagerie ma paru dlicatesse; ta rudesse, je lappelle fiert.

Ah! monsieur le chevalier! fit Gilbert respirant.

Je te veux donc du bien, Gilbert.

Merci, monsieur.

Jtais jeune comme toi, malheureux comme toi dans ma position; de l vient peut-tre que je tai compris. La fortune un jour ma souri; eh bien, laisse-moi taider, Gilbert, en attendant que la fortune te sourie ton tour.

Merci, merci, monsieur.

Que veux-tu faire? Voyons, tu es trop sauvage pour te mettre en condition.

Gilbert secoua la tte avec un mprisant sourire.

Je veux tudier, dit-il.

Mais, pour tudier, il faut des matres, et, pour payer des matres, il faut de largent.

Jen gagne, monsieur.

Tu en gagnes! dit Philippe en souriant; et combien gagnes-tu? Voyons!

Je gagne vingt-cinq sous par jour, et jen puis gagner trente et mme quarante.

Mais cest tout juste ce quil faut pour manger.

Gilbert sourit.

Voyons, je my prends mal peut-tre pour toffrir mes services.

Vos services moi, monsieur Philippe?

Sans doute, mes services. Rougis-tu de les accepter?

Gilbert ne rpondit point.

Les hommes sont ici-bas pour sentraider, continua Maison-Rouge; ne sont-ils pas frres?

Gilbert releva la tte et attacha ses yeux si intelligents sur la noble figure du jeune homme.

Ce langage ttonne? dit Philippe.

Non, monsieur, dit Gilbert, cest le langage de la philosophie; seulement, je nai pas lhabitude de lentendre chez des gens de votre condition.

Tu as raison, et cependant ce langage est celui de notre gnration. Le dauphin lui-mme partage ces principes. Voyons, ne fais pas le fier avec moi, continua Philippe, et ce que je taurai prt, tu me le rendras plus tard. Qui sait si tu ne seras pas un jour un Colbert ou un Vauban?

Ou un Tronchin, dit Gilbert.

Soit. Voici ma bourse, partageons.

Merci, monsieur, dit lindomptable jeune homme, touch, sans vouloir en convenir, de cette admirable expansion de Philippe; merci, je nai besoin de rien; seulement seulement, je vous suis reconnaissant bien plus que si jeusse accept votre offre, soyez-en sr.

Et l-dessus, saluant Philippe stupfait, il regagna vivement la foule, dans laquelle il se perdit.

Le jeune capitaine attendit plusieurs secondes, comme sil ne pouvait en croire ni ses yeux ni ses oreilles; mais, voyant que Gilbert ne reparaissait point, il remonta sur son cheval et regagna son poste.

Chapitre 50. La possde

Tout le fracas de ces chars retentissants, tout le bruit de ces cloches chantant pleines voles, tous ces roulements de tambours joyeux, toute cette majest, reflet des majests du monde perdu pour elle, glissrent sur lme de Madame Louise et vinrent expirer, comme le flot inutile, au pied des murs de sa cellule.

Quand le roi fut parti, aprs avoir inutilement essay de rappeler en pre et en souverain, cest--dire par un sourire auquel succdrent des prires qui ressemblaient des ordres, sa fille au monde; quand la dauphine, que frappa du premier coup dil cette grandeur dme vritable de son auguste tante, eut disparu avec son tourbillon de courtisans, la suprieure des carmlites fit descendre les tentures, enlever les fleurs, dtacher les dentelles.

De toute la communaut encore mue, elle seule ne sourcilla point quand les lourdes portes du couvent, un instant ouvertes sur le monde, roulrent pesamment et se refermrent avec bruit entre le monde et la solitude.

Puis elle fit venir la trsorire.

Pendant ces deux jours de dsordre, demanda-t-elle, les pauvres ont-ils reu les aumnes accoutumes?

Oui, Madame.

Les malades ont-ils t visits comme de coutume?

Oui, Madame.

A-t-on congdi les soldats un peu rafrachis?

Tous ont reu le pain et le vin que Madame avait fait prparer.

Ainsi rien nest en souffrance dans la maison?

Rien, Madame.

Madame Louise sapprocha de la fentre et aspira doucement la fracheur embaume qui montait du jardin sur laile humide des heures voisines de la nuit.

La trsorire attendait respectueusement que lauguste abbesse donnt un ordre ou un cong.

Madame Louise, Dieu seul sait quoi songeait la pauvre recluse royale en ce moment, Madame Louise effeuillait des roses haute tige qui montaient jusqu sa fentre, et des jasmins qui tapissaient les murailles de la cour.