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Tout coup un violent coup de pied de cheval branla la porte des communs et fit tressaillir la suprieure.

Qui donc est rest Saint-Denis de tous les seigneurs de la cour? demanda Madame Louise.

Son minence le cardinal de Rohan, Madame.

Les chevaux sont-ils donc ici?

Non, Madame, ils sont au chapitre de labbaye, o il passera la nuit.

Quest-ce donc que ce bruit, alors?

Madame, cest le bruit que fait le cheval de ltrangre.

Quelle trangre? demanda Madame Louise cherchant rappeler ses souvenirs.

Cette Italienne qui est venue hier au soir demander lhospitalit Son Altesse.

Ah! cest vrai. O est-elle?

Dans sa chambre ou lglise.

Qua-t-elle fait depuis hier?

Depuis hier, elle a refus toute nourriture, except le pain, et toute la nuit elle a pri dans la chapelle.

Quelque grande coupable, sans doute! dit la suprieure fronant le sourcil.

Je lignore, Madame, elle na parl personne.

Quelle femme est-ce?

Belle et dune physionomie douce et fire la fois.

Ce matin, pendant la crmonie, o se tenait-elle?

Dans sa chambre, prs de sa fentre, o je lai vue, abrite derrire ses rideaux, fixer sur chaque personne un regard plein danxit, comme si dans chaque personne qui entrait elle et craint un ennemi.

Quelque femme de ce pauvre monde o jai vcu, o jai rgn. Faites entrer.

La trsorire fit un pas pour se retirer.

Ah! sait-on son nom? demanda la princesse.

Lorenza Feliciani.

Je ne connais personne de ce nom, dit Madame Louise rvant; nimporte, introduisez cette femme.

La suprieure sassit dans un fauteuil sculaire; il tait de bois de chne, avait t sculpt sous Henri II et avait servi aux neuf dernires abbesses des carmlites.

Ctait un tribunal redoutable, devant lequel avaient trembl bien des pauvres novices, prises entre le spirituel et le temporel.

La trsorire entra un moment aprs, amenant ltrangre au long voile que nous connaissons dj.

Madame Louise avait lil perant de la famille; cet il fut fix sur Lorenza Feliciani du moment o elle entra dans le cabinet: mais elle reconnut dans la jeune femme tant dhumilit, tant de grce, tant de beaut sublime, elle vit enfin tant dinnocence dans ses grands yeux noirs noys de larmes encore rcentes, que ses dispositions envers elle, dhostiles quelles taient dabord, devinrent bienveillantes et fraternelles.

Approchez, madame, dit la princesse, et parlez.

La jeune femme fit un pas en tremblant et voulut mettre un genou en terre.

La princesse la releva.

Nest-ce pas vous, madame, dit-elle, quon appelle Lorenza Feliciani?

Oui, Madame.

Et vous dsirez me confier un secret?

Oh! jen meurs de dsir!

Mais pourquoi navez-vous pas recours au tribunal de la pnitence? Je nai pouvoir que de consoler, moi; un prtre console et pardonne.

Madame Louise pronona ces derniers mots en hsitant.

Je nai besoin que de consolation, Madame, rpondit Lorenza, et dailleurs cest une femme seulement que joserais dire ce que jai vous raconter.

Cest donc un rcit bien trange que celui que vous allez me faire?

Oui, bien trange. Mais coutez-moi patiemment, Madame; cest vous seule que je puis parler, je vous le rpte, parce que vous tes toute puissante, et quil me faut presque le bras de Dieu pour me dtendre.

Vous dfendre! Mais on vous poursuit donc? Mais on vous attaque donc?

Oh! oui, Madame, oui, lon me poursuit, scria ltrangre avec un indicible effroi.

Alors, madame, rflchissez une chose, dit la princesse, cest que cette maison est un couvent et non une forteresse; cest que rien de ce qui agite les hommes ny pntre que pour steindre; cest que rien de ce qui peut les servir contre les autres hommes ne sy trouve; ce nest point ici la maison de la justice, de la force et de la rpression, cest tout simplement la maison de Dieu.

Oh! voil, voil ce que je cherche justement, dit Lorenza. Oui, cest la maison de Dieu, car dans la maison de Dieu seulement je puis vivre en repos.

Mais Dieu nadmet pas les vengeances; comment voulez-vous que nous vous vengions de votre ennemi? Adressez-vous aux magistrats.

Les magistrats ne peuvent rien, Madame, contre celui que je redoute.

Quest-il donc? fit la suprieure avec un secret et involontaire effroi.

Lorenza se rapprocha de la princesse sous lempire dune mystrieuse exaltation.

Ce quil est, Madame? dit-elle. Cest, jen suis certaine, un de ces dmons qui font la guerre aux hommes, et que Satan, leur prince, a dous dune puissance surhumaine.

Que me dites-vous l? fit la princesse en regardant cette femme pour bien sassurer quelle ntait pas folle.

Et moi, moi! oh! malheureuse que je suis! scria Lorenza en tordant ses beaux bras, qui semblaient mouls sur ceux dune statue antique; moi, je me suis trouve sur le chemin de cet homme! et moi, moi, je suis

Achevez.

Lorenza se rapprocha encore de la princesse; puis, tout bas, et comme pouvante elle-mme de ce quelle allait dire:

Moi, je suis possde! murmura-t-elle.

Possde! scria la princesse; voyons, madame, dites, tes-vous dans votre bon sens, et ne seriez-vous point?

Folle, nest-ce pas? cest ce que vous voulez dire. Non, je ne suis pas folle, mais je pourrais bien le devenir si vous mabandonnez.

Possde! rpta la princesse.

Hlas! hlas!

Mais, permettez-moi de vous le dire, je vous vois en toutes choses semblable aux autres cratures les plus favorises de Dieu; vous paraissez riche, vous tes belle, vous vous exprimez raisonnablement, votre visage ne porte aucune trace de cette terrible et mystrieuse maladie quon appelle la possession.

Madame, cest dans ma vie, cest dans les aventures de cette vie que rside le secret sinistre que je voudrais me cacher moi-mme.

Expliquez-vous, voyons. Suis-je donc la premire qui vous parlez de votre malheur? Vos parents, vos amis?

Mes parents! scria la jeune femme en croisant les mains avec douleur; pauvres parents! les reverrai-je jamais? Des amis, ajouta-t-elle avec amertume, hlas! Madame, est-ce que jai des amis!

Voyons, procdons par ordre, mon enfant, dit Madame Louise essayant de tracer un chemin aux paroles de ltrangre. Quels sont vos parents, et comment les avez-vous quitts?

Madame, je suis romaine, et jhabitais Rome avec eux. Mon pre est de vieille noblesse; mais, comme tous les patriciens de Rome, il est pauvre. Jai de plus ma mre et un frre an. En France, ma-t-on dit, lorsquune famille aristocratique comme lest la mienne a un fils et une fille, on sacrifie la dot de la fille pour acheter lpe du fils. Chez nous, on sacrifie la fille pour pousser le fils dans les ordres. Or, je nai, moi, reu aucune ducation, parce quil fallait faire lducation de mon frre, qui tudie, comme disait navement ma mre, afin de devenir cardinal.

Aprs?

Il en rsulte, Madame, que mes parents simposrent tous les sacrifices quil tait en leur pouvoir de simposer pour aider mon frre, et que lon rsolut de me faire prendre le voile chez les carmlites de Subiaco.

Et vous, que disiez-vous?

Rien, Madame. Ds ma jeunesse, on mavait prsent cet avenir comme une ncessit. Je navais ni force ni volont. On ne me consultait pas, dailleurs, on ordonnait, et je navais pas autre chose faire que dobir.

Cependant

Madame, nous navons, nous autres filles romaines, que dsirs et impuissance. Nous aimons le monde comme les damns aiment le paradis, sans le connatre. Dailleurs, jtais entoure dexemples qui meussent condamne si lide mtait venue de rsister, mais elle ne me vint pas. Toutes les amies que javais connues et qui, comme moi, avaient des frres, avaient pay leur dette lillustration de la famille. Jaurais t mal fonde me plaindre; on ne me demandait rien qui sortt des habitudes gnrales. Ma mre me caressa un peu plus seulement, quand le jour sapprocha pour moi de la quitter.