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Enfin le jour o je devais commencer mon noviciat arriva, mon pre runit cinq cents cus romains destins payer ma dot au couvent, et nous partmes pour Subiaco.

Il y a huit neuf lieues de Rome Subiaco; mais les chemins de la montagne sont si mauvais, que, cinq heures aprs notre dpart, nous navions fait encore que trois lieues. Cependant le voyage, tout fatigant quil tait en ralit, me plaisait. Je lui souriais comme mon dernier bonheur, et tout le long du chemin je disais tout bas adieu aux arbres, aux buissons, aux pierres, aux herbes dessches mme. Qui savait si l-bas, au couvent, il y avait de lherbe, des pierres, des buissons et des arbres!

Tout coup, au milieu de mes rves, et comme nous passions entre un petit bois et une masse de rochers crevasss, la voiture sarrta, jentendis ma mre pousser un cri, mon pre fit un mouvement pour saisir des pistolets. Mes yeux et mon esprit retombrent du ciel sur la terre; nous tions arrts par des bandits.

Pauvre enfant! dit Madame Louise, qui prenait de plus en plus intrt ce rcit.

Eh bien, vous le dirai-je, Madame? je ne fus pas fort effraye, car ces hommes nous arrtaient pour notre argent, et largent quils allaient nous prendre tait destin payer ma dot au couvent. Sil ny avait plus de dot, mon entre au couvent tait retarde pour tout le temps quil faudrait mon pre pour en trouver une autre, et je savais la peine et le temps que ces cinq cents cus avaient cot runir.

Mais quand, aprs ce premier butin partag, au lieu de nous laisser continuer notre route, les bandits slancrent sur moi, quand je vis les efforts de mon pre pour me dfendre, quand je vis les larmes de ma mre pour les supplier, je compris quun grand malheur, quun malheur inconnu me menaait, et je me mis crier misricorde, par ce sentiment naturel qui vous porte appeler au secours; car je savais bien que jappelais inutilement, et que dans ce lieu sauvage personne ne mentendrait.

Aussi, sans sinquiter de mes cris, des larmes de ma mre, des efforts de mon pre, les bandits me lirent les mains derrire le dos, et, me brlant de leurs regards hideux que je compris alors tant la terreur me faisait clairvoyante, ils se mirent, avec des ds quils tirrent de leur poche, jouer sur le mouchoir de lun deux.

Ce qui meffraya le plus, cest quil ny avait point denjeu sur lignoble tapis.

Pendant le temps que les ds passrent de main en main, je frissonnai; car je compris que jtais la chose quils jouaient.

Tout coup, lun deux, poussant un rugissement de triomphe, se leva, tandis que les autres blasphmaient en grinant des dents, courut moi, me saisit dans ses bras et posa ses lvres sur les miennes.

Le contact dun fer rouge ne met point fait pousser un cri plus dchirant.

Oh! la mort, la mort, mon Dieu! mcriai-je.

Ma mre se roulait sur la terre, mon pre svanouit.

Je navais plus quun espoir: cest que lun ou lautre des bandits qui avaient perdu me tuerait, dans un moment de rage, dun coup du couteau quils serraient dans leurs mains crispes.

Jattendais le coup, je lesprais, je linvoquais.

Tout coup un homme cheval parut dans le sentier.

Il avait parl bas une des sentinelles, qui lavait laiss passer en changeant un signe avec lui.

Cet homme, de taille moyenne, dune physionomie imposante, dun coup dil rsolu, continua de savancer calme et tranquille au pas ordinaire de son cheval.

Arriv en face de moi, il sarrta.

Le bandit, qui dj mavait prise dans ses bras, et qui commenait memmener, se retourna au premier coup de sifflet que cet homme donna dans le manche de son fouet.

Le bandit me laissa glisser jusqu terre.

Viens ici, dit linconnu.

Et, comme le bandit hsitait, linconnu forma un angle avec son bras, posa deux doigts carts sur sa poitrine. Et, comme si ce signe et t lordre dun matre tout-puissant, le bandit sapprocha de linconnu.

Celui-ci se pencha loreille du bandit, et tout bas pronona ce mot:

Mac.

Il ne pronona que ce seul mot, jen suis sre, moi qui regardais comme on regarde le couteau qui va vous tuer, moi qui coutais comme on coute quand la parole quon attend doit tre la mort ou la vie.

Benac, rpondit le brigand.

Puis, dompt comme un lion et rugissant comme lui, il revint moi, dtacha la corde qui me liait les poignets, et alla en faire autant mon pre et ma mre.

Alors, comme largent tait dj partag, chacun vint son tour dposer sa part sur une pierre. Pas un cu ne manqua aux cinq cents cus.

Pendant ce temps, je me sentais revivre aux bras de mon pre et de ma mre.

Maintenant, allez, dit linconnu aux bandits.

Les bandits obirent et rentrrent dans le bois jusquau dernier.

Lorenza Feliciani, dit alors ltranger en me couvrant de son regard surhumain, continue ta route maintenant, tu es libre.

Mon pre et ma mre remercirent ltranger qui me connaissait, et que nous ne connaissions pas, nous. Puis ils remontrent dans la voiture. Je les suivis comme regret, car je ne sais quelle puissance trange, irrsistible mattirait vers mon sauveur.

Lui tait rest immobile la mme place, comme pour continuer de nous protger.

Je lavais regard tant que javais pu le voir, et ce nest que lorsque je leus perdu de vue tout fait que loppression qui serrait ma poitrine disparut.

Deux heures aprs, nous tions Subiaco.

Mais quel tait donc cet homme extraordinaire? demanda la princesse, mue de la simplicit de ce rcit.

Daignez encore mcouter, Madame, dit Lorenza. Hlas! tout nest pas fini!

Jcoute, dit Madame Louise.

La jeune femme continua:

Nous arrivmes Subiaco deux heures aprs cet vnement.

Pendant toute la route, nous navions fait que nous entretenir, mon pre, ma mre et moi, de ce singulier sauveur qui nous tait venu tout coup, mystrieux et puissant, comme un envoy du ciel.

Mon pre, moins crdule que moi, le souponnait chef dune de ces bandes qui, bien que divises en fragments autour de Rome, relvent de la mme autorit, et sont inspectes de temps en temps par le chef suprme, lequel, investi dune autorit absolue, rcompense, punit et partage.

Mais moi, moi qui cependant ne pouvais lutter dexprience avec mon pre; moi qui obissais mon instinct, qui subissais le pouvoir de ma reconnaissance, je ne croyais pas, je ne pouvais pas croire que cet homme ft un bandit.

Aussi, dans mes prires de chaque soir la Vierge, je consacrais une phrase destine appeler les grces de la madone sur mon sauveur inconnu.

Ds le mme jour, jentrai au couvent. La dot tait retrouve, rien nempchait quon ne my ret. Jtais plus triste, mais aussi plus rsigne que jamais. Italienne et superstitieuse, cette ide mtait venue que Dieu tenait me possder pure, entire et sans tache, puisquil mavait dlivre de ces bandits, suscits sans doute par le dmon pour souiller la couronne dinnocence que Dieu seul devait dtacher de mon front. Aussi mlanai-je avec toute lardeur de mon caractre dans les empressements de mes suprieurs et de mes parents. On me fit adresser une demande au souverain pontife leffet de me voir dispense du noviciat. Je lcrivis, je la signai. Elle avait t rdige par mon pre dans les termes dun si violent dsir, que Sa Saintet crut voir dans cette demande lardente aspiration dune me dgote du monde vers la solitude. Elle accorda tout ce quon lui demandait, et le noviciat dun an, de deux ans quelquefois pour les autres, fut, par faveur spciale, fix pour moi un mois.

On mannona cette nouvelle, qui ne me causa ni douleur ni joie. On et dit que jtais dj morte au monde, et que lon oprait sur un cadavre auquel son ombre impassible survivait seule.

Quinze jours on me tint renferme, de crainte que lesprit mondain me vnt saisir. Vers le matin de ce quinzime jour, je reus lordre de descendre la chapelle avec les autres surs.