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Vous vous trompez.

Non, non, Madame. Tenez, malgr moi, il mattire, voyez; retenez-moi, retenez-moi.

Madame Louise saisit la jeune femme par le bras.

Mais remettez-vous, pauvre enfant, dit-elle; ft-ce lui, mon Dieu, vous tes ici en sret.

Il approche, il approche, vous dis-je! scria Lorenza, terrifie, anantie, les yeux fixes, le bras tendu vers la porte de la chambre.

Folie! Folie! dit la princesse. Est-ce que lon entre ainsi chez Madame Louise de France? Il faudrait que cet homme ft porteur dun ordre du roi.

Oh! Madame, je ne sais comment il est entr, scria Lorenza en se renversant en arrire; mais ce que je sais, ce dont je suis certaine, cest quil monte lescalier cest quil est dix pas dici peine cest que le voil!

Tout coup la porte souvrit; la princesse recula, pouvante malgr elle de cette concidence bizarre.

Une sur parut.

Qui est l? demanda Madame, et que voulez-vous?

Madame, rpondit la sur, un gentilhomme vient de se prsenter au couvent, qui veut parler Votre Altesse royale.

Son nom?

Monsieur le comte de Fnix.

Est-ce lui? demanda la princesse Lorenza, et connaissez-vous ce nom?

Je ne connais pas ce nom; mais cest lui, Madame, cest lui.

Que veut-il? demanda la princesse la religieuse.

Charg dune mission prs du roi de France par Sa Majest le roi de Prusse, il voudrait, dit-il, avoir lhonneur dentretenir un instant Votre Altesse royale.

Madame Louise rflchit un instant; puis, se retournant vers Lorenza:

Entrez dans ce cabinet, dit-elle.

Lorenza obit.

Et vous, ma sur, continua la princesse, faites entrer ce gentilhomme.

La sur sinclina et sortit.

La princesse sassura que la porte du cabinet tait bien close, et revint son fauteuil, o elle sassit, attendant, non sans une certaine motion, lvnement qui allait saccomplir.

Presque aussitt, la sur reparut. Derrire elle marchait cet homme que nous avons vu, le jour de la prsentation, se faire annoncer chez le roi sous le nom du comte de Fnix.

Il tait revtu du mme costume, qui tait un uniforme prussien, svre dans sa coupe; il portait la perruque militaire et le col noir; ses grands yeux, si expressifs, sabaissrent en prsence de Madame Louise, mais seulement pour donner au respect tout ce quun homme, si haut plac quil soit comme simple gentilhomme, doit de respect une fille de France.

Mais les relevant aussitt comme sil eut craint dtre aussi dune trop grande humilit:

Madame, je rends grce Votre Altesse royale de la faveur quelle veut bien me faire. Jy comptais cependant, connaissant que Votre Altesse soutient gnreusement tout ce qui est malheureux.

En effet, monsieur, jy essaie, dit la princesse avec dignit, car elle comptait terrasser, aprs dix minutes dentretien, celui qui venait impudemment rclamer la protection dautrui aprs avoir abus de ses propres forces.

Le comte sinclina sans paratre avoir compris le double sens des paroles de la princesse.

Que puis-je donc pour vous, monsieur? continua Madame Louise sur le mme ton dironie.

Tout, Madame.

Parlez.

Votre Altesse, que je ne fusse point, sans de graves motifs, venu importuner dans la retraite quelle sest choisie, a donn, je le crois du moins, asile une personne qui mintresse en tout point.

Comment nommez-vous cette personne, monsieur?

Lorenza Feliciani.

Et que vous est cette personne? Est-ce votre allie, votre parente, votre sur?

Cest ma femme.

Votre femme? dit la princesse en levant la voix, afin dtre entendue du cabinet; Lorenza Feliciani est la comtesse de Fnix?

Lorenza Feliciani est la comtesse de Fnix, oui, Madame, rpondit le comte avec le plus grand calme.

Je nai point de comtesse de Fnix aux Carmlites, monsieur, rpliqua schement la princesse.

Mais le comte ne se regarda point comme battu et continua:

Peut-tre bien, Madame, Votre Altesse nest-elle pas bien persuade encore que Lorenza Feliciani et la comtesse de Fnix sont une seule et mme personne?

Non, je lavoue, dit la princesse, et vous avez devin juste, monsieur; ma conviction nest point entire sur ce point.

Votre Altesse veut-elle donner lordre que Lorenza Feliciani soit amene devant elle, et alors elle ne conservera plus aucun doute. Je demande Son Altesse pardon dinsister ainsi; mais je suis tendrement attach cette jeune femme, et elle-mme regrette, je crois, dtre spare de moi.

Le croyez-vous?

Oui, Madame, je le crois, si pauvre que soit mon mrite.

Oh! pensa la princesse, Lorenza avait dit vrai, et cet homme est effectivement un homme dangereux.

Le comte gardait une contenance calme et se renfermait dans la plus stricte politesse de cour.

Essayons de mentir, continua de penser Madame Louise.

Monsieur, dit-elle, je nai point vous remettre une femme qui nest point ici. Je comprends que vous la cherchiez avec tant dinsistance, si vous laimez vritablement comme vous le dites; mais, si vous voulez avoir quelque chance de la trouver, cherchez-la ailleurs, croyez-moi.

Le comte, en entrant, avait jet un regard rapide sur tous les objets que renfermait la chambre de Madame Louise, et ses yeux staient arrts un instant, rien quun instant, cest vrai, mais ce seul regard avait suffi, sur la table place dans un angle obscur de lappartement, et ctait sur cette table que Lorenza avait plac ses bijoux, quelle avait offerts pour entrer aux Carmlites. Aux tincelles quils jetaient dans lombre, le comte de Fnix les avait reconnus.

Si Votre Altesse royale voulait bien rappeler ses souvenirs, insista le comte, et cest une violence que je la prie de vouloir bien se faire, elle se rappellerait que Lorenza Feliciani tait tout lheure dans cette chambre, et quelle a dpos sur cette table les bijoux qui y sont, et quaprs avoir eu lhonneur de confrer avec Votre Altesse, elle sest retire.

Le comte de Fnix saisit au passage le regard que jetait la princesse du ct du cabinet.

Elle sest retire dans ce cabinet, acheva-t-il.

La princesse rougit, le comte continua:

De sorte que je nattends que lagrment de Son Altesse pour lui ordonner dentrer; ce quelle fera linstant mme, je nen doute pas.

La princesse se rappela que Lorenza stait enferme en dedans, et que, par consquent, rien ne pouvait la forcer de sortir que limpulsion de sa propre volont.

Mais, dit-elle, ne cherchant plus dissimuler le dpit quelle prouvait davoir menti inutilement devant cet homme qui lon ne pouvait rien cacher, si elle entre, que fera-t-elle?

Rien, Madame; elle dira seulement Votre Altesse quelle dsire me suivre, tant ma femme.

Ce dernier mot rassura la princesse, car elle se rappelait les protestations de Lorenza.

Votre femme! dit-elle, en tes-vous bien sr?

Et lindignation perait sous ses paroles.

On croirait, en vrit, que Votre Altesse ne me croit pas, dit poliment le comte. Ce nest pas cependant une chose bien incroyable que le comte de Fnix ait pous Lorenza Feliciani, et que, layant pouse, il redemande sa femme.

Sa femme, encore! scria Madame Louise avec impatience; vous osez dire que Lorenza Feliciani est votre femme?

Oui, Madame, rpondit le comte avec un naturel parfait, jose le dire, car cela est.

Mari, vous tes mari?

Je suis mari.

Avec Lorenza?

Avec Lorenza.

Lgitimement?

Sans doute, et, si vous insistez, Madame, dans une dngation qui me blesse

Eh bien, que ferez-vous?

Je mettrai sous vos yeux mon acte de mariage parfaitement en rgle et sign du prtre qui nous a unis.

La princesse tressaillit; tant de calme brisait ses convictions.

Le comte ouvrit un portefeuille et dveloppa un papier pli en quatre.

Voil la preuve de la vrit de ce que javance, Madame, et du droit que jai de rclamer cette femme; la signature fait foi Votre Altesse veut elle lire lacte et interroger la signature?