Une signature! murmura la princesse avec un doute plus humiliant que ne lavait t sa colre; mais si cette signature?
Cette signature est celle du cur de Saint-Jean de Strasbourg, bien connu de M. le prince Louis, cardinal de Rohan, et si Son minence tait ici
Justement M. le cardinal est ici, scria la princesse attachant sur le comte des regards enflamms. Son minence na pas quitt Saint-Denis; elle est dans ce moment-ci chez les chanoines de la cathdrale; ainsi rien nest plus ais que cette vrification que vous nous proposez.
Cest un grand bonheur pour moi, Madame, rpondit le comte en remettant flegmatiquement son acte dans son portefeuille; car, par cette vrification, je lespre, je verrai se dissiper tous les soupons injustes que Votre Altesse a contre moi.
Tant dimpudence me rvolte en vrit, dit la princesse en agitant vivement sa sonnette. Ma sur! ma sur!
La religieuse qui avait un instant auparavant introduit le comte de Fnix accourut.
Que lon fasse monter cheval mon piqueur, dit la princesse, et quon lenvoie porter ce billet M. le cardinal de Rohan; on le trouvera au chapitre de la cathdrale; quil vienne ici sans retard, je lattends.
Et, tout en parlant, la princesse crivit la hte deux mots quelle remit la religieuse.
Puis elle ajouta tout bas:
Que lon place dans le corridor deux archers de la marchausse, et que personne ne sorte sans mon cong; allez!
Le comte avait suivi les diffrentes phases de cette rsolution, bien arrte maintenant chez Madame Louise, de lutter avec lui jusquau bout; et tandis que la princesse crivait, dcide sans doute lui disputer la victoire, il stait approch du cabinet, et l, lil fix sur la porte, les mains tendues et agites dun mouvement plus mthodique que nerveux, il avait prononc quelques mots tout bas.
La princesse, en se retournant, le vit dans cette attitude.
Que faites-vous l, monsieur? dit-elle.
Madame, dit le comte, jadjure Lorenza Feliciani de venir ici en personne vous confirmer, par ses paroles et de sa pleine volont, que je ne suis ni un imposteur ni un faussaire, et cela sans prjudice de toutes les autres preuves quexigera Votre Altesse.
Monsieur!
Lorenza Feliciani, cria le comte dominant tout, mme la volont de la princesse; Lorenza Feliciani, sortez de ce cabinet, et venez ici, venez!
Mais la porte resta close.
Venez, je le veux! rpta le comte.
Alors la clef grina dans la serrure, et la princesse, avec un indicible effroi, vit entrer la jeune femme, dont les yeux taient fixs sur le comte, sans aucune expression de colre ni de haine.
Que faites-vous donc, mon enfant, que faites-vous? scria Madame Louise, et pourquoi revenir cet homme que vous aviez fui? Vous tiez en sret ici; je vous lavais dit.
Elle est en sret aussi dans ma maison, Madame, rpondit le comte.
Puis se retournant vers la jeune femme:
Nest-ce pas, Lorenza, dit-il, que vous tes en sret chez moi?
Oui, rpondit la jeune fille.
La princesse, au comble de ltonnement, joignit les mains et se laissa retomber dans son fauteuil.
Maintenant, Lorenza, dit le comte dune voix douce mais dans laquelle nanmoins laccent du commandement se faisait sentir, maintenant on maccuse de vous avoir fait violence. Dites, vous ai-je violente en quelque chose que ce soit?
Jamais, rpondit la jeune femme dune voix claire et prcise, mais sans accompagner cette dngation daucun mouvement.
Alors, scria la princesse, que signifie toute cette histoire denlvement que vous mavez faite?
Lorenza demeura muette; elle regardait le comte comme si la vie et la parole, qui en est lexpression, devaient lui venir de lui.
Son Altesse dsire sans doute savoir comment vous tes sortie du couvent, Lorenza. Racontez tout ce qui sest pass depuis le moment o vous vous tes vanouie dans le chur jusqu celui o vous vous tes rveille dans la chaise de poste.
Lorenza demeura silencieuse.
Racontez la chose dans tous ses dtails, continua le comte, sans rien omettre. Je le veux.
Lorenza ne put comprimer un frmissement.
Je ne me rappelle point, dit-elle.
Cherchez dans vos souvenirs, et vous vous rappellerez.
Ah! oui, oui, en effet, dit Lorenza avec le mme accent monotone, je me souviens.
Parlez!
Lorsque je me fus vanouie, au moment mme o les ciseaux touchaient mes cheveux, on memporta dans ma cellule et lon me coucha sur mon lit. Jusquau soir, ma mre resta prs de moi, et, comme je demeurais toujours sans connaissance, on envoya chercher le chirurgien du village, lequel me tta le pouls, passa un miroir devant mes lvres et, reconnaissant que mes artres taient sans battements et ma bouche sans haleine, dclara que jtais morte.
Mais comment savez-vous tout cela? demanda la princesse.
Son Altesse dsire connatre comment vous savez tout cela, rpta le comte.
Chose trange! dit Lorenza, je voyais et jentendais; seulement, je ne pouvais ouvrir les yeux, parler ni remuer; jtais en lthargie.
En effet, dit la princesse, Tronchin ma parl parfois de personnes tombes en lthargie et qui avaient t enterres vivantes.
Continuez, Lorenza.
Ma mre se dsesprait et ne voulait point croire ma mort; elle dclara quelle passerait encore prs de moi la nuit et la journe du lendemain.
Elle le fit ainsi quelle lavait dit; mais les trente-six heures pendant lesquelles elle me veilla scoulrent sans que je fisse un mouvement, sans que je poussasse un soupir.
Trois fois le prtre tait venu, et chaque fois il avait dit ma mre que ctait se rvolter contre Dieu que de vouloir retenir mon corps sur la terre, quand dj il avait mon me; car il ne doutait pas qutant morte dans toutes les conditions du salut et au moment o jallais prononcer les paroles qui scellaient mon ternelle alliance avec le Seigneur, il ne doutait pas, disait-il, que mon me ne ft monte droit au ciel.
Ma mre insista tant quelle obtint de me veiller encore pendant toute la nuit du lundi au mardi.
Le mardi matin, jtais toujours dans le mme tat dinsensibilit.
Ma mre se retira vaincue. Les religieuses criaient au sacrilge. Les cierges taient allums dans la chapelle, o je devais, selon lhabitude, tre expose un jour et une nuit.
Ma mre une fois sortie, les ensevelisseuses entrrent dans ma chambre; comme je navais pas prononc mes vux, on me mit une robe blanche, on ceignit mon front dune couronne de roses blanches, on plaa mes bras en croix sur ma poitrine, puis on demanda:
La bire!
La bire fut apporte dans ma chambre; un profond frissonnement courut par tout mon corps; car, je vous le rpte, travers mes paupires fermes, je voyais tout comme si mes yeux eussent t tout grands ouverts.
On me prit et lon me dposa dans le cercueil.
Puis, le visage dcouvert, comme cest lhabitude chez nous autres Italiennes, on me descendit dans la chapelle et lon me plaa au milieu du chur, avec des cierges allums tout autour de moi et un bnitier mes pieds.
Toute la journe, les paysans de Subiaco entrrent dans la chapelle, prirent pour moi et jetrent de leau bnite sur mon corps.
Le soir vint. Les visites cessrent; on ferma en dedans les portes de la chapelle, moins la petite porte, et la sur infirmire resta seule prs de moi.
Cependant une pense terrible magitait pendant mon sommeil; ctait le lendemain que devait avoir lieu lenterrement, et je sentais que jallais tre enterre toute vive, si quelque puissance inconnue ne venait mon secours.
Jentendais les unes aprs les autres les heures: neuf heures sonnrent, puis dix heures, puis onze heures.
Chaque coup retentissait dans mon cour; car jentendais, chose effrayante! le glas de ma propre mort.
Ce que je fis defforts pour vaincre ce sommeil glac, pour rompre ces liens de fer qui mattachaient au fond de mon cercueil, Dieu seul le sait; mais il le vit, puisquil eut piti de moi.