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En ce moment, on entendit le bruit dun carrosse qui sarrtait la porte de labbaye.

Ah! scria la princesse, voil le cardinal; nous allons savoir enfin quoi nous en tenir.

Le comte de Fnix sinclina, dit quelques mots Lorenza et attendit avec le calme dun homme qui aurait le don de diriger les vnements.

Un instant aprs, la porte souvrit et lon annona Son minence M. le cardinal de Rohan.

La princesse, rassure par la prsence dun tiers, vint reprendre sa place sur son fauteuil en disant:

Faites entrer.

Le cardinal entra. Mais il neut pas plutt salu la princesse, quapercevant Balsamo:

Ah! cest vous, monsieur! dit-il avec surprise.

Vous connaissez monsieur? demanda la princesse de plus en plus tonne.

Oui, dit le cardinal.

Alors, scria Madame Louise, vous allez nous dire qui il est?

Rien de plus facile, dit le cardinaclass="underline" monsieur est sorcier.

Sorcier! murmura la princesse.

Pardon, Madame, dit le comte, Son minence sexpliquera tout lheure, et la satisfaction de tout le monde, je lespre.

Est-ce que monsieur aurait fait aussi quelque prdiction Son Altesse royale, que je la vois bouleverse ce point? demanda M. de Rohan.

Lacte de mariage! Lacte, sur-le-champ! scria la princesse.

Le cardinal regardait tonn, car il ignorait ce que pouvait signifier cette exclamation.

Le voici, dit le comte en le prsentant au cardinal.

Quest-ce l? demanda celui-ci.

Monsieur, dit la princesse, il sagit de savoir si cette signature est bonne et si cet acte est valide.

Le cardinal lut le papier que lui prsentait la princesse.

Cet acte est un acte de mariage parfaitement en forme, et cette signature est celle de M. Remy, cur de la chapelle Saint-Jean; mais quimporte Votre Altesse?

Oh! il mimporte beaucoup, monsieur. Ainsi la signature?

Est bonne; mais rien ne me dit quelle nait pas t extorque.

Extorque, nest-ce pas? cest possible, scria la princesse.

Et le consentement de Lorenza aussi, nest-ce pas? dit le comte avec une ironie qui sadressait directement la princesse.

Mais par quels moyens, voyons, monsieur le cardinal, par quels moyens aurait-on pu extorquer cette signature? Dites, le savez-vous?

Par ceux qui sont au pouvoir de monsieur par des moyens magiques.

Magiques! Cardinal, mais est-ce bien vous?

Monsieur est sorcier; je lai dit et je ne men ddis pas.

Votre minence veut plaisanter.

Non pas, et la preuve, cest que, devant vous, je veux avoir avec monsieur une srieuse explication.

Jallais la demander Votre minence, dit le comte.

merveille, mais noubliez pas que cest moi qui interroge, dit le cardinal avec hauteur.

Et moi, dit le comte, noubliez pas qu toutes vos interrogations je rpondrai, mme devant Son Altesse, si vous y tenez. Mais vous ny tiendrez pas, jen suis certain.

Le cardinal sourit.

Monsieur, dit-il, cest un rle difficile jouer de notre temps que celui de sorcier. Je vous ai vu luvre; vous y avez eu un grand succs; mais tout le monde, je vous en prviens, naura pas la patience et surtout la gnrosit de madame la dauphine.

De madame la dauphine? scria la princesse.

Oui, Madame, dit le comte, jai eu lhonneur dtre prsent Son Altesse royale.

Et comment avez-vous reconnu cet honneur, monsieur? Dites, dites.

Hlas! reprit le comte, plus mal que je neusse voulu; car je nai point de haine personnelle contre les hommes, et surtout contre les femmes.

Mais qua donc fait monsieur mon auguste nice? dit Madame Louise.

Madame, dit le comte, jai eu le malheur de lui dire la vrit quelle me demandait.

Oui, la vrit, une vrit qui la fait vanouir.

Est-ce ma faute, reprit le comte de cette voix puissante qui devait si bien tonner en certains moments; est-ce ma faute, si cette vrit tait si terrible quelle devait produire de semblables effets? Est-ce moi qui ai cherch la princesse? Est-ce moi qui ai demand lui tre prsent? Non, je lvitais, au contraire; on ma amen prs delle presque de force; elle ma interrog en ordonnant.

Mais qutait-ce donc que cette vrit si terrible que vous lui avez dite, monsieur? demanda la princesse.

Cette vrit, Madame, rpondit le comte, cest le voile de lavenir que jai dchir.

De lavenir?

Oui, Madame, de cet avenir qui a paru si menaant Votre Altesse royale, quelle a essay de le fuir dans un clotre, de le combattre au pied des autels par ses prires et par ses larmes.

Monsieur!

Est-ce ma faute, Madame, si cet avenir, que vous avez pressenti comme sainte, ma t rvl, moi, comme prophte, et si madame la dauphine, pouvante de cet avenir qui la menace personnellement, sest vanouie lorsquil lui a t rvl?

Vous lentendez? dit le cardinal.

Hlas! dit la princesse.

Car son rgne est condamn, scria le comte, comme le rgne le plus fatal et le plus malheureux de toute la monarchie.

Monsieur! scria la princesse.

Quant vous, Madame, continua le comte, peut-tre vos prires ont-elles obtenu grce; mais vous ne verrez rien de tout cela, car vous serez dans les bras du Seigneur quand ces choses arriveront. Priez! Madame, priez!

La princesse, domine par cette voix prophtique qui rpondait si bien aux terreurs de son me, tomba genoux aux pieds du crucifix et se mit effectivement prier avec ferveur.

Alors le comte, se tournant vers le cardinal, et le prcdant dans lembrasure dune fentre:

nous deux, monsieur le cardinal; que me vouliez-vous?

Le cardinal alla rejoindre le comte.

Les personnages taient disposs ainsi:

La princesse, au pied du crucifix, priait avec ferveur; Lorenza, immobile, muette, les yeux ouverts et fixes comme sils ne voyaient pas, tait debout au milieu de lappartement. Les deux hommes se tenaient dans lembrasure de la fentre, le comte appuy sur lespagnolette, le cardinal moiti cach par le rideau.

Que me voulez-vous? rpta le comte. Parlez.

Je veux savoir qui vous tes.

Vous le savez.

Moi?

Sans doute. Navez-vous pas dit que jtais sorcier?

Trs bien. Mais, l-bas, on vous nommait Joseph Balsamo; ici, lon vous nomme le comte de Fnix.

Eh bien, que prouve cela? Que jai chang de nom, voil tout.

Oui; mais savez-vous que de pareils changements, de la part dun homme comme vous, donneraient fort penser M. de Sartine?

Le comte sourit.

Oh! monsieur, dit-il, que voil une petite guerre pour un Rohan! Comment, Votre minence argumente sur des mots! Verba et voces, dit le latin. Na-t on rien de pis me reprocher?

Vous devenez railleur, je crois, dit le cardinal.

Je ne le deviens pas, cest mon caractre.

Alors, je vais me donner une satisfaction.

Laquelle?

Celle de vous faire baisser le ton.

Faites, monsieur.

Ce sera, jen suis certain, faire ma cour madame la dauphine.

Ce qui ne sera pas du tout inutile dans les termes o vous tes avec elle, dit flegmatiquement Balsamo.

Et si je vous faisais arrter, monsieur de lhoroscope, que diriez-vous?

Je dirais que vous avez grand tort, monsieur le cardinal.

En vrit! dit lminence avec un mpris crasant; et qui donc trouverait cela?

Vous-mme, monsieur le cardinal.

Je vais donc en donner lordre de ce pas; alors, on saura quel est au juste ce baron Joseph Balsamo, comte de Fnix, rejeton illustre dun arbre gnalogique dont je nai vu la graine en aucun champ hraldique de lEurope.

Monsieur, dit Balsamo, que ne vous tes-vous inform de moi votre ami M. de Breteuil?

M. de Breteuil nest pas mon ami.

Cest--dire quil ne lest plus, mais il la t et de vos meilleurs mme; car vous lui avez crit certaine lettre

Quelle lettre? demanda le cardinal en se rapprochant.

Plus prs, monsieur le cardinal, plus prs; je ne voudrais point parler haut de peur de vous compromettre.